Nutrition
Cancer du colon : une alimentation pro-inflammatoire majore la mortalité
Dans une cohorte de 1 625 patients avec cancer du côlon stade III, un score alimentaire fortement inflammatoire (EDIP élevé) majore de 87 % la mortalité globale après chirurgie et chimiothérapie adjuvante. Un régime anti-inflammatoire, associé à une activité physique régulière, réduit le risque de décès de 63 %.

- Inside Creative House/istock
L’idée que l’environnement métabolique et inflammatoire puisse influencer l’évolution d’un cancer imprègne la littérature depuis deux décennies, mais les preuves restaient essentiellement pré-diagnostiques. En exploitant, au sein de l’essai randomisé CALGB/SWOG 80702, les questionnaires alimentaires remplis à six semaines puis à quatorze-seize mois après la randomisation, une équipe de Boston a voulu savoir si le profil inflammatoire du régime influençait la survie des malades déjà opérés et traités par FOLFOX ou CAPOX, avec ou sans célécoxib.
Chaque participant s’est vu attribuer un score EDIP, somme pondérée de dix-huit groupes alimentaires : neuf pro-inflammatoires (viandes rouges et transformées, céréales raffinées, boissons sucrées, etc.) et neuf anti-inflammatoires (café, thé, légumes verts feuillus, crucifères, etc.). Selon les résultats présentés au congrès annuel de l’ASCO, après un suivi médian d’un peu plus de cinq ans, les patients appartenant au quintile le plus inflammatoire de l’alimentation ont un hazard ratio de mortalité globale de 1,87 par rapport au quintile le plus protecteur, indépendamment de l’âge, du sexe, du statut ASA, de l’ECOG et du traitement reçu.
Un régime alimentaire anti-inflammatoire associé à l’activité physique réduit le risque
Au-delà de cette donnée pivot, plusieurs résultats secondaires affinent le message. La combinaison d’un régime anti-inflammatoire et d’au moins neuf MET-heures d’activité hebdomadaire (environ trois heures de marche rapide) confère la meilleure espérance, avec une diminution de 63 % du risque de décès par rapport au couple alimentation pro-inflammatoire/faible activité. Les auteurs n’observent pas d’influence significative du score EDIP sur la survie sans maladie, suggérant un impact différentiel sur les décès non liés à la récidive ou sur la tolérance aux rechutes.
Ni l’usage d’aspirine à faible dose, ni l’ajout de célécoxib, ni la durée de chimiothérapie ne modifient la relation, ce qui renforce l’hypothèse d’un effet propre du terrain inflammatoire systémique. Sur le plan phénotypique, les régimes pro-inflammatoires sont plus fréquents chez les patients plus jeunes, de sexe féminin, avec performance ECOG 1-2, et surtout chez les Afro-Américains, pointant un possible déterminant socioculturel et des inégalités nutritionnelles.
Une étude observationnelle prospective qui n’établit pas la causalité mais une relation inverse
Ces conclusions reposent sur un sous-groupe large, prospectivement suivi, mais demeurent observationnelles : le rappel alimentaire peut souffrir de biais de mémoire, l’évolution des habitudes après 16 mois n’a pas été contrôlée et les biomarqueurs inflammatoires sériques n’ont pas été corrélés au score. Toutefois, l’utilisation de données d’un essai de phase 3 garantit l’homogénéité des traitements et une validation centralisée des événements, ce qui limite les biais de confusion. Les caractéristiques démographiques reflètent fidèlement l’épidémiologie nord-américaine du côlon stade III, ce qui plaide pour une bonne généralisabilité, à condition d’intégrer les contextes socio-économiques locaux.
Selon les auteurs, ces données invitent les oncologues à intégrer dès la fin de la chimiothérapie adjuvante un conseil nutritionnel structuré orienté vers la réduction de la charge inflammatoire (diminution des viandes transformées, index glycémique bas, augmentation des végétaux et des boissons non sucrées) et à promouvoir une activité physique modérée mais régulière.
Elles justifient également la mise en route d’essais randomisés 2×2 combinant intervention diététique et exercice pour confirmer la causalité, identifier les mécanismes (microbiote, cytokines, insulinémie) et préciser le bénéfice dans les sous-groupes à haut risque, notamment chez les patients métaboliquement fragiles ou d’origines ethniques exposées à une alimentation pro-inflammatoire. À terme, le score EDIP, facilement calculable à partir d’un questionnaire validé, pourrait devenir un outil de stratification pronostique complémentaire au statut MSI et à l’empreinte moléculaire tumorale, afin de personnaliser non seulement le traitement mais aussi le suivi nutritionnel post-opératoire.