Infectiologie

Epidémie de peste : faut-il en avoir peur ?

Les cas récents de peste observés dans l’océan Indien inquiètent les spécialistes de cette maladie qui a ravagé le monde il y a très longtemps. Aujourd'hui, elle a fait plus de 50 morts à Madagascar, et deux cas auraient été détectés aux Seychelles. La peste serait-elle en train de se propager ? Les réponses du Dr Yann Le Douarin

  • DURAND FLORENCE/SIPA
  • 18 Octobre 2017
  • A A

    Y a-t-il d’autres cas aujourd'hui dans d’autres pays ?

    YLD : Les dernières données de l’OMS font un peu froid dans le dos, et laissent supposer que cette effroyable maladie n’appartient pas qu’au passé. Chaque année dans le monde, environ 600 personnes sont touchées. Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé, de 2010 à 2015, on a enregistré 3 248 cas de peste dans le monde, dont 584 mortels.

    Ce n’est pas comme la variole qui a complètement été rayée de la carte ?

    YLD : Effectivement ! Mais choléra et polio sont toujours là, et comme pour ces maladies, les cas de peste apparaissent surtout dans des endroits insalubres et associés à une grande misère. Aujourd'hui, c’est en Afrique, par exemple en République démocratique du Congo et aussi à Madagascar que la maladie frappe le plus.

    Mais plusieurs pays développés comme les Etats-Unis ou la Russie rapportent régulièrement de nouveaux foyers de peste.

    Cela signifie quoi ? Qu’elle est aux portes de l’Europe et que l’on risque quelque chose ?

    YLD : Actuellement, l’Europe de l'ouest est épargnée, mais on n’est pas à l’abri, parce que la peste réapparaît dans des pays où elle avait complètement disparu, parfois depuis 80 ans. Par exemple, elle est revenue en Algérie, où il n’y en avait pas eu depuis la fameuse peste décrite par Camus à Oran (1944-45), idem en Jordanie.

    Mais en France ? Marseille par exemple, c’était quand ?

    YLD : Cela date d’il y a 3 siècles ! Entre 1720-1723, la peste de Marseille et de sa région avait fait près de 120 000 morts sur les 400 000 personnes que la région comptait à cette époque.

    Mais le dernier cas français n’est pas enfoui dans l’histoire puisqu’il se situe en Corse en 1945. Donc, ce risque n’est absolument pas exclu dans l'Hexagone.

    Pourquoi cette réémergence ?

    YLD : L’une des explications pourrait être la baisse de la vigilance au cours des années. Tant qu’un pays se sait infecté par la peste, de nombreuses mesures de surveillance sont mises en place et les traitement antibiotiques sont disponibles. Avec ces précautions, l’épidémie ne prend pas. Mais comme les cas deviennent rares, certains pays baissent la garde.

    On évoque aussi le réchauffement climatique. Plusieurs études ont montré que les changements de températures pourraient favoriser le développement du réservoir animal et son expansion.

    Ce réservoir animal, comme vous dites, ce sont les rats ? La peste reste quand même associée à la misère ?

    YLD : Et à une bactérie ! Yersinia Pestis, du nom de son découvreur Alexandre Yersin.

    Cette bactérie vit souvent dans le sang de mammifères, notamment les rats. Mais ils ne sont pas les seuls vecteurs : il y a aussi une puce qui a sucé du sang contaminé chez le rongeur qui transférerait le bacille à l’Homme par ses morsures.

    Dans les causes de réapparition de la peste, viennent les migrations humaines, et principalement le commerce international. Ils pourraient aider la bactérie à se retrouver en Occident.

    Quels sont les symptômes de la peste ?

    YLD : Les premiers symptômes apparaissent plus ou moins rapidement, de quelques heures à cinq jours après la contamination.

    La peste bubonique est la plus fréquente (80 à 93 %). Elle se manifeste par une forte fièvre, un mauvais état général et une augmentation de volume du ganglion lymphatique qui draine la zone de piqûre de la puce. Ce ganglion hypertrophié et douloureux est appelé bubon. Il peut se mettre à suppurer puis guérir. Dans d’autres cas, la maladie évolue vers une septicémie, qui est une infection généralisée, ou vers une atteinte des poumons, mortelle en quelques jours… et surtout très contagieuse. C’est ce qu’il s’est passé à Madagascar.

    On dispose d’un traitement ?

    YLD : Oui, heureusement le bacille de la peste est toujours sensible aux antibiotiques, ce qui a permis avec des mesures d’ hygiène de ne plus avoir ces terribles vagues épidémiques. Mais faut-il avoir accès à ces médicaments, ce qui n’est pas toujours le cas dans certaines régions. D’où la persistance de foyers.

    La solution réside dans le vaccin ?

    YLD : Plusieurs vaccins contre la peste ont déjà été mis au point au cours des années, mais ils présentent des effets secondaires graves. De plus, ils n’ont aucune efficacité sur la peste pulmonaire.

    Une équipe de l’Institut Pasteur a déjà obtenu des résultats très prometteurs sur un vaccin potentiel, mais faute de financement, il est pour le moment impossible de le tester chez l’homme. Les industriels ne s’intéressent pas à ce marché de la peste qui reste peu développé, il faut l’avouer.

    En conclusion, pas de panique, une épidémie de peste n’est pas pour demain, mais la maladie n’a pas disparu pour autant. 

    Pour pouvoir accéder à cette page, vous devez vous connecter.