Onco-digestif

Cancers du rectum localement évolués : radiochimiothérapie préopératoire systématique ou postopératoire à la demande?

La question d’une approche plus sélective de l’utilisation de l’irradiation pelvienne préopératoire dans la prise en charge des cancers du rectum localement évolués est débattue depuis 2 décennies. En effet, le risque de récidive locale, risque sur lequel l’irradiation a un effet protecteur, est étroitement lié à la marge circonférentielle et l’évaluation en IRM permet de prédire de façon précise la marge. Pourquoi alors irradier tous les malades ? pourquoi irradier ceux qui ont une marge circonférentielle prédictive négative en IRM ? c’est précisément pour répondre à cette question que les investigateurs ont conçu cet essai de non infériorité. Cette étude montre que malheureusement ce n’est pas le cas et que les malades bénéficient très clairement du traitement préopératoire.

  • Istock/EJGrubbs
  • 29 Septembre 2022
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    Le traitement de référence des cancers du rectum localement évolués repose sur l'exérèse rectale carcinologique (exérèse totale du mésorectum) précédée d'un traitement préopératoire qui comporte à présent une radio chimiothérapie (RCT) précédée ou suivie d’une chimiothérapie (traitement néoadjuvant total).

    Un inconvénient de la RCT préopératoire systématique est le risque de séquelles digestives et génito-urinaires liées à l’irradiation pelvienne. Cette approche systématique conduit probablement à surtraiter une proportion relativement importante de malades en particulier ceux ayant une bonne marge circonférentielle, jugés résécables d'emblée, et à leur imposer une toxicité inutile.

    Une étude chinoise arrêtée précocement

    Lors du dernier congrès américain de l’ASCO, une équipe chinoise de l'université Zhejiang a présenté les résultats d'une étude contrôlée multicentrique de phase  III  comparant un bras expérimental testant une stratégie de chirurgie d'emblée suivie d’une RCT en cas de marge circonférentielle positive (résection R1) à un bras contrôle ayant une RCT préopératoire systématique chez des malades ayant un cancer du moyen rectum (6 et 12 cm de la marge anale), d'emblée résécable (CRM négative sur l'IRM pré-thérapeutique). Il s'agissait d'un essai de non infériorité dont le critère de jugement principal était la survie sans récidive à 3 ans nécessitant en théorie l'inclusion de 350 malades. L'essai a été interrompu de façon anticipée par le comité de surveillance en raison d'une différence significative de survie sans récidive en faveur du bras contrôle lors d'une analyse intermédiaire.

    Au total de 2015 à 2021, 275 patient ont été inclus et randomisés, parmi lesquels 238 étaient traités selon le protocole initial (analyse per protocole, 135 patients dans le bras expérimental et 103 dans le bras contrôle). Le taux de résection R1 au niveau de la marge circonférentielle était similaire dans les deux groupes (1,5 % dans le bras expérimental et 1 % dans bras contrôle, p = 1,00). Le taux de réponse complète ou quasicomplète était de 18,4% et 20,4 %, respectivement, dans le groupe contrôle (RCT préopératoire). Après un suivi médian de 34,6 mois, le taux de survie sans récidive à 3 ans était de 81,1 % (77,3 % -84,9 %) dans le bras expérimental et de 86 % (82,7 % - 90,5 %) dans le bras contrôle (HR : 2,02, intervalle de confiance 95 % : 1,01 - 4,06, p = 0,048), conduisant à une différence de 5,4 % (IC 95 % = 5,3-5,6 %) donc au-delà de la borne de non-infériorité.

    Dans le bras expérimental, le taux de résection R1 est très faible, les critères d’éligibilité étaient donc adéquats. Très peu de malades ont eu une RCT postopératoire et une proportion importante de patients (97/140) ont eu une chimiothérapie postopératoire indiquée selon les résultats de l’examen anatomopathologique. Sur les premières données communiquées, les modalités, l’observance, la compliance de ce traitement postopératoire n’ont pas été rapportées mais l’efficacité de la chimiothérapie postopératoire chez les malades opérés d’un cancer du rectum n’a jamais été formellement démontrée ce qui peut expliquer le risque plus important de récidive dans le groupe expérimental. Les auteurs ont conclu que la réalisation d'une chirurgie d'emblée avec un traitement postopératoire adapté au résultat anatomopathologique est inférieure au traitement préopératoire systématique en terme de survie sans récidive chez les patients ayant un cancer du rectum localement évolué d'emblée résécable.

    Perspectives

    Bien que le design soit un peu obsolète (le traitement de référence des cancers du rectum traitement néoadjuvant total maintenant depuis 2020), cette étude montre assez clairement que dans la prise en charge des cancers du rectum, y compris en cas de tumeur résécable, l’essentiel se passe avant la chirurgie en ce qui concerne les traitements associés (chimio, RCT).

    La question de la déséscalade et d’une approche plus sélective de l’irradiation préopératoire reste cependant ouverte c’est précisément la question qui est posée par l’essai intergroupe français NORAD01/GRECCAR16 qui compare actuellement sur une population équivalente (cancers du rectum d’emblée résécables) le traitement standard (chimio puis RCT) à une chimiothérapie préopératoire seule (FOLFIRINOX modifié) sans irradiation pelvienne.

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