L'interview du week-end
Ménopause : "De nombreuses femmes qui souffrent ne sont pas traitées alors qu’elles devraient l’être"
Alors que 87 % des femmes ressentent au moins un symptôme lié à la ménopause, sa prise en charge reste pourtant aujourd'hui largement défaillante, et le sujet encore tabou. La gynécologue Brigitte Letombe, du GEMVI, entend sensibiliser davantage les femmes aux solutions qui existent et les inciter à consulter si nécessaire.

- Par Stanislas Deve
- Commenting
- champpixs / istock
Dr Brigitte Letombe est gynécologue médicale et membre du bureau du GEMVI (Groupe d’Etude sur la Ménopause et le Vieillissement hormonal), la Société Française de Ménopause.
Pourquoi Docteur : Comment définir la ménopause ?
Dr Letombe : La ménopause est un état physiologique touchant toutes les femmes qui ont la chance d’arriver à la cinquantaine. Le diagnostic clinique correspond à une absence de règles de plus d’un an survenant entre 45 et 55 ans (51 ans en moyenne en France). Du fait de l’arrêt de la fonction ovarienne, il n’y a plus d’ovulation, plus de fertilité. Mais ce qui pose problème, c’est qu’en même temps la fonction endocrine s’interrompt, c’est-à-dire que les ovaires ne sécrètent plus d’œstradiol ni de progestérone. Or, les femmes sont imprégnées de ces hormones depuis leurs premières menstruations. On estime donc qu’environ trois femmes sur quatre vont souffrir de cette carence hormonale. D’où l’intérêt des traitements à base d’hormones bio-identiques.
Quels peuvent être leurs symptômes ?
Selon l’étude ELISA, 87 % des femmes ressentent au moins un symptôme de ménopause, le plus fréquent – et probablement le plus invalidant – étant évidemment vasomoteur : ce sont les sueurs nocturnes et les bouffées de chaleur, qui durent en moyenne 7,5 ans. Certaines femmes, en périménopause, commencent toutefois à présenter ces symptômes deux ou trois ans avant l’arrêt des règles. Ce sont elles, d’ailleurs, qui auront les bouffées de chaleur les plus persistantes dans le temps.
Mais il existe d’autres symptômes moins connus de la ménopause. De nombreuses femmes ignorent que les douleurs articulaires, les troubles dépressifs, du sommeil, de mémorisation, de concentration... peuvent être en rapport avec une hypoœstrogénie. Plus d’un quart des femmes (20-25 %) ont même une symptomatologie majeure, se plaignant d’une altération de la qualité de vie cotée de 8 à 10 sur 10.
Les femmes ménopausées consultent peu car il y a aujourd’hui l’idée que la ménopause n’est qu’une étape physiologique, qu’il faudrait donc vivre avec, gérer au mieux.
En quoi le parcours des femmes ménopausées est, selon vous, "particulièrement chaotique" ?
Les femmes ménopausées cherchent des solutions, mais en France, elles ont peur du traitement hormonal, du fait de sa médiatisation très négative. En 2002, la célèbre étude américaine WHI a montré que certains traitements hormonaux avaient des effets cardiovasculaires délétères. Les médecins formés après cette date ont donc peu à peu arrêté de prescrire ce type de traitement. Et ce, alors même que l’étude s’appuyait sur une population âgée (donc éloignée de l’installation de ménopause) et à risque cardiovasculaire (surpoids, hypertension...), ainsi que sur un traitement très différent du "traitement à la française" (œstrogènes équins en normodosé, oral, avec un progestatif de synthèse).
Résultat, avant 2002, 35 % des femmes ménopausées en France bénéficiaient d’un traitement hormonal, contre seulement 2,5 % aujourd’hui, selon un récent rapport parlementaire. De nombreuses femmes qui souffrent ne sont pas traitées alors qu’elles devraient l’être – ne serait-ce que pour prévenir certaines pathologies graves ultérieures (maladies cardiovasculaires, ostéoporose...). Mais les femmes consultent peu car il y a aujourd’hui l’idée que la ménopause n’est qu’une étape physiologique, qu’il faudrait donc vivre avec, gérer au mieux. D’autant qu’il y a une forte tendance aux prises en charge alternatives, comme les thérapies comportementales, les compléments alimentaires... Des solutions qui certes peuvent fonctionner, notamment pour les symptômes vasomoteurs (dont l’effet placebo est autour de 30 %), mais pas pour toutes les femmes concernées, notamment celles qui sont très impactées par la carence estrogénique.
Comment expliquer cette frilosité vis-à-vis du traitement hormonal ?
Beaucoup de journaux font immédiatement le lien entre traitement hormonal et cancer du sein. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun lien, mais alors que nous sommes passés de 35 % à 2,5 % de femmes traitées en vingt ans, il n’y a pas eu d’inflexion de la fréquence du cancer mammaire, bien au contraire ... Tous les cancers hormono-dépendants, comme ceux du sein, de la thyroïde et de la prostate, augmentent de manière constante. Le vieillissement de la population, le manque d’hygiène de vie, le surpoids, le tabac, l’alcool ou encore le manque d’activité physique sont chacun des facteurs de risque au moins équivalents au risque du traitement hormonal. Fait-on pour autant les gros titres sur l’obésité et le cancer du sein, ou la sédentarité et le cancer du sein ? Non, et pourtant, c’est le même risque relatif. On ne parle pas non plus du fait qu’un des premiers facteurs de risque de cancer mammaire est que les femmes ne font plus ou font des enfants de plus en plus tard.
Alors que quatre femmes ménopausées sur cinq souffrent de bouffées de chaleurs et de sueurs nocturnes, il y a une place pour les thérapies non hormonales – qui ont montré une efficacité double par rapport au placebo [pour les symptômes vasomoteurs].
A partir de quand prendre un traitement, hormonal ou non ?
On recommande d’avoir une ménopause installée avant d’envisager un traitement hormonal, pour éviter de mettre la femme en hyperœstrogénie. La prise en charge de la périménopause s’avère donc plus compliquée que la ménopause, et on comprend que certaines femmes aient recours à des soins alternatifs. Par ailleurs, toutes les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas prendre un traitement hormonal. Elles peuvent notamment opter pour certains traitements non hormonaux efficaces contre les symptômes vasomoteurs. Alors que quatre femmes ménopausées sur cinq souffrent de bouffées de chaleurs et de sueurs nocturnes, il y a une place pour ce type de thérapies – qui ont montré une efficacité double par rapport au placebo.
Parmi les traitements non hormonaux, on compte le Veoza, commercialisé aux Etats-Unis depuis un an et en France depuis mi-avril. L’ANSM, l’agence française du médicament, indique toutefois que "des lésions hépatiques graves ont été observées avec le fézolinétant", le principe actif du Veoza...
Ce n’est pas nouveau, le risque de pathologie hépatique figure déjà dans le Résumé des caractéristiques du produits (RCP). Au préalable de toute prescription, un bilan hépatique mensuel est donc prévu pour les patients pendant trois mois. L’alerte de l’ANSM n’est qu’un rappel du RCP, une précaution.
Une femme sur deux n’ose même pas parler de leur ménopause à leur compagnon. Pourquoi un tel tabou ?
C’est très franco-français. Aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, on parle de ménopause sans aucun problème. Ici, elle est connotée à une perte de la fertilité, une perte de sa féminité, au vieillissement – et nous vivons dans une société du jeunisme. Preuve que le tabou persiste : l’âge de ménopause est souvent familial et, alors que je demande toujours à mes patientes l’âge de ménopause de leur mère, seule une femme sur dix est capable de me répondre. "Avec ma mère, on ne parle pas de ça", disent-elles.
En quoi les impacts de la ménopause dépassent-ils le cadre médical ? En quoi bouleversent-ils leur parcours professionnel notamment ?
Les symptômes de la ménopause peuvent pousser des femmes à quitter leur emploi. Elles ont l’impression de souffrir d’une baisse de performances, d’une perte de compétences, alors que c’est simplement une adaptation à un manque hormonal. Mais les choses ont tendance à bouger : il y a de plus en plus de sensibilisation dans les entreprises, de podcasts, de documentaires, de femmes qui en parlent...
Tout médecin qui rencontre une femme entre 45 et 55 ans doit [...] connaître les symptômes autres (troubles de concentration, du sommeil, dépressifs, douleurs articulaires, symptômes génito-urinaires...) qui peuvent signaler une hypoœstrogénie.
Que penser justement des propositions dévoilées dans le dernier rapport parlementaire sur la ménopause ?
C’est toujours positif qu’un état des lieux soit réalisé par un membre politique – quand ce sont les médecins, il y a souvent un soupçon de conflit d’intérêt, de tel ou tel parti pris. Ces propositions sont très intéressantes mais encore faut-il qu’elles débouchent sur des actes. Des rapports, il y en a toujours beaucoup... Attendons les décisions.
Le mode de vie importe-t-il pour bien vivre sa ménopause ?
Avant d’envisager tout traitement, l’hygiène de vie est la première des choses à laquelle s’intéresser en consultation pour cette tranche d’âge. Le tabac et l’alcool augmentent toute la symptomatologie de la ménopause, notamment vasomotrice, ainsi que les risques cardiovasculaires, carcinologiques voire ostéoporotiques. Viennent ensuite l’alimentation et l’activité physique, puis un état des lieux des risques familiaux, l’histoire personnelle, l’altération de sa qualité de vie... Ce n’est qu’à la fin que l’on peut éventuellement envisager un traitement hormonal si la femme le désire et toujours après une information complète sur la balance bénéfices/ risques (à retrouver sur le site www.gemvi.org).
Quelle serait votre première mesure en tant que ministre de la Santé ?
Améliorer la sensibilisation et l’information des femmes, ce que je m’efforce de faire. Quand une femme est informée de ce qui peut correspondre dans sa symptomatologie à un trouble hormonal, elle peut envisager de consulter et ne pas s’en tenir à considérer que c’est une fatalité liée à son âge. De même, tout praticien qui rencontre une femme entre 45 et 55 ans doit s’enquérir de ses troubles de cycle voire de l’aménorrhée et connaître les symptômes autres (troubles de concentration, dépressifs, troubles du sommeil, douleurs articulaires, symptômes génito-urinaires...) qui peuvent signaler une hypoœstrogénie et proposer une prise en charge si nécessaire.