Fin de vie
Michel Onfray : "Que chacun ait le choix : l'euthanasie ou les soins palliatifs"
Une nouvelle loi sur la fin de vie préparée par le gouvernement devrait être débattue au Parlement durant l'année 2024. Après une présentation de l'esprit du texte par la ministre déléguée Agnès Firmin-Le Bodo dans l'émission "La Santé en Questions", les réponses du philosophe Michel Onfray, défenseur d'une évolution législative sur l'euthanasie.
- kazuma seki/istock
Le gouvernement travaille à l’élaboration d’une loi sur la fin de vie intégrant la possibilité d’autoriser une aide active à mourir. Vous vous êtes personnellement déclaré favorable à la possibilité de l’euthanasie. Est-ce parce que votre vie personnelle, intime, vous a placé face à ce sujet ?
Michel Onfray : J’ai été pour l’euthanasie théoriquement, sur le papier, bien avant de me retrouver directement concerné lorsque Marie-Claude, ma compagne de trente-sept années de vie commune, a eu un cancer du sein, puis une récidive avec métastases, le tout ayant duré treize années, avec sept années de chimiothérapie non-stop. Marie-Claude était elle aussi favorable à l’euthanasie. Mais quand la question aurait pu se poser concrètement, elle n’a pas été abordée. Je ne sais ce qui a motivé le silence de Marie-Claude, je ne sais ce qu’elle savait, ce qu’elle a su, si elle a su qu’il ne lui restait que quelques semaines à vivre. Moi je n’ai rien vu : le déni a fonctionné à plein. Et je ne l’ai su que quand un médecin m’a annoncé qu’elle allait mourir dans les trois semaines. J’ai alors moins songé à l’euthanasie qu’à la tuer puis à me tuer ensuite. C’est quand on se demande comment on va s’y prendre que l’on en reste aux intentions… J’ai survécu. Mais personne, sauf moi, ne sait dans quel état.
Le texte ne cite pas le mot euthanasie mais parle de « l’aide active à mourir ». Il s’agit pour vous de deux notions différentes ou simplement de la peur des mots ?
Notre époque est d’une incroyable crétinerie ! C’est l’ère de la bêtise, de la sottise, de l’idiotie. On n’appelle plus les choses comme jadis en croyant qu’en supprimant le mot, on supprime la chose : il n’y a plus d’aveugles mais des mal voyants, plus d’handicapés mais des personnes en situation de handicap, plus de sourds mais des malentendants. Il n’y a donc plus d’euthanasie mais une aide active à mourir, ce qui donnera bientôt une A2M ! Les mots morts, cadavres, défunts, mourir ont laissé place à des évitements sémantiques : le défunt est parti, notre disparu nous a quittés, notre ami a rejoint la lumière, etc. La thanatopraxie veut donner au mort l’aspect du vivant : on le maquille, on le poudre, on lui met du rouge à lèvres, on bourre ses joues de coton, on coiffe avec force laque.
La raison en est bien simple : la fin du récit catholique, notamment sa consolation avec la croyance en l’existence d’une vie après la mort, a mis l’homme devant l’incapacité à penser la mort en athée. Il la cache donc sous le tapis à grand coup de balai sémantique…
Vous expliquez que la souffrance en fin de vie, qu’elle soit physique ou psychique, justifie la légalisation d’une aide active à mourir. Mais cette souffrance ne fait-elle pas partie de la condition humaine et à ce titre est-il justifié de la supprimer coûte que coûte ?
Le mal de tête fait partie de la vie et pourtant on prend de l’aspirine pour s’en débarrasser, la carie existe aussi mais on va chez le dentiste afin de la supprimer, la myopie existe mais on va la corriger chez l’opticien. Je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à souffrir sauf, j’y reviens, récit mythologique chrétien qui invite à faire de la Passion du Christ, c’est-à-dire de sa longue souffrance, de son agonie, de ses tortures, une voie d’accès au salut.
Le spectacle d’un être qui souffre est le pire spectacle au monde, une preuve de l’inexistence de Dieu en même temps qu’une preuve de l’absurdité du monde si on ne lui donne pas soi-même un sens - en ce qui me concerne : avec la philosophie.
Pour l’heure la question n’est pas pour ou contre l’euthanasie mais pour ou contre l’euthanasie sauvage qui a actuellement lieu loin du droit et de la loi, j’en sais quelque chose, ou pour ou contre une euthanasie dans le cadre de la loi et du droit.
Autrement dit : soit une euthanasie pratiquée au coup par coup par des médecins en accord tacite avec des familles hors la loi, soit une euthanasie décidée par des médecins encadrés par le législateur. Ceux qui ont l’argent peuvent effectuer le voyage dans des pays où elle se pratique, ceux qui ont des relations dans le monde médical, autrement dit des passe-droits, le peuvent également. Mais pour les autres ? C’est la double peine…
« On ne joue pas avec la vie », vient de déclarer le pape François à son retour de Marseille. La morale chrétienne, comme les positions des autres religions, ont-elles leur place dans ce débat ?
Il faut légaliser l’euthanasie qui devient une possibilité et non pas une obligation. Ça n’est pas parce que l’avortement est légalisé qu’il est imposé à qui n’en veut pas ! Que chacun ait le choix : l’euthanasie ou les soins palliatifs. Je suis également pour le fait que des médecins refusent de la pratiquer si cela heurte leur conscience ou leur foi.
Quant au Pape qui veut que les cancéreux en phase terminale souffrent pour acheter leur salut et aient le temps de mettre leur conscience en règle, il est mal placé pour inviter à estimer qu’il ne faut pas jouer avec la vie ! Que fait-il d’autre, lui, qui joue avec la vie des autres en leur imposant sa loi ?
D’autres intellectuels avec lesquels vous avez échangé sur ce sujet ne partagent pas votre position sur le droit à l’euthanasie. Michel Houellebecq oppose en quelque sorte à la souffrance « ces petites joies existant même dans une fin de vie amoindrie »; et pour Luc Ferry, « la demande de mort peut recouvrir une demande d’amour » à laquelle il serait, selon lui, « indigne » de répondre par la mort. Que leur répondez-vous ?
Que je connais ces arguments, qu’ils connaissent aussi les miens, car c’est un vieux débat. Or personne n’en a inventé et ni n’en inventera de nouveaux.











