Témoignage patient
Hyperphagie boulimique : "C’est paradoxal, mais le fait de m’être réfugiée dans la nourriture m’a sauvé la vie"
Après 25 ans de crises quotidiennes de boulimie non-associées à des comportements compensatoires, Stella reçoit un diagnostic d’hyperphagie boulimique. Elle nous explique comment la psychothérapie l’aide à mieux gérer ce trouble mental et lui a permis, en parallèle, de venir à bout de sa dépression.

- Par Geneviève Andrianaly
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- Doucefleur/iStock
"Il y a 30 ans, en 1995, il a été confirmé que je souffrais d’un trouble des conduites alimentaires (TCA), mais je m’en doutais déjà avant. Il est difficile de déterminer l’élément déclencheur, mais je me souviens qu’à l’âge de 8 ans, ma mère, dont le comportement en lien avec l’alimentation était pertubé mais non diagnostiqué, m’a mis au régime. À l’époque, je n’avais pas un indice de masse corporel dit normal. Étant donné qu’elle ne voulait pas que je devienne obèse, elle a tenu à ce que je reproduise ce qu’elle faisait et que je perde du poids", confie Stella, aujourd’hui âgée de 62 ans. Elle affirme que le fait de moins manger et de se priver des aliments sucrés et gras, notamment durant son enfance, a provoqué une restriction cognitive, qui a induit le trouble des conduites alimentaires. "Jusqu’à mes 20 ans, je n’étais pas en surpoids, mais à force de me faire comprendre que j’étais grosse, je me suis mis cette idée dans la tête. J’ai donc enchaîné les régimes et pris des coupe-faims pour perdre les quelques petits kilos, pointés du doigt par ma mère. Mais cela m’a valu de monter, plus tard, jusqu’à 140 kilos." Après l’adolescence et le début de l’âge adulte, l’habitante du Rhône-Alpes s’est mariée. "Cette union était très compliquée. J’ai donc utilisé la nourriture pour compenser et appréhender les aléas difficiles de la vie. Tous les jours, et même parfois plusieurs fois dans la journée, je faisais des crises de boulimie." Elle se souvient que les seuls moments durant lesquels elle n’en a pas eu, c’était durant ses grossesses. "Psychiquement j’étais comblé. Alors qu’en dehors de cette période, j’étais en tension. Donc, je m’isolais pour prendre ma dose de nourriture. J’en avais besoin, c’était comme une drogue. J’avalais tout ce qui me tombait sous la main, j’alternais entre produits sucrés et salés. Durant la prise alimentaire, je me sentais mieux, mais juste après je faisais un bad trip. Je culpabilisais et mon estime de moi-même se dégradait. Les troubles des conduites alimentaires, ce sont des addictions, comme à l’alcool par exemple. En cas de crise, je perds le contrôle de ma personne, c’est un petit démon qui prend la main. Et même si je sais que ce comportement est néfaste pour moi, je ne peux pas m’empêcher de continuer à agir comme ça. Par exemple, il m’est déjà arrivé de jeter les croûtes d’une pizza le soir et de les récupérer le lendemain pour les manger, car je faisais une crise." Lorsqu’une crise survient soudainement et qu’elle est entourée de personnes, elle met certaines stratégies en place. "Parfois, je ne pouvais pas attendre d’être seule. Ainsi, je mentais. Pour justifier le fait que je me sois servie trois fois durant le dîner, je disais que je n’avais pas mangé de la journée. Il m’est également arrivé de manger un repas complet avant d’aller dîner chez des proches." Bien que la maman de deux enfants parvienne désormais à dire qu’elle souffre de crises alimentaires, elle ne parle pas en détail de ses crises à son fils, sa fille, son conjoint et ses amis. "Les gens, notre entourage, nos collègues et aussi les membres du corps médical, n’hésitent pas à faire des remarques souvent déplacées, grossophobes, car je suis en surpoids, et ils regardent le contenu de mon assiette. Je veux m’épargner cela, car c’est trop douloureux. Ils ne savent pas ce que je vis. C’est paradoxal, mais le fait de m’être réfugiée dans la nourriture m’a sauvé la vie. Sans ça, j’aurais sans doute mis fin à mes jours." En 1995, la patiente résidant dans la banlieue lyonnaise décide de consulter des professionnels de santé pour prendre en charge son surpoids. Elle est hospitalisée dans un centre d’endocrinologie. "À cette époque, je voulais perdre du poids, c’était obsessionnel. Je me suis dis qu’en faisant un bilan de santé, les médecins allaient se rendre que quelque chose déconnait au niveau de mon métabolisme. Mais, sur place, ils sont aperçus que je souffrais d’hyperphagie boulimique", qui se manifeste par des épisodes récurrents de crises de boulimie, mais sans association à des comportements compensatoires (vomissements, utilisation de laxatifs...). "Le premier jour d’hospitalisation, j’ai hurlé après eux et je leur ai signalé que je n’avais pas assez de nourriture. Je leur en quémandais, car pour moi, le repas servi à tous les patients n’était pas suffisant. En réalité, je le vivais comme un sevrage. Le manque de nourriture était douloureux et cela déclenchait une souffrance, qui doit être accompagnée par la parole et la prise d’anxiolytiques. À partir de ce comportement, les praticiens ont posé le diagnostic." À l’issue de cette annonce, Stella se voit proposer une chirurgie bariatrique. "J’ai refusé, et même jusqu’à aujourd’hui quand les médecins m’en parlent, je refuse. On sait que cette opération ne résout pas un trouble des conduites alimentaires, car l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique sont des maladies mentales, psychiatriques. Le fait de couper un bout de l’estomac fait perdre du poids, mais cela n'arrête pas l’addiction. Je l’ai constaté à travers l’expérience de mon cousin qui s’est fait opérer. De plus, étant donné que la souffrance est présente, mais on ne peut pas l’apaiser en se réfugiant dans la nourriture juste après cette intervention, il peut arriver d’avoir des idées suicidaires. Dans le cadre des TCA, la prise en charge ne doit pas tourner autour de la chirurgie bariatrique ou du comptage de calories, il faut des soins adaptés." Selon elle, cela passe par la psychothérapie. Bien qu’à présent, la mère de famille gère mieux l’hyperphagie boulimique, ce n’est pas tous les jours facile. "Il m’arrive toujours de me demander après la première bouchée si c’est Stella qui garde le pilotage ou si c’est la maladie qui prend la main. Il faut sans cesse lutter contre les TCA, qui représentent la première cause de décès dans les pathologies psychiatriques et qui nécessitent une réelle prise en charge. Les maladies mentales font peur, donc en cas de surpoids, dont le diagnostic est posé, on préfère aller voir un diététicien plutôt qu’un psychiatre, alors que plus tôt on prend soin de notre santé mentale, mieux on se portera !""J’avalais tout ce qui me tombait sous la main, j’alternais entre produits sucrés et salés"
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