Oncologie

Cancer colorectal : lien confirmé avec les nitrites

L'ANSES a confirmé l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrites et/ou nitrates, notamment utilisés en tant qu'additifs alimentaires dans la viande transformée. L'ANSES et le Gouvernement insistent : les seuils d'exposition sont respectés et limiter sa consommation de charcuterie permet de réduire les risques. Mais les données chiffrées ne sont pas si rassurantes.  

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  • 22 Juillet 2022
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    L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a confirmé l'existence d'une association entre le risque de cancer colorectal et l'exposition aux nitrites et/ou aux nitrates. Des substances auxquelles « notre alimentation nous expose quotidiennement » rappelle le communiqué dédié . Les sources d'exposition sont multiples. Plus de la moitié de l'exposition aux nitrites provient de la consommation de charcuterie du fait des additifs alimentaires utilisés pour leurs propriétés anti-microbiennes (contre la salmonellose, la listériose et le botulisme notamment). Quant aux nitrates, dont la présence est naturelle dans le sol et la concentration renforcée par certaines activités agricoles, les deux tiers de l'exposition proviennent de la consommation de produits végétaux et un quart de l'eau de boisson.

    L'ANSES préconise donc plusieurs leviers d'action pour réduire l'exposition de la population à ces substances. En particulier « l'ajout intentionnel de nitrites et des nitrates dans l'alimentation [qui] doit se faire dans une approche aussi basse que raisonnablement possible ». Le Gouvernement, par la voix de François Braun, ministre de la santé, a rapidement réagi sur ce sujet qu'il sait épineux et à fort impact de médiatisation. Il promet de suivre les recommandations de l'ANSES et de mettre en œuvre un plan d'actions visant à réduire l'ajout d'additifs nitrités dans les produits alimentaires.

    Les discussions avec les acteurs de la filière risquent d'être animées, car il est facile de faire parler les chiffres selon la cause que l'on défend. Seuil d'exposition faussement rassurants et efficacité toute relative des mesures préconisées, on fait le point sur quelques un de ces aspects critiques.

    Des seuils d'exposition soi-disant rassurants mais sujet à évolution

    Toutes sources d'exposition confondues près de 99% de la population ne dépasse pas les doses journalières admissibles (DJA) pour les nitrites d'une part et les nitrates d'autres part, rappelle le rapport d'expertise de l'ANSES. Un chiffre que reprend le ministre de la santé dans le communiqué de presse pour rassurer et justifier de ne pas mettre en place dès maintenant une interdiction stricte de l'utilisation des nitrites. Pourtant ces doses limites pourraient bientôt évoluer, car l'EFSA, l'autorité européenne de sécurité des aliments, travaille actuellement à une évaluation de la toxicité de ces substances qui pourrait faire évoluer leurs DJA avant fin 2022. Et l'ANSES de préciser « les limites d'exposition sont majoritairement respectées, les expositions sont néanmoins associées à la formation de composés augmentant la probabilité de cancer », ce qui en soit est bien moins rassurant.

    Une autre problématique ne devant pas être masquée par le respect de seuil de consommation faussement rassurant, est celle de la co-exposition. Respecter les doses limites d'exposition aux nitrites d'un côté et aux nitrates de l'autre, ne renseigne pas sur le risque lié à l'association des deux qui peut être atteint pour des seuils plus bas. L'ANSES recommande donc de mener une réflexion pour établir une valeur toxicologique de référence globale incluant nitrites et nitrates pour prendre en compte le risque de sur-exposition. Il y a alors fort à parier que la conclusion que 99% des Français ne dépassent pas les DJA ne sera peut-être plus d'actualité d'ici quelques mois.   

    Interdire les additifs nitrités : la mesure la plus efficace pour réduire l'exposition

    L'ANSES préconise des leviers d'action pour limiter l'exposition de la population aux nitrates et aux nitrites, « en particulier la réduction de l'utilisation d'additifs nitrités dans les charcuteries ». Cette mesure doit être associée à la maîtrise du risque de contamination par des bactéries par d'autres moyens. Cela peut passer par exemple par le raccourcissement de la date limite de consommation pour le jambon cuit. L'agence sanitaire rappelle aussi aux consommateurs de limiter leur consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine, une recommandation  déjà émise en 2016. Ces deux leviers d'action n'ont toutefois pas le même impact, et le communiqué de presse de l'ANSES et du Gouvernement n'insistent pas vraiment sur ce point.

    C'est au milieu des 300 pages du rapport d'expertise de l'ANSES que se trouve l’information. On peut y lire que dans un scénario théorique « sans nitrites ajoutés » dans le jambon cuit et les saucisses et saucissons cuits, les deux produits carnés qui contribuent le plus à l'exposition de la population, on pourrait réduire de 18 à 29% l'exposition totale aux nitrites des adultes et de 25 à 40% celles des enfants, alors qu'avec la limitation de consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine, la réduction serait seulement 4 à 7%. Une différence de taille qu'il semble important de souligner pour ne pas faire croire aux consommateurs qu'une simple limitation de la quantité de charcuterie consommée suffirait à éliminer efficacement le risque.

    Des mesures gouvernementales pour réduire fortement les additifs nitrités dans la charcuterie sont indispensables en complément. Le Gouvernement a, dans cette optique, proposé dès la publication des travaux de l'ANSES, la mise en place d'un plan d'action coordonné afin « d'aboutir à la réduction ou à la suppression de l'utilisation d'additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire ». Il sera présenté au Parlement d'ici l'automne. Il souligne également que « la santé des consommateurs français est l'unique boussole du Gouvernement dans l'analyse de l'ensemble des données et la prise de recommandations ». S'il juge utile de le préciser, c'est que l'on devrait-on en douter ?

    Une longue liste d'autres cancers suspectés

    L'ANSES insiste aussi sur la nécessité de poursuivre les recherches dans le domaine, rappelant que « d'autres risques de cancers sont suspectés » en lien avec l'exposition aux nitrites et/ou aux nitrates. Et la liste est longue : ovaires, pancréas, estomac, œsophage, sein, vessie, prostate. Mais les données disponibles ne permettent pas à ce jour de conclure à l'existence d'un lien de causalité.

    D'ici là, il semble judicieux en tant que professionnels de santé, et par le principe de précaution que le Gouvernement ne juge pas utile d'appliquer, d'encourager les patients à limiter leur consommation de charcuterie.

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