Rhumatologie
Coccygodynie : une douleur des fesses qui répond à un traitement individualisé
La coccygodynie est une douleur de la région fessière en rapport avec un problème touchant le coccyx ou sa dynamique. Parfois chronique et très invalidante, un traitement individualisé selon une analyse diagnostique rigoureuse permet le soulagement dans la plupart des cas avec un traitement conservateur.
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La coccygodynie est une douleur persistante de l’extrémité distale basse de la colonne vertébrale et/ou de la région fessière, souvent très gênante et parfois mal diagnostiquée. Principalement confondue avec des irradiations de douleurs lombaires articulaires postérieures basses ou une spondylarthrite, une démarche diagnostique rigoureuse permet un diagnostic précis des causes et des traitements adaptés. Une revue récente parue dans le JBJS permet de mieux comprendre les options thérapeutiques de cette affection parfois débilitante.
La coccygodynie, affecterait 5 fois plus souvent les femmes, en raison de facteurs anatomiques et physiologiques, liés notamment à une hyperlaxité ligamentaire inhérente et au processus de l'accouchement. La prévalence augmente avec l'âge, avec un pic autour de 40 ans, et l'obésité est également reconnue comme un facteur de risque. Le coccyx joue un rôle crucial dans l'assise fonctionnelle : en association avec les tubérosités ischiatiques, le coccyx sert de troisième « pied » du le trépied fonctionnel qui supporte le poids du corps lorsqu'une personne est assise. Composé de 3 à 5 segments, il joue un rôle clé dans le support du poids corporel en position assise, grâce à ses articulations qui permettent une mobilité vers l’avant.
Des causes multiples mais surtout traumatiques
La coccygodynie peut avoir une multitude de causes. Toutefois, l'étiologie la plus courante est le traumatisme, certains rapports faisant état d'environ 50 % de toutes les douleurs du coccyx. Les traumatismes du coccyx peuvent également être d'origine interne. L'accouchement expose ainsi le coccyx à un risque particulier de blessure lors d'un accouchement difficile ou après l’utilisation de forceps.
Un certain nombre d'autres causes, plus rares, de coccygodynie ont été rapportées comme la tuberculose, des tumeurs, les infections... Les infections consécutives à des interventions chirurgicales périnéales telles que l'excision de kystes pilonidaux ou des interventions chirurgicales pour un prolapsus rectal peuvent également se manifester par une douleur coccygienne. Lorsque ces interventions ont eu lieu peu de temps avant l'apparition des symptômes, une infection doit être la première cause à évoquer afin d'entreprendre le bilan approprié.
Des causes anatomiques à analyser précisément
Les causes d'origine anatomique de la coccygodynie font référence à des variations ou des anomalies structurelles du coccyx qui peuvent prédisposer une personne à ressentir de la douleur dans la région des fesses. Ces anomalies peuvent inclure des variations dans la forme, la mobilité, ou l'intégrité des articulations et des ligaments du coccyx. Différents types de courbures et déviations anormales du coccyx ont été décrites par rapport à une courbure ventrale douce et un apex en ligne sans subluxation. Ces déviations à la normale peuvent affecter la manière dont le coccyx absorbe le choc et le poids lors du passage en position assise, augmentant potentiellement le risque de douleur.
Le déplacement physiologique du coccyx lors du passage en position assise (entre 5 et 25°) peut être excessif et correspondre à une hypermotilité (plus de 25°) ou au contraire insuffisant et correspondre à une trop forte rigidité (moins de 5°). Les articulations sacrococcygiennes et intercoccygiennes peuvent avoir également des variations comme des fusions incomplètes, des subluxations, ou des anomalies de développement avec des espaces discaux entre les segments coccygiens qui modifient la fonction normale du coccyx.
Sur le plan fonctionnel, le coccyx sert de point d'attache à plusieurs ligaments et muscles importants chargés de soutenir le plancher pelvien et de contribuer au contrôle volontaire de la défécation. Les ligaments qui stabilisent le coccyx, tels que les ligaments sacrotubéraux et les ligaments longitudinaux antérieurs et postérieurs, peuvent être ainsi anormalement lâches ou tendus, contribuant à une instabilité ou une tension excessive.
Il existe une riche innervation antérieure du coccyx avec le ganglion de Walter qui fonctionne comme un relais de la nociception et de l'innervation sympathique de la région périnéale. En raison de son rôle possible dans la genèse de la douleur dans la région, le blocage chimique de ce ganglion a été parfois réalisé. Tous ces éléments doivent être analysés soigneusement pour proposer le traitement le plus adapté.
Un diagnostic basé sur une démarche rigoureuse
Le diagnostic de la coccygodynie commence par l'exclusion des autres causes de douleur lombaire basse et fessières, avec une évaluation soigneuse des symptômes et de l'histoire médicale du patient (atteinte articulaire postérieure, spondylarthrite, chirurgie régionale…). La coccygodynie se manifeste principalement par une douleur au niveau du coccyx, souvent exacerbée par des activités telles que s'asseoir, se lever ou rester assis pendant de longues périodes. Les patients décrivent généralement une douleur aiguë, sourde ou lancinante dans la région du coccyx. Cette douleur peut s'étendre vers les fesses, le bas du dos ou les jambes. Certains patients ressentent également une gêne en position debout prolongée ou lors de la défécation. La coccygodynie est souvent associée à une sensibilité accrue au toucher direct de la zone coccygienne.
Plusieurs pathologies peuvent être confondues avec la coccygodynie et doivent être considérées lors du diagnostic différentiel. Parmi elles, les pathologies anales et rectales telles que les fissures anales, les hémorroïdes et les infections peuvent provoquer des douleurs similaires. Les troubles musculosquelettiques comme le syndrome du piriforme, les hernies discales lombaires, et des myofasciites doivent également être envisagés. Les maladies inflammatoires telles que la spondylarthrite ankylosante peuvent provoquer une douleur au niveau du bassin, mimant une coccygodynie qui aura alors un horaire inflammatoire. Enfin, les tumeurs osseuses ou métastatiques, bien que rares, peuvent également être responsables de douleurs coccygiennes persistantes et inexpliquées. Une évaluation complète et systématique est essentielle pour écarter ces différentes causes et confirmer le diagnostic de coccygodynie.
L'examen clinique est crucial, et la douleur est souvent localisée précisément au coccyx lors de la palpation. Il faut ainsi rechercher une sensibilité à la pression sur le coccyx, et éventuellement sur les structures adjacentes comme les muscles piriformes et les ligaments sacrococcygiens. L'examen physique peut inclure une manœuvre de pression directe sur le coccyx et une évaluation de la mobilité du coccyx par un examen rectal, si nécessaire. Une évaluation neurologique de la sensibilité périnéale et de la motricité du pelvis peut être nécessaire pour exclure d'autres causes de douleur lombaire. Lorsque la coccygodynie n'est pas associée à une sensibilité coccygienne à l’examen, cela peut être le signe d'une douleur radiculaire ou référée.
L'imagerie fonctionnelle est indispensable
L'imagerie par radiographie conventionnelle est la première étape pour visualiser les fractures ou les anomalies du coccyx, tandis que des radiographies dynamiques peuvent révéler des problèmes de mobilité anormale du coccyx. Les radiographies dynamiques du coccyx sont des outils diagnostiques essentiels pour évaluer ces troubles de mobilité du coccyx leur attribuer la responsabilité des douleurs de coccygodynie. Ces radiographies sont effectuées en deux positions principales : debout et assis.
La radiographie de profil du sacrum en position debout est la position qui sert de référence et montre la position normale du coccyx lorsque le poids du corps n'est pas appliqué directement sur le coccyx. La radiographie du sacrum de profil en position assise est la position qui permet d'observer les changements dans la configuration du coccyx sous l'effet du poids corporel, ce qui est crucial pour identifier l'hypermobilité ou la subluxation. Le coccyx normal subit un léger degré de flexion en position assise comparé à la position debout. L'angle de changement devrait normalement être entre 5° et 25°. Si le coccyx montre une flexion de plus de 25°, cela peut indiquer une hypermobilité, ce qui peut contribuer à la douleur coccygienne en raison d'une instabilité excessive. Un changement de moins de 5° peut indiquer une rigidité anormale ou une immobilité, souvent due à une fusion des articulations ou à d'autres anomalies structurales.
Les techniques d'imagerie comme la tomodensitométrie (TDM) ou surtout l'imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être nécessaires pour des diagnostics plus complexes, ou en cas de persistance de la douleur coccygienne malgré les traitements standard et quand les radiographies sont normales. L'IRM excelle dans la visualisation des structures de tissus mous autour du coccyx, incluant les ligaments, les disques intercoccygiens, les muscles et les autres tissus conjonctifs. Ceci est particulièrement utile pour détecter des anomalies subtiles qui pourraient ne pas être visibles sur les radiographies. L'IRM peut identifier des signes d'inflammation ou d'œdème autour des articulations coccygiennes ou des points d'insertion des ligaments. Une hyperintensité sur les séquences T2 peut indiquer la présence d'un processus inflammatoire actif, souvent associé à la douleur. Elle permet aussi de détecter les variations anatomiques telles que les courbures anormales, les subluxations, ou les fusions des segments coccygiens. L'IRM peut enfin révéler d'autres pathologies qui pourraient contribuer à la douleur coccygienne, telles que les kystes pilonidaux, les abcès, ou même les tumeurs rares à la base de la colonne vertébrale.
Un traitement individualisé efficace
Le traitement de la coccygodynie est principalement conservateur. Au-delà de la lutte contre la constipation, les moyens thérapeutiques incluent l'utilisation de coussins adaptés (« coussins en U » plus efficaces que les « coussins en O ») pour réduire ou supprimer la pression sur le coccyx en position assise, des cures de médicaments anti-inflammatoires, et la physiothérapie du pelvis pour améliorer la mobilité et réduire la douleur en cas d’hyper-réactivité des muscles pelviens.
La physiothérapie par le froid et la chaleur, ainsi que les techniques de manipulation douce peuvent également être bénéfiques. Chez les patientes souffrant d'une hyperactivité des muscles du plancher pelvien, l'entraînement de ces muscles par la respiration diaphragmatique, le gonflement du périnée (également connu sous le nom de Kegel inversé), les étirements, les exercices de maintien de la posture et l'utilisation de dilatateurs vaginaux ou anaux ont permis d'améliorer l'évaluation moyenne de la douleur chez plus de la moitié des patientes traitées. La manipulation digitale du coccyx par voie intrarectale peut potentiellement détendre les muscles autour du coccyx ou mobiliser un coccyx raide et par conséquent réduire l'irritation et l’inflammation autour de l'articulation.
Un traitement par neurostimulation électrique transcutanée a été décrite comme une forme potentielle de traitement dans les cas réfractaires, en utilisant soit une technique externe avec 2 sondes cutanées, soit une technique interne avec 1 sonde cutanée et 1 sonde intrapelvienne.
Dans les cas où la douleur persiste malgré ces mesures, des injections locales rétropéritonéales, y compris les blocs du ganglion de Walter, peuvent être effectuées pour réduire la douleur. Cette technique sous contrôle radiographiques ou scanner et à travers le disque sacro-coccygien implique l'injection de médicaments anesthésiants et anti-inflammatoires directement près du coccyx, avec un risque de perforation rectale et de complications infectieuses.
Dans les cas réfractaires et où la douleur est sévère et continue malgré un traitement conservateur prolongé, une intervention chirurgicale, telle que la « coccygectomie », ou l'ablation chirurgicale du coccyx, peut être envisagée. Bien que cette procédure puisse être efficace, elle est généralement réservée aux cas les plus sévères en raison des risques associés, tels que l'infection et les complications liées à la proximité de structures anatomiques critiques comme le rectum.
D'autres options chirurgicales ont également été décrites comme des injections percutanées de ciment de polyméthacrylate de méthyle dans des fractures aiguës du coccyx, ou « coccygéoplastie », avec de bons résultats.
La coccygodynie, bien qu'elle soit une cause moins fréquente de douleur que les lombalgies et les radiculalgies, est invalidante et nécessite une démarche diagnostique rigoureuse de la part des cliniciens en raison de sa complexité diagnostique et thérapeutique. Une compréhension approfondie de l'anatomie du coccyx, des méthodes d'évaluation rigoureuses et une gamme de traitements conservateurs et invasifs sont disponibles pour gérer cette pathologie invalidante. Le traitement individualisé, basé sur l'anatomie spécifique du patient et la réponse aux traitements initiaux est crucial pour obtenir les meilleurs résultats cliniques.