Rhumatologie
Syndrome de Cyriax : des douleurs pseudo-abdominales du grill costal antéro-inférieur
Le syndrome de la côte glissante, ou syndrome de Cyriax, est une pathologie méconnue souvent responsable d’errance diagnostique. Il est secondaire à une subluxation acquise des dernières côtes qui, en comprimant un nerf intercostal, peut être responsable de douleurs pseudo-digestives ou pseudo-cardiologiques avec, à la clé, un retard diagnostic fréquent.

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Le syndrome de Cyriax, également connu sous les appellations de syndrome de la côte glissante (slipping rib syndrome), de côte claquante (clicking rib), ou de syndrome de l’extrémité costale (rib tip syndrome), désigne une douleur unilatérale, mécanique, au niveau d’une jonction chondrocostale. Il correspond à une subluxation d’une des dernières côtes (8ème, 9ème ou 10ème) au niveau de leur jonction chondro-costale antérieure.
Cette anomalie biomécanique entraîne une douleur locale et une irritation dynamique d’un nerf intercostal sus-jacent à la côte subluxée. Elle est responsable de douleurs thoraco-abdominales antéro-latérales, pseudo-viscérales, siégeant au niveau du bord antéro-inférieur d’un des côtés de la cage thoracique. Cette douleur est souvent confondue avec des pathologies cardiaques ou digestives, voire urogénitales. La douleur est initialement aiguë mais peut devenir chronique en cas de retard diagnostique. Lors du diagnostic, elle évolue souvent depuis plusieurs mois, entre 6 et 40 mois selon les séries.
Décrite pour la première fois en 1919 par Cyriax, cette entité reste peu connue des cliniciens, malgré des publications anciennes et récentes en médecine interne, chirurgie et imagerie [Monnin et al., 1989 ; Barki et al., 1996 ; Scott & Scott, 1993]. La plupart des données épidémiologiques dont nous disposons sont contradictoires et surtout anecdotiques, mais l’incidence de ce syndrome lors d’une consultation pour douleurs abdominales chroniques serait de 1 à 1,5% dans les séries. Il existerait un sex-ratio de 2 à 3 en faveur des femmes et avec un âge de survenue plutôt autour de la cinquantaine.
Une présentation clinique typique, mais trompeuse
Le tableau clinique est caractérisé par une douleur localisée à la jonction chondro-costale inférieure, le plus souvent unilatérale (droite dans près de 70 % des cas), avec un siège dans l’hypochondre ou la région basi-thoracique. La douleur est exactement reproductible lors de la palpation locale précise des extrémités antérieures des 8ème, 9ème ou 10ème côtes, lors d’une toux, lors de la réalisation de mouvements asymétriques des membres supérieurs ou d’une rotation ou d’une antéflexion du tronc. Elle est également augmentée lors de la pression antéro-postérieure du tronc.
Dans environ un tiers des cas, les patients décrivent une sensation de claquement ou de ressaut associée à la douleur, correspondant à la réduction spontanée de la subluxation costale. Il n’y a pas de rougeur, de chaleur, de tuméfaction (différence par rapport au syndrome de Tietze), ni de fièvre ou d’autres signes généraux
La douleur est initialement aiguë, mais peut évoluer vers une forme chronique après plusieurs mois (entre 6 et 40 mois dans les séries) en l’absence de diagnostic précoce [Barki et al., 1996 ; Abbou & Herman, 1989].
Une subluxation cartilagineuse source de compression nerveuse
Le mécanisme physiopathologique repose sur une hypermobilité excessive des cartilages costaux des 8ème à 10ème côtes, qui permet un déplacement antéro-supérieur de ces côtes, responsable d’une compression des tissus mous interposés et d’une irritation du nerf intercostal adjacent. Les déficiences du cartilage costal des côtes 8 à 10 permettraient un mouvement accru des côtes et leur déplacement vers le haut.
Les facteurs déclenchants incluent les traumatismes et les activités sportives de haute intensité. Le traumatisme peut en effet être direct (coup de poing, chute, accident de la voie publique) ou indirect (traction sur les muscles intercostaux et abdominaux, notamment lors de certains sports comme la gymnastique, le golf, ou le tennis), ou la douleur peut survenir à la suite de microtraumatismes répétés.
Cette atteinte dynamique provoque des douleurs projetées dans le territoire abdomino-thoracique correspondant. En effet, les nerfs intercostaux T7 à T10 innervent également la région abdominale au-dessus de l’ombilic, ce qui explique la topographie pseudo-abdominale des douleurs et les confusions fréquentes avec des pathologies digestives, biliaires ou pancréatiques… [McMahon, 2018 ; Davelaar, 2021].
Un diagnostic clinique fondé sur la manœuvre du crochetage
Le diagnostic est essentiellement clinique. Il repose sur l’interrogatoire avec une douleur mécanique, aiguë, unilatérale, thoracique antérieure et surtout sur la reproduction de la douleur lors de la manœuvre du crochetage (hooking test) : le clinicien place ses doigts sous le rebord costal et effectue un mouvement ascendant vers l’intérieur ; la reproduction de la douleur, voire du ressaut, est considérée comme quasi pathognomonique.
Ce test, associé à la présence d’un point douloureux exquis sur une jonction chondro-costale basse et à une douleur basi-thoracique unilatérale, constitue une triade diagnostique robuste. À l’inverse, la manipulation passive des côtes vers le bas procure souvent une sensation de soulagement, voire de « déblocage ».
Un autre élément fondamental du diagnostic est l’absence d’anomalie organique : le bilan cardiaque est normal (ECG, troponines en cas de doute), il n’y a pas de douleur d'origine digestive (pas de lien avec le repas ou la position), ni de douleur neuropathique (irradiation en bande absente ou atypique).
Les diagnostics différentiels à considérer
Le syndrome de Cyriax pouvant évoquer de nombreuses affections thoraciques, abdominales et/ou viscérales, il est fréquemment à l’origine d’une longue errance diagnostique si l’examen clinique initial n’est pas assez soigneux. Dans un tiers des cas les douleurs peuvent être étiquetées d’origine psychogène et peuvent même conduire à une évaluation psychologique.
Plusieurs affections pariétales doivent être exclues avant de conclure à un syndrome de Cyriax. C’est le cas notamment des fractures de côtes post-traumatiques. Le syndrome de Tietze (inflammation douloureuse des articulations chondrocostales), touche plutôt les articulations chondrocostales supérieures ou chondrosternales (2ème et 3ème)avec une tuméfaction inflammatoire visible. La xyphoïdalgie est une douleur sternale déclenchée par les mouvements, reproduite par la pression sur l’appendice xiphoïde. Enfin, la compression d’un nerf cutané abdominal antérieur lors de son trajet dans la gaine fibreuse du muscle grand droit est également à considérer.
L’apport de l’échographie dynamique : vers une objectivation diagnostique
Ce syndrome étant peu connu, les patients sont fréquemment orientés vers des explorations multiples (digestives, urologiques, cardiologiques) sans diagnostic formel. Environ un tiers des patients sont initialement étiquetés comme ayant des douleurs d’origine psychogène, parfois orientés vers une évaluation psychiatrique [Scott & Scott, 1993].
Le diagnostic est clinique, et peut être aidé par l'échographie dynamique. En plus de la radiographie du gril costal, l'échographie standard peut identifier les anomalies de l'anatomie des côtes et du cartilage, ainsi que le gonflement des tissus mous. Le diagnostic définitif est établi par le soulagement de la douleur lors d'un bloc nerveux à la lidocaïne. L’échographie dynamique, en revanche, réalisée par un opérateur expérimenté, peut visualiser directement la mobilité excessive du cartilage lors d’un effort abdominal ou pendant la manœuvre du crochetage [Meuwly et al., 2002]. Cette technique offre un double avantage : elle permet d’objectiver le diagnostic et de repérer d’éventuelles côtes adjacentes également à risque, ce qui facilite une éventuelle planification chirurgicale [Gregory et al., 2002].
Un traitement progressif selon l’intensité des symptômes
Le traitement du syndrome de Cyriax n’est pas encore consensuel et reste adapté à l’intensité et à la chronicité des douleurs. Dans les formes modérées, un traitement conservateur suffit généralement : repos relatif, bandage thoracique souple temporaire, antalgiques, AINS, et prise en charge fonctionnelle (kinésithérapie ciblée sur le relâchement musculaire intercostal, manipulations ostéopathiques type Cyriax de recentrage articulaire). Le soutien psychologique peut être utile chez les patients en errance diagnostique prolongée.
En cas de douleurs persistantes ou invalidantes, l’infiltration locale de corticoïdes retard associés à de la lidocaïne 1 % sur le point douloureux reproduisant la douleur peut être diagnostique et thérapeutique. Une à 3 infiltrations par an peuvent être nécessaires associant un corticoïde retard (triamcinolone, bétaméthasone) et un anesthésique local (lidocaïne, bupivacaïne). Elles sont réalisées au mieux sous contrôle échographique, au point de jonction de la côte osseuse avec le cartilage costal (jonction chrondrocostale), sans pénétrer trop profondément pour ne pas risquer d’atteindre la plèvre ou le poumon. Le taux de soulagement à court terme est élevé, mais l’efficacité à long terme est variable [Copeland et al., 1984].
La chirurgie : une option en dernier recours
Le traitement chirurgical est réservé aux formes chroniques résistantes à toutes les autres mesures. Il consiste classiquement en une résection des derniers centimètres de la côte ou du cartilage subluxant. Des séries anciennes ont rapporté un taux de succès proche de 100 % [Copeland et al., 1984 ; Machin & Shennan, 1983], mais cette approche reste rare. Des techniques plus récentes de stabilisation costo-chondrale par ancrage sont en cours d’évaluation pour les formes récidivantes [McMahon, 2018].
La méconnaissance du syndrome de Cyriax explique le retard diagnostique fréquent observé dans les séries cliniques. Pourtant, une connaissance des critères cliniques spécifiques et la pratique du test du crochetage permettent un diagnostic simple et non invasif, à condition d’y penser en présence de douleurs thoraco-abdominales mécaniques inexpliquées. L’identification précoce du syndrome permet d’éviter des examens inutiles, de rassurer le patient et de mettre en place un traitement ciblé adapté.
Références
Monnin JL, Pierrugues R, Bories P, Michel H. Le syndrome de Cyriax, une cause d’erreur de diagnostic dans les douleurs abdominales. Presse Médicale. 1989;17(1):25–29.
Barki J, Blanc P, Michel J, et al. Painful rib syndrome (or Cyriax syndrome). Study of 100 patients. Presse Médicale. 1996;25(21):973–976.
Scott EM, Scott BB. Painful rib syndrome – a review of 76 cases. Gut. 1993;34:1006–1008.
Abbou S, Herman J. Slipping rib syndrome. Postgrad Med. 1989;86(6):75–78.
Meuwly JY, Wicky S, Schnyder P, Lepori D. Slipping rib syndrome: a place for sonography in the diagnosis of a frequently overlooked cause of abdominal or low thoracic pain. J Ultrasound Med. 2002;21:339–343.
Gregory PL, Biswas A, Batt ME. Musculoskeletal problems of the chest wall in athletes. Sports Med. 2002;32:235–250.
Copeland GP, Machin DG, Shennan JM. Surgical treatment of the slipping rib syndrome. Br J Surg. 1984;71:522–523.
Machin DG, Shennan JM. Twelfth rib syndrome: a differential diagnosis of loin pain. Br Med J. 1983;287(6392):586.
McMahon LE. Slipping Rib Syndrome: A review of evaluation, diagnosis and treatment. Semin Pediatr Surg. 2018;27:183–188.
Davelaar F. A Clinical Review of Slipping Rib Syndrome. Curr Sports Med Rep. 2021;20(3):164–168.