Rhumatologie
Lupus et hydroxychloroquine : importance du monitorage des taux sériques
Surveiller les taux d’hydroxychloroquine dans le sang permettrait de sécuriser le traitement du lupus : au-delà de 1 150 ng/mL le risque de toxicité systémique doublerait sans bénéfice clinique supplémentaire, tandis que le créneau 750-1 150 ng/mL réduirait de 40 % l’activité de la maladie. Une vigilance particulière doit être observée dès le stade 3 de maladie rénale chronique.

- BartekSzewczyk/istock
L’hydroxychloroquine (HCQ) est le traitement pivot du lupus dès la première ligne et cela nécessite de concilier efficacité immunomodulatrice et prévention de la toxicité cardiaque ou rétinienne. La dose d'hydroxychloroquine est déterminée en fonction du poids corporel, la dose recommandée étant de 5 mg/kg. Des données antérieures ont montré que des doses supérieures à ce niveau doublent le risque de rétinopathie par rapport au niveau de 4 à 5 mg/kg/j, tandis que celles de 5 mg/kg/j ou moins sont associées à un risque deux à six fois plus élevé de poussées de la maladie. Jusqu’à présent, le dosage sérique n’était guère utilisé faute de seuil validé.
En agrégeant deux cohortes prospectives américaine et française (n = 1 240 après exclusion des fortes non-observances < 200 ng/mL), une équipe de recherche de l’Université du Wisconsin et de Cochin a recherché le point d’inflexion où le gain clinique devient maximal et où le risque de toxicité systémique augmente.
Selon les résultats présentés au congrès européen de rhumatologie, l’EULAR, par comparaison à des concentrations plus basses, un niveau supérieur à 1 150 ng/mL multiplierait par 2,2 le risque de survenue d’une toxicité systémique (IC à 95 % 1,3-3,7), alors que la probabilité d’activité lupique (SLEDAI ≥ 6) ne baisse plus. À l’inverse, rester entre 750 et 1 150 ng/mL ferait baisser de 40% le risque de poussée, validant pour la première fois une zone thérapeutique efficace.
Vigilance particulière si la clairance de la créatinine baisse en dessous de 60 ml/min
La nouvelle étude montre également que lorsque le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) progresse, les taux sériques d'hydroxychloroquine dans le sang augmentent également. Chez les patients avec eGFR < 60 mL/min/1,73 m² (CKD ≥ stade 3), la probabilité d’avoir une concentration supra-thérapeutique triple (OR 3,0 ; p < 0,001). L’analyse longitudinale montre qu’un schéma > 5 mg/kg/j accroît encore le niveau sanguin : +114, +228 puis +342 ng/mL pour des déclins d’eGFR de 10, 20 et 30 unités, contre +61, +122 et +183 ng/mL lorsque le dosage respecte la limite de 5 mg/kg/j.
En revanche, chez les patients à fonction rénale préservée (eGFR > 60), la dose pondérale n’influence pas significativement la concentration. Sur l’ensemble du suivi, 4,3 % des malades ont eu une toxicité de l’HCQ ; aucune n’est survenue en deçà de 750 ng/mL. Cela suggère que la surveillance des taux sériques d'hydroxychloroquine pourrait être particulièrement utile chez les personnes souffrant d'une maladie rénale chronique : contrôle semestriel de la HCQémie dès le stade 3 de MRC, ajustement à 5 mg/kg/j ou moins. De même, il serait utile de renforcer l’observance lorsque le taux est < 750 ng/mL.
Surveiller les taux sériques d’hydroxychloroquine dès que la fonction rénale est altérée
Les données proviennent de deux registres longitudinaux (Wisconsin & Paris), incluant des dosages LC-MS/MS normalisés et un SLEDAI concomitant, ce qui assure la contemporanéité exposition-réponse. L’effectif (92 % de femmes, médiane d’âge 40 ans) reflète la réalité épidémiologique du lupus. L’exclusion intentionnelle des valeurs < 200 ng/mL limite le biais de non-adhérence mais pourrait minorer la fréquence des poussées. Le recours à des modèles mixtes ajustés sur poids, dose, corticostéroïdes et eGFR renforce la robustesse des seuils identifiés.
Selon les auteurs, ces résultats justifient l’introduction du dosage de l’hydroxychloroquinémie dans la visite de routine, comme on le fait pour la créatinine ou les enzymes hépatiques. Ils plaident pour des abaques de dose tenant compte de la fonction rénale, l’objectif thérapeutique étant compris entre 750 et 1 150 ng/mL hors grossesse.
Les études à venir devront tester l’impact d’un algorithme « dose-test-ajustement » sur la survie sans poussée et la prévention de la rétinopathie dans des essais contrôlés, mais aussi définir une cible inférieure spécifique chez l’enfant ou la femme enceinte.