Neurologie

Sclérose en plaques et progression : vers une unification des concepts de phase inflammatoire et neurodégénérative

Le groupe d’expert qui a fait la classification clinique traditionnelle des différentes formes de sclérose en plaques (SEP) se positionne en faveur d’une classification mécanistique qui intégrerait les biomarqueurs de progression.

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  • 17 Fév 2023
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    Le groupe d'experts à l'origine de la classification clinique traditionnelle de la sclérose en plaque (rémittente-récurrente, secondairement progressive et primairement progressive) pensent que celle-ci est dépassée.

    Une classification plus biologique, basée sur différents biomarqueurs émergents de progression de la maladie serait désormais essentielle pour répondre aux enjeux de médecine de précision dans la SEP.

    Une classification clinique remise en question par les biomarqueurs d’activité inflammatoire et de progression

    L’International Advisory Committee on Clinical Trials in Multiple Sclerosis a défini en 1996 la classification traditionnelle des formes évolutives de sclérose en plaques (SEP) (Lublin and Reingold, 1996). Elle distingue les formes rémittente-récurrente (RR), secondairement progressive (SP) et primairement progressive (PP). Cette classification fait actuellement consensus avec un clivage schématique entre une phase « inflammatoire », caractérisée par les poussées, et « neurodégénérative », caractérisée par une progression lente du handicap.  Ceci a amplement contribué à décrire l’histoire naturelle de la maladie, homogénéiser les essais cliniques et expliquer la maladie aux patients.

    Une révision en 2013, incluant les biomarqueurs IRM d’activité inflammatoire, a commencé à nuancer ce clivage en définissant des formes progressives actives (Lublin et al., 2014). Cette reconnaissance de l’intrication des composantes inflammatoires et neurodégénérative a permis d’étendre des autorisations de mise sur le marché (AMM) à des formes de SEP progressives actives sur le plan inflammatoire.

    Ce même groupe d’experts s’est récemment positionné dans un article publié par Lancet Neurology en faveur d’une prise en compte de la neurodégénérescence dès le début de la maladie (Kuhlmann et al., 2023). Aux biomarqueurs d’activité inflammatoire, il oppose des biomarqueurs de progression, dont la prise en compte émergente permettrait une médecine de précision.

    Une revue des biomarqueurs de progression

    Le groupe propose une synthèse des biomarqueurs de progression de la SEP en distinguant les marqueurs d’agression tissulaire et de compensation.

    La première catégorie de marqueurs d’agression reflète l’inflammation persistante. Au niveau des lésions démyélinisantes, celles gardant une activité inflammatoire chronique sont appelées « lésions mixte active et inactives ». Elles apparaissent sur les suivis IRM comme des lésions lentement grossissantes. L’infiltrat immunitaire se remanie avec des macrophages chargés en oxydes de fer, qui peuvent être visualisés en IRM à haut champ sous la forme d’un anneau paramagnétique. Ces lésions apparaissent comme un facteur clef de progression du handicap. Au niveau des méninges, l’inflammation chronique s’organise en organes lymphoïdes tertiaires. Les dysfonctions associées de la barrière hémato-encéphalique peuvent être visualisées par des rehaussements leptoméningés tardifs au gadolinium en séquence T2. Enfin, au-delà des lésions démyélinisantes et des méninges, il existe une activation microgliale diffuse dans l’ensemble du système nerveux central. Elle peut être mise en évidence en TEP avec des traceurs expérimentaux ciblant les cellules microgliales activées.

    La seconde catégorie de marqueurs d’agression reflète la neurodégénérescence. On distingue la perte axonale, précoce et au site de la lésion, visible sous la forme de lésions hypo-intenses en T1 (« trous noirs »), et la perte neuronale, retardée et consécutive aux troubles métaboliques engendrés par la perte du support glial. Elle entraine des atrophies globales ou régionales mesurables en IRM. Le dosage sérique des neurofilaments, de plus en plus accessible, permet d’évaluer ces deux phénomènes. Une troisième catégorie de marqueurs reflète le stress oxydatif et la dysfonction mitochondriale. Le stress oxydatif peut être évalué en spectroscopie de résonance magnétique. Une dysfonction mitochondriale existe également dans la maladie, soit par défaillance du trafic d’organites pour les faire migrer du soma au segment de prolongement démyélinisé, soit par déficit de la chaine respiratoire. Il n’y a cependant pas de biomarqueur pour l’évaluer chez l’humain.

    Sur le versant des mécanismes compensatoires, le groupe distingue les marqueurs de remyélinisation et de plasticité neuronale. La remyélinisation tente de préserver la connectivité anatomique et débute rapidement après la poussée pour durer environ 6 mois. Elle peut être évaluée par le suivi électrophysiologique (potentiels évoqués) ou par des indices IRM de transfert d’aimantation ou de la fraction d’eau piégée dans la myéline. La plasticité neuronale s’évalue par IRM fonctionnelle, qui met en évidence le recours à des réseaux de substitution pour préserver une connectivité fonctionnelle. L’efficience du réseau réorganisé dépend des réserves du patient et de l’efficience du réseau d’origine. Des compensations inadéquates sont aussi possibles, d’où un enjeu de neuro-réhabilitation.

    Enfin, le groupe discute le rôle modulateur du vieillissement sur l’activité de la maladie. D’une part, l’incidence des poussées diminue avec l’âge avec une progression au premier plan. D’autre part, la population pédiatrique est marquée par des poussées profuses avec une bonne récupération. Cela serait dû à une grande plasticité et réserve fonctionnelle chez l’enfant. Chez le patient vieillissant, la maladie serait impactée par la sénescence des cellules immunitaires et nerveuses qui diminuerait l’incidence des poussées, mais majorerait la progression du handicap.

    Perspectives de médecine de précision dans la SEP

    Bien que des progrès technologiques, des standardisations et des validations cliniques soient encore nécessaires pour utiliser la majorité de ces biomarqueurs en routine, l’enjeu de cet article est conceptuel. Il est marquant que les auteurs de la classification clinique traditionnelle reconnaissent eux-mêmes que celle-ci est dépassée et qu’une classification plus biologique est essentielle pour répondre aux enjeux de médecine de précision dans la SEP. Ils réaffirment que la progression du handicap dans la SEP est sous-tendue par une combinaison de divers mécanismes moléculaires, variable d’un patient à un autre, et variable au fil du temps à l’échelle d’un patient particulier.

    A ce stade, il s’agit d’affirmer un changement de paradigme, plutôt que de proposer une nouvelle classification. Sur le plan thérapeutique, il donne un rationnel mécanistique aux traitements précoces, puisque prévenir les poussées – et donc la formation de lésions démyélinisantes - revient à limiter les futurs sites d’inflammation persistante, qui sous-tendront plus tard la progression du handicap.

    Ce cadre théorique est un travail préliminaire pour aboutir ces prochaines années à une classification mécanistique consensuelle décrivant notamment les profils de réponse aux différentes classes thérapeutiques. Cela implique une transition du paradigme établi par la classification traditionnelle et largement adopté par les neurologues et les autorités réglementaires limitant les AMM à la forme RR et parfois aux formes SP actives.

    Références

    Kuhlmann, T., Moccia, M., Coetzee, T., Cohen, J.A., Correale, J., Graves, J., Marrie, R.A., Montalban, X., Yong, V.W., Thompson, A.J., Reich, D.S., Amato, M.P., Banwell, B., Barkhof, F., Chataway, J., Chitnis, T., Comi, G., Derfuss, T., Finlayson, M., Goldman, M., Green, A., Hellwig, K., Kos, D., Miller, A., Mowry, E., Oh, J., Salter, A., Maria Pia Sormani, Tintore, M., Helen Tremlett, Trojano, M., Walt, A. van der, Vukusic, S., Waubant, E., 2023. Multiple sclerosis progression: time for a new mechanism-driven framework. Lancet Neurol. 22, 78–88. https://doi.org/10.1016/S1474-4422(22)00289-7

    Lublin, F.D., Reingold, S.C., 1996. Defining the clinical course of multiple sclerosis: results of an international survey. National Multiple Sclerosis Society (USA) Advisory Committee on Clinical Trials of New Agents in Multiple Sclerosis. Neurology 46, 907–911. https://doi.org/10.1212/wnl.46.4.907

    Lublin, F.D., Reingold, S.C., Cohen, J.A., Cutter, G.R., Sørensen, P.S., Thompson, A.J., Wolinsky, J.S., Balcer, L.J., Banwell, B., Barkhof, F., Bebo, B., Calabresi, P.A., Clanet, M., Comi, G., Fox, R.J., Freedman, M.S., Goodman, A.D., Inglese, M., Kappos, L., Kieseier, B.C., Lincoln, J.A., Lubetzki, C., Miller, A.E., Montalban, X., O’Connor, P.W., Petkau, J., Pozzilli, C., Rudick, R.A., Sormani, M.P., Stüve, O., Waubant, E., Polman, C.H., 2014. Defining the clinical course of multiple sclerosis: The 2013 revisions. Neurology 83, 278–286. https://doi.org/10.1212/WNL.0000000000000560

     

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