Onco-digestif

Cancers coliques de stade III : le tumor budding, un facteur morphologique pronostique indépendant à mentionner impérativement

Les traitements du cancer colique peuvent être lourds en évènements indésirables pour une efficacité non certaine. Il existe une logique, un besoin pour trouver des outils pronostiques afin de mieux prévoir la stratégie thérapeutique. Une étude récente démontre que le Tumor budding est un facteur morphologique pronostique indépendant qui devrait être à présent mentionné dans tout compte rendu d'anatomo-pathologie. 

  • Istock/Kostafly
  • 04 Juillet 2022
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    Le “tumor budding”(Bd) (ou “bourgeonnement tumoral” en français), qui est défini par la présence de cellules tumorales isolées ou groupées en amas de moins de cinq cellules au niveau du front d’invasion d’un cancer, figure parmi les marqueurs pronostiques potentiels dans le cancer colique (CC) proposés par l’UICC/TNM8 en 2017.

    En effet, le Bd constitue un marqueur pronostique dans les CC de stade pT1 et permet une meilleure stratification des malades, en particulier d’un point de vue thérapeutique, dans les CC de stade II. Le Bd semble fournir également des informations pronostiques supplémentaires et cliniquement pertinentes dans les CC de stade III et devrait être mentionné dans tout CR de CC de stade III réséqué.

    Du besoin d'un algorithme pour une meilleure stratégie thérapeutique à l'opportunité du Tb

    Le cancer du côlon (CC) est le troisième cancer le plus fréquent dans le monde. Chez les patients atteints d'un CC de stade III (i.e avec métastases ganglionnaires), la chimiothérapie adjuvante à base d'oxaliplatine (FOLFOX ou CAPOX) est le standard actuel. Cependant, seuls 30 % des patients, au maximum, bénéficieront réellement du traitement adjuvant, laissant 70 % d'entre eux exposés aux risques et à la toxicité inutiles d’une polychimiothérapie, en particulier la neuropathie sensitive cumulative liée à l'oxaliplatine. Récemment, l'étude IDEA (International Duration Evaluation of Adjuvant Chemotherapy) a analysé les données de six études randomisées de phase III, démontrant la non-infériorité de la réduction de la durée du traitement adjuvant (FOLFOX ou CAPOX) dans le groupe à faible risque (i.e pT1-3 et N1), associée à une meilleure tolérance du traitement et à une meilleure qualité de vie [André et al., Lancet Oncol]. Cependant, même dans ce groupe de bon pronostic, environ 20% des patients connaîtront une récidive de la maladie. Par conséquent, il apparaît nécessaire de définir un algorithme plus personnalisé établissant l’intensité et la durée optimales du traitement adjuvant chez un patient, qui se base sur une stratification plus précise du risque, afin de réduire la proportion de patients exposés aux toxicités potentielles de la chimiothérapie et, inversement, pour ne pas sous-traiter les patients à haut risque de récidive.

    Le système de stadification TNM (tumeur, ganglions, métastases), publié simultanément par l'Union internationale de lutte contre le cancer (UICC) et par l'American joint Committee on Cancer (AJCC), reste la référence pour la classification des tumeurs malignes. Bien que cliniquement pertinente, elle n’est toutefois pas suffisante et doit être complétée par d’autres facteurs histopronostiques pour affiner la classification des risques et guider le traitement adjuvant.

    Les caractéristiques histologiques d’une tumeur au niveau de son front d’invasion, i.e là où la tumeur est la plus infiltrante, reflètent son agressivité. C’est le cas en particulier du “tumor budding” (ou “bourgeonnement tumoral” en français), qui est défini par la présence de cellules tumorales isolées ou groupées en amas de moins de cinq cellules tumorales au niveau du front d’invasion. La détermination du tumor budding (TB) a longtemps été rendue difficile par son absence de standardisation. En 2016, une conférence internationale de consensus a en défini précisément les critères (critères ITBCC pour International Tumor Budding Consensus Conference). Le Bd, qui est considéré comme la traduction morphologique du processus de transition épithélio-mésenchymateuse, figure parmi les marqueurs pronostiques potentiels dans le cancer colique (CC) proposés par l’UICC/TNM8 en 2017. En effet, le Bd constitue un marqueur pronostique dans les CCR de stade pT1 et permet une meilleure stratification des malades, en particulier d’un point de vue thérapeutique, dans les CCR de stade II.  En revanche, il y a peu de données sur le rôle du Bd dans les CCR de stade III, où il apparaît nécessaire de mieux définir le risque de récidive.

    Tb a un rôle pronostique indépendant dans les cancers coliques de stade III traités par chimiothérapie à base d’oxaliplatine

    Une analyse post hoc du tumor budding a été réalisée dans l’essai IDEA France afin d’en évaluer la valeur pronostique dans des CC de stade III. Le Bd a été évalué sur des lames numérisées colorées par l'hématéine-éosine (1 lame par patient), de manière centralisée, selon les critères ITBCC2016 (nombre de “buds” évalués pour 0,785 mm2, dans la zone de hotspot, à un grossissement x20), selon 3 catégories : Bd1 (0-4 : Bd faible), Bd2 (5-9 : Bd intermédiaire) et Bd3 (≥10 : Bd élevé). Le Bd a été déterminé par deux lectrices indépendantes; les cas discordants ont été analysés par une 3ème lectrice. La prédiction de la survie sans maladie (SSM) et de la survie globale (SG) a été analysée par le test log-rank. Les caractéristiques clinicopathologiques, incluant notamment le stade pT et pN, les emboles vasculaires, les engainements péri-nerveux, les dépôts tumoraux, ainsi que l’Immunoscore®  ont été corrélées à la catégorie de Bd.

    Les prélèvements de n=1048 patients atteints de CC ont été analysés. Les catégories Bd1, Bd2 et Bd3 ont été observées chez 406 (39%), 291 (28%) et 351 (33%) patients, respectivement. Les catégories Bd2 et Bd3 étaient significativement associées aux emboles vasculaires (P=0.0005 ) et aux engainements péri-nerveux (P=0.0009), ainsi qu’à un taux plus faible de perforation (Tableau 1).

    Les patients avec catégories Bd2 et Bd3 présentaient une SSM à 3 ans significativement plus péjorative que les patients avec catégorie Bd1 (69,3 % [IC 95 % 63,6 à 74,3] et 65,4 % [IC 95 % 60,1 à 70,1] versus 79,4 % [IC 95 % 75,1 à 83,1] ; P = 0,002 ; Figure 1A). Ces résultats étaient identiques en regroupant les catégories Bd2-3 (taux de DFS à 3 ans de 79,4 % (IC 95 % 75,1 à 83,1) pour les patients avec catégorie Bd1 et de 67,2 % (IC 95 % 63,3 à 70,7) pour les patients avec catégories Bd2-3 (P = 0,0008 ; Fig. 1B). De même, les catégories Bd2 et Bd3 étaient également associées à une SG à 5 ans plus péjorative que la catégorie Bd1 (89,2% versus 80,8% pour les catégories Bd1 et Bd2-3). En analyse univariée, les catégories Bd2-3 était associé à un plus mauvais pronostic (HR, 1,46 ; IC à 95 % 1,2 à 1,8 ; P = 0,0009 ; Tableau 2). Ce rôle pronostique du Bd a été confirmé en analyse multivariée ajustée sur l'âge, le sexe, le groupe de risque, le grade de la tumeur, l'obstruction/perforation et la durée du traitement (3 versus 6 mois) pour la SSM (HR, 1.41; 95% CI, 1.12 to 1.77; P =.003) et la SG (HR, 1.65; 95% CI 1.22 to 2.22; P = .001)(Tableau 2).

    Le Tb complémenttaire des groupes de risque (bas/haut) et de l’Immunoscore ?

    Il est intéressant de noter que les sous-groupes présentant une tumeur à haut risque (pT4 et/ou N2), un Bd de haut grade (Bd2-3) et un Immunoscore faible ont montré une DFS plus courte (Figures 2A à 2C). La DFS à 3 ans était de 56,6 % (IC 95 % 50,5 à 62,3) pour T4-N2/Bd2-3 (P < 0,0001 ; Figure 2A) et de 57,7 % (IC 95 % 50,9 à 62,3) pour Immunoscore faible/Bd2-3 (P < 0,0001 ; Figures 2B et 2C). La catégorie Bd n'était pas associée à la DFS chez les patients présentant un Immunoscore intermédiaire ou élevé. Il y avait également une corrélation entre la catégorie Bd et le stade pTN et les sous-groupes Immunoscore en terme de SG. La SG était médiocre pour les tumeurs à haut risque T4-N2/Bd2-3 et Immunoscore faible/Bd2-3 avec une SG à 5 ans de 70,8 % (IC 95 % 64,9 à 76,0) et 74,0 % (IC 95 % 67,5 à 79,4), respectivement.

    Enfin, une tendance à une meilleure SSM a été observée chez les malades ayant reçu 6 mois de chimio dans le sous-groupe Bd2-3 (HR 0,78 ; IC 95 % 0,60 à 1,02 ; P = 0,073 ; DFS à 3 ans : 65,9 % contre 61,8 % ; Figure 3)

    Conclusion et perspectives

    Notre étude démontre pour la première fois, dans une grande série de patients issus d'un essai randomisé de phase 3, le rôle pronostique indépendant du tumor budding pour la SG et la SSM dans les CC de stade III traités par chimiothérapie à base d’oxaliplatine. Le Bd semble fournir des informations pronostiques supplémentaires et cliniquement pertinentes en plus des groupes de risque (bas/haut) et de l’Immunoscore. L’association du Bd avec la durée du traitement reste à mieux définir par des études prospectives stratifiées en fonction des catégories de Bd (Bd1 versus Bd2-3). Sur la base de ces résultats, le Bd, déterminé selon les recommandations de l'ITBCC 2016, devrait être mentionné dans tout compte-rendu de CC de stade III réséqué.

     

     

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