Hématologie

Lymphome du manteau : un traitement chemo-free dès la première ligne ?

Le pronostic des patients âgés atteints de lymphome à cellules du manteau (LCM) de stade avancé est défavorable en raison notamment de leur inéligibilité à l’immunochimiothérapie intensive et l’intensification thérapeutique. Les inhibiteurs de BTK, largement utilisés dans le contexte de la rechute ou des maladies réfractaires, pourraient être une alternative innovante pour ces patients. A la faveur d’une autorisation d’utilisation lors de la pandémie de Covid-19, les auteurs de cette étude observationnelle ont évalué l’ibrutinib en première ligne des patients atteints de LCM.

  • Jitendra Jadhav/istock
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  • 05 Avril 2024
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    Le lymphome à cellules du manteau (LCM) de stade avancé est une hémopathie lymphoïde B présentant un large éventail de manifestations cliniques et d'approches thérapeutiques, allant de la surveillance active pour les maladies asymptomatiques et cliniquement indolentes, à une immunochimiothérapie en urgence pour les variants agressifs1. Certains patients, en bonne condition physique, peuvent présenter des réponses durables après immunochimiothérapie intensive associée à une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques et à un entretien par rituximab. En revanche, la majorité des patients sont plus âgés au diagnostic et une immunochimiothérapie non-intensive sera alors le socle de traitement, avec des résultats inférieurs et une toxicité significative.

    L'ibrutinib, un inhibiteur oral de la tyrosine kinase de Bruton, largement utilisé dans le contexte du LCM en rechute ou réfractaire (R/R) 2,3 suscite l'intérêt en traitement de première ligne des patients les plus âgés et/ou inéligibles à la greffe. Au cours de la pandémie de Covid-19, l'ibrutinib ayant été approuvé en Angleterre en traitement de première ligne du LCM, les auteurs de cette étude ont mené une étude observationnelle multicentrique évaluant l’efficacité et la tolérance de ce traitement en première ligne chez des patients atteints de LCM 4.

    Une cohorte de patients âgés et de stade avancé

    Entre Avril 2020 et Septembre 2022, les données de 149 patients atteints de LCM de haut risque et naïfs de traitement ont été colligées. Les patients recevaient un traitement par ibrutinib en monothérapie (560 mg par jour) ou associé à une immunothérapie par rituximab (375 mg/m2 IV ou 1400 mg SC, jusqu'à 6 cycles de 28 jours) jusqu’à progression de la maladie, toxicité limitante ou décès. Un traitement d'entretien par rituximab était autorisé pour une durée maximale de 2 ans.

    L’âge médian était de 75 ans (41-94) et 74% des patients étaient des hommes. La très grande majorité des patients (92,8%) avaient un stade avancé (III/IV) et environ la moitié présentait une atteinte extranodale et/ou des symptômes B (respectivement 55,7% et 42,0%). En termes de risque, respectivement 6,7% et 2,7% des patients avaient une mutation ou une délétion du gène TP53 ; tandis que 36% des patients (n=54) présentaient une caractéristique de maladie à haut risque (TP53+, variante blastoïde/pléomorphe, Ki67%/MiB-1 ≥30%). En considérant le score MIPI, 13,3% des patients étaient de faible risque (0-3), 36,3% de risque intermédiaire (4-5) et 50,4% de haut risque (≥6).

    Des données d’efficacité prometteuses

    Avec un suivi médian de 15,6 mois (0-31), les patients avaient reçu une médiane de 8 cycles d’ibrutinib (1-33) et 39,0% des patients (n=55) avaient reçu du rituximab (médiane de 6 cycles, 1-17). Le taux de réponse globale était de 71,2% (dont 20,2% de réponse complète radiologique et 51,0% de réponse partielle) et était significativement inférieur chez les patients de haut-risque (59,0%, P=0,047).

    La médiane de survie sans-progression (SSP) pour l’ensemble de la cohorte était de 26 mois (95%CI, 14,4-NR) tandis que la médiane de survie globale (SG) n’était pas atteinte (95%CI, 19,9-NR). La présence d’une caractéristique de haut risque était significativement associée à une SSP et une SG plus courtes [respectivement 13,7 mois contre NR (HR 2,19 ; 95%CI 1,28-3,73 ; P=0,004) ; et 14,8 mois contre NR (HR 2,36 ; 95%CI 1,35-4,27 ; P=0,005). La survie médiane après ibrutinib était de 1,4 mois et était significativement supérieure chez 41,9% des patients recevant un traitement ultérieur (8,6 vs 0,6 mois ; HR 0,36 ; P=0,002).

    Une toxicité nécessitant de nombreuses adaptations/interruptions

    Si 92% des patients avaient initié l’ibrutinib à la dose de 560 mg, 33,8% (n=46) ont eu recours à une réduction de dose et 41,6% (n=62) ont interrompu le traitement. Les principaux motifs d’interruption étaient la progression de la maladie (22,1%), une toxicité sévère (8,1%) et le décès (5,4%).

    Vingt-sept patients (20,3%) ont présenté un effet indésirable de grade ≥3, dont les principaux étaient les infections (7,4%), la fibrillation atriale (6,6%), les saignements (4,0%) et les cytopénies (4,0%). Les patients recevant du rituximab présentaient un risque supérieur de manifester une toxicité de grade ≥3 (OR 3,221 ; 95%CI 1,202-8,201 ; P=0,019) et notamment une infection (OR 4,174 ; 95%CI 1,169-14,99 ; P=0,051).

    Conclusion

    Les résultats de cette étude observationnelle suggèrent que le traitement par ibrutinib, avec ou sans rituximab, est efficace et relativement bien toléré dès la première ligne chez les patients atteints de LCM, y compris chez les patients les plus âgés et/ou inéligibles à une intensification thérapeutique. En revanche, les données de survie des patients présentant une maladie à haut risque, ou en rechute post-ibrutinib, soulignent le besoin urgent de stratégies innovantes dans ce contexte.

     

    Références

    1. Maddocks K. Update on mantle cell lymphoma. Blood 2018;132:1647-56.
    2. Wang ML, Rule S, Martin P, et al. Targeting BTK with ibrutinib in relapsed or refractory mantle-cell lymphoma. N Engl J Med 2013;369:507-16.
    3. Wang ML, Blum KA, Martin P, et al. Long-term follow-up of MCL patients treated with single-agent ibrutinib: updated safety and efficacy results. Blood 2015;126:739-45.
    4. Tivey A, Shotton R, Eyre TA, et al. Ibrutinib as first-line therapy for mantle cell lymphoma: a multicenter, real-world UK study. Blood Adv 2024;8:1209-19.

     

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