Onco-Digestif

Cancers colorectaux avec instabilité microsatellitaire : Nivolumab + Ipilimumab en nouveau standard

L’association d’immunothérapies (nivolumab + ipilimumab) offre un contrôle durable avec un bénéfice significatif en survie sans progression face au traitement par nivolumab seul et face à la chimiothérapie dans le cancer colorectal métastatique à instabilité microsatellitaire élevée (MSI-H) ou déficit du système MMR (dMMR). Ces résultats suggèrent l’émergence d’un nouveau standard de soins pour cette population à haut risque.

  • Haneefa Nizamudeen/istock
  • 30 Janvier 2025
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    Le cancer colorectal métastatique avec instabilité microsatellitaire élevée (MSI-H) ou un déficit de réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR) concerne environ 4 à 7 % des patients. Historiquement, ces tumeurs résistent aux chimiothérapies classiques, et même à certains traitements ciblés. Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (checkpoint inhibitors) tels que les anti-PD-1 ont cependant montré des progrès notables : dans l’essai KEYNOTE-177, le pembrolizumab a amélioré la survie sans progression (SSP) par rapport à la chimiothérapie en première ligne chez ces patients. Toutefois, une proportion significative de patients (environ 29 %) ont eu une progression d’emblée.

    L’essai de phase 3 CheckMate 8HW, international et multicentrique, visait à comparer deux stratégies immunitaires : la monothérapie par nivolumab (anti-PD-1) et la double immunothérapie (nivolumab + ipilimumab) à la chimiothérapie ± thérapie ciblée. Deux critères de jugement principaux (dual primary endpoints) portaient sur la SSP évaluée par un comité indépendant en aveugle. Les résultats antérieurs avaient montré, en première ligne, une amélioration majeure de la SSP avec nivolumab + ipilimumab versus chimiothérapie (médiane non atteinte vs 5,9 mois ; HR = 0,21 ; p < 0,0001). L’analyse présentée ici se focalise sur la SSP de nivolumab + ipilimumab versus nivolumab seul (toutes lignes confondues).

    Selon les résultats, présentés à l’ASCO-GI 2025 et publiés dans The Lancet, sur 707 patients randomisés (ratio 2:2:1), 582 avaient une confirmation centrale de MSI-H/dMMR. Après un suivi médian de 47 mois, la SSP médiane n’est pas atteinte sous double immunothérapie (IC à 95 % : 53,8 à non évaluable) versus 39,3 mois (22,1‑NE) sous nivolumab (HR = 0,62 ; p = 0,0003). Les effets indésirables grade 3/4 liés au traitement concernent 22 % du groupe « combo » contre 14 % en monothérapie, reflétant un profil de tolérance attendu.

    Un bénéfice constant dans la plupart des sous-groupes

    Le taux de réponse objective (ORR) s’avère plus élevé sous nivolumab + ipilimumab que sous nivolumab, entraînant moins de « progression d’emblée » comme meilleure réponse. Les analyses de sous-groupes révèlent un bénéfice constant dans la plupart des catégories (âge, sexe, état général, lignes de traitement, etc.).

    En premier ligne, la survie sans progression à 2 et 3 ans reste supérieure sous double immunothérapie, confirmant la robustesse des données initiales. Notons cependant qu’environ 14 % des patients étaient potentiellement mal diagnostiqués (statut MSI-H/dMMR erroné selon les tests locaux versus l’évaluation centrale), ce qui souligne l’importance de méthodes standardisées de détection.

    Du point de vue de la tolérance, la double immunothérapie augmente le risque d’effets secondaires immuno-médiés, particulièrement endocriniens, le plus souvent de grade 1 ou 2. Trois décès liés au traitement ont été rapportés (2 sous la combinaison, 1 sous nivolumab seul). Malgré cette majoration du risque, la qualité de vie (QdV) auto-rapportée demeure globalement préservée et s’améliore même dans les deux groupes, sans qu’il y ait de dégradation notable en lien avec la double immunothérapie.

    Une étude randomisée avec évaluation en aveugle

    L’étude CheckMate 8HW est un essai de phase 3, l’international, randomisé, en ouvert,. Les patients inclus étaient immuno‑naïfs et présentaient un CCR métastatique non résécable, confirmé MSI-H/dMMR soit localement, soit par un test central. La randomisation (2:2:1) attribuait les malades à l’association nivolumab + ipilimumab, au nivolumab seul ou à une association chimiothérapie ± agent ciblé.

    Les critères de jugement principaux (SSP) ont été évalués par un comité indépendant en aveugle, diminuant les biais potentiels liés à l’absence d’aveugle pour le patient et le médecin. La représentativité de l’étude est solide, compte tenu de la variété géographique, mais la proportion de sous-groupes spécifiques (par exemple, patients pré-traités vs non pré-traités) reste à analyser plus finement.

    Vers un nouveau standard de traitement en première ligne

    Selon les auteurs, ces résultats positionnent clairement la double immunothérapie nivolumab + ipilimumab comme une option privilégiée pour les tumeurs MSI-H/dMMR, tant en première ligne que sur des lignes ultérieures. La perspective d’atteindre une SSP médiane non encore atteinte à près de 4 ans de suivi illustre le potentiel de contrôle durable de la maladie.

    Sur le plan de la pratique, ces données incitent à déployer davantage le statut MSI-H/dMMR comme test systématique, à s’appuyer sur des méthodes de diagnostic robustes et à offrir la double immunothérapie aux patients éligibles, en veillant à une surveillance étroite des toxicités immuno-médiées.

    Des études sont nécessaires pour aborder l’impact d’une escalade/descalade thérapeutique (par exemple, interrompre l’ipilimumab après une certaine période), la combinaison avec d’autres approches ciblées ou la stratification selon des biomarqueurs plus pointus (p. ex. ADN tumoral circulant).

    En conclusion, CheckMate 8HW consolide le rôle de la double immunothérapie dans le cancer colorectal métastatique MSI-H/dMMR, apportant un gain majeur en survie sans progression et un taux de réponse important, sans altération excessive de la qualité de vie. Elle constitue désormais une nouvelle référence dans ce sous-groupe de tumeurs jusqu’alors difficile à traiter.

     

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