L'interview du week-end
Traitement des varices : "Préserver la saphène qui est la voie principale de drainage"
Les varices sont le symptôme le plus visible de la maladie veineuse qui toucherait en France près de 20 millions de personnes. Au-delà du problème esthétique, ces varices peuvent conduire à des complications graves et doivent être traitées. Avec le Dr Paul Pittaluga, chirurgien vasculaire, le point sur les différentes méthodes d'intervention.

- Par Thierry Borsa
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- iStock/Fenton Roman
- Pourquoi Docteur : Avant d’aborder les différentes techniques pour traiter les varices, pouvez-vous préciser ce qu’est la maladie veineuse dont ces varices sont un des symptômes ?
Dr Paul Pittaluga : La maladie veineuse est un problème de retour veineux. Les veines sont les vaisseaux qui ramènent le sang pauvre en oxygène vers le cœur. Cette maladie perturbe la remontée du sang, soit parce qu’il retourne vers les pieds, c’est le cas de la maladie veineuse superficielle, soit parce que les veines sont bouchées et que le sang n’arrive pas à progresser. Pour que le sang ne retourne pas vers les pieds, il y a des valves anti-reflux à l’intérieur des veines. Ce sont les muscles du mollet qui font office de pompe en écrasant les veines, ce qui fait remonter le sang grâce aux valves.
La maladie veineuse est donc une faiblesse de la paroi veineuse qui est héréditaire et qui s’aggrave avec le vieillissement : la veine se dilate ce qui écarte les petits clapets et le sang retombe vers les pieds. Cela provoque une congestion qui fait gonfler les vaisseaux qui sont sous la peau et c’est cela qui donne les varices. Celles-ci sont des branches de la veine principale qui est la veine saphène, celle qui fait remonter le sang vers les veines profondes et le cœur.
- Quelle est la prévalence de la maladie veineuse et à quel moment de la vie peut-elle se manifester ?
Dans les pays industrialisés, on considère que 25 à 30% de la population est touchée par cette maladie, ce qui représente 17 à 20 millions de personnes en France avec une proportion d’hommes et de femmes à peu près identique même si chez les femmes les varices apparaissent plus tôt, notamment à cause des effets hormonaux des grossesses qui font se dilater les veines.
"Les varices ne sont pas qu'un problème esthétique"
L’âge moyen des patientes qui consultent chez moi est de 52 ans, sachant que leurs varices ont commencé à apparaître 10 à 15 ans avant. Mais un tiers des patientes que j’opère ont moins de 45 ans et 15% ont moins de 35 ans.
- Quand est-il nécessaire d’intervenir pour traiter la maladie veineuse ?
Les signes, c’est ce que le médecin peut voir, les varices, une peau abîmée, la présence d’un ulcère. Il y a plusieurs stades de la maladie veineuse et il faut rappeler que les varices ne sont pas qu’un problème esthétique mais qu’il s’agit d’une vraie maladie qui peut obérer la qualité de vie de façon très importante.
Le stade O c’est quand on n’a rien, le stade 1, c’est uniquement les petits capillaires, les varicosités où il n’y a pas de complication possible et d’ailleurs beaucoup de patients en restent à ce stade-là. Le stade 2, ce sont les varices et là cela devient médical parce qu’ensuite le stade 3 c’est une jambe gonflée en permanence, le stade 4 c’est la peau qui s’abîme en devenant cartonnée et foncée et l’évolution amène à l’ulcère variqueux, un trou qui se forme dans la peau qui est fragilisée et qui ne cicatrise pas.
Bas de contention : "Il ne s'agit que d'un traitement palliatif"
Mais dès le stade 2 qui est le plus courant, le plus grand risque est celui de la thrombose : les varices sont des veines dilatées dans lesquelles le sang stagne et commence à former des caillots.
- Peut-on traiter les varices sans chirurgie ?
Il y a d’abord une technique dite conservatrice qui est de porter des bas de contention qui écrasent les veines et permettent au sang de remonter. Cela évite que le problème s’étende mais le souci est qu’il faut porter ces bas du matin au soir, tous les jours et surtout en été parce que la chaleur aggrave les symptômes. Et de toute façon, il ne s’agit que d’un traitement palliatif.
Ensuite il y a les injections de sclérosants, des produits qui irritent la veine par effet d’inflammation pour finir par la boucher et la rendre fibreuse afin qu’elle soit digérée par les globules blancs. C’est une technique qui me parait discutable parce que l’on ne contrôle pas vraiment la réaction inflammatoire.
Il y a une vingtaine d’années, on a connu une petite révolution dans la technique de sclérose en utilisant un produit liquide mélangé à de l’air qui arrive à remplir les grosses veines. Cette méthode est souvent présentée comme une alternative permettant d’éviter la chirurgie.
- Et quelles sont les techniques chirurgicales ?
Il y a la technique traditionnelle, le stripping, toujours pratiquée en France qui consiste à aborder la veine saphène là où elle rejoint les veines profondes au pli de l’aine. Cette technique repose sur une explication de la maladie qui est que c’est que c’est dans le pli de l’aine que la saphène commence à craquer et que c’est ce qui provoque vers le bas le gonflement des branches et les varices : il faut donc couper le robinet qui alimente ces varices. Dans le stripping, on introduit donc dans la saphène un guide que l’on récupère au niveau du mollet et entre le pli de l’aine et le mollet, on arrache tout, ce que l’on appelle une extraction chirurgicale. C’est efficace mais c‘est quand même un peu agressif et cela donne des hématomes.
Stripping et techniques endoveineuses : "Les trois quarts des personnes traitées ont des varices qui reviennent"
Au début des années 2000, on a mis au point des techniques dites endoveineuses : on repère où est la saphène avec une échographie et, sous anesthésie locale, on y introduit un élément chauffant, laser ou radiofréquence, ce qui provoque une sclérose de la saphène qui est ensuite digérée par l’organisme. Avec un recul de plus de 20 ans, on a avec cette technique beaucoup moins agressive des résultats assez efficaces au point que dans certains pays, dans le cadre de soins pris en charge, cette technique a totalement supplanté le stripping. Mais cela nécessite ensuite, une fois que l’on a supprimé la saphène, d’intervenir de la même manière sur les petites veines qui créent les varices.
- Ces techniques permettent-t-elles de d’éliminer définitivement les varices ?
Non ! Le taux de récidive avec ces techniques est absolument énorme ! A dix ans, les trois quarts des personnes qui ont été traitées ainsi ont des varices qui reviennent. Certaines reviennent même avec encore plus de varices qu’avant ces interventions.
- Vous-même pratiquez aujourd’hui de préférence une méthode dite ASVAL. De quoi s’agit-il et sur quelle nouvelle approche s’appuie cette méthode ?
C’est en partant de constat du retour des varices sur les branches normales après avoir enlevé la saphène que je me suis interrogé. En 2003 avec mon équipe à Nice et à Monaco, nous nous sommes dits que peut être le phénomène aboutissant aux varices partait des branches, que c’étaient elle qui, en devenant des réservoirs variqueux, dégradaient la saphène. Et nous en avons déduit que le fait d’enlever les branches permettait à la saphène de guérir. Aujourd’hui il est admis que cette technique est intéressante parce qu’elle a la même efficacité mais en préservant la saphène qui est la voie principale de drainage.
- Quel est l’intérêt de préserver la veine saphène ?
On dit que 90% du volume du sang d’un membre est drainé par les veines profondes qui ne concernent pas les varices mais dont la dégradation provoque des phlébites. Mais le système superficiel et le système profond sont deux systèmes séparés : la communication entre les deux ne se fait que par quelques points qu’on appelle des veines perforantes.
"La veine saphène draine presque 100% du flux superficiel"
Le système veineux superficiel sur lequel apparaissent les varices draine la peau et le tissu cutané ce qui est essentiel pour la thermorégulation du corps. C’est pour cela que les veines se dilatent quand il fait chaud et se contractent quand il fait froid. Et c’est la saphène qui draine presque 100% de ce flux superficiel. D’où le vrai bénéfice que l’on a de la conserver ! Quand on l’enlève, le flux va se répartir non pas dans les veines profondes mais surtout dans les petites branches qui sont elles-mêmes les plus fragiles.
- Techniquement, comment se passe cette intervention ?
C’est très simple dans le principe. On ne cible que les branches malades, les varices que l’on repère par l’examen clinique et l’échographie. Ensuite on intervient avec des micro-incisions à l’aiguille qui permettent de retirer les varices avec un petit crochet. C’est très peu invasif, on sort une heure après ! Mais c’est de la micro-chirurgie qui demande une formation. Donc tous les chirurgiens n’osent pas forcément la pratiquer alors que c’est un tel bénéfice et j’aimerais bien que tous les patients soient traités comme cela.
- Cette méthode permet-elle de supprimer une fois pour toutes les varices ?
Non, elle n’empêche pas les varices de réapparaître. Le taux de ré-intervention à 10 ans est de 25%. Et parmi ces patients, chez 3 à 4%, on a dû finalement enlever la saphène, mais dans le cadre d’une intervention qui est alors beaucoup plus simple. Donc on ne peut pas dire aux patients vos varices ne reviendront pas, mais ce qu’on peut leur dire c’est que si elles reviennent, ils n’auront jamais autant de varices que celles qui réapparaissent parce qu’en ayant conservé la physiologie veineuse, on peut intervenir tout de suite.
- Ce mode d’intervention pour traiter les varices n’est actuellement pas prise en charge par l’Assurance maladie. Pourquoi ?
Il faut rappeler que le laser qui a remplacé la chirurgie aux Etats-Unis en 2010 n’a été remboursé en France qu’en 2022 malgré un nombre très important de preuves scientifiques ! Donc la technique ASVAL que peu utilisent se heurte à une Assurance maladie qui a du mal à favoriser ce qui est innovant pour privilégier ce qui est fait par le plus grand nombre au prix le plus bas possible.
"Pour la HAS, un niveau de preuve trop bas pour être remboursée"
Et la HAS (Haute Aurorité deSanté) qui est garante de la qualité des soins se base, elle, sur des études publiées, c’est le principe de la médecine basée sur des preuves. Mais cela passe par un calcul pour évaluer le niveau de preuve selon le nombre d’études publiées et le niveau de preuve s’évalue sur le niveau d’études randomisées contrôlées. Or ces études sont très chères et comme cette technique ASVAL n’utilise pas les produits de l’industrie, celle-ci n'a pas d’intérêt à leur financement … Donc pour la HAS, cette méthode est jugée comme ayant un niveau de preuve trop bas pour être remboursée.
Les pays où elle s’est développée sont des pays où il n’y a pas de prise en charge publique des soins et où les médecins choisissent ce qui est mieux et le moins coûteux pour leurs patients...