Psychiatrie
Schizophrénie : une IA permettrait de repérer tôt la maladie par l'analyse sémantique du langage
Une intelligence artificielle développée par des chercheurs américains a réussi à détecter à 93% des personnes à risque de psychose via une analyse sémantique du langage (faible densitié linguistique et repérage des discours sur les voix).
- Evgeniy Anikeev/iStock
La schizophrénie est un trouble psychiatrique grave qui apparait généralement autour de la vingtaine et touche 0,7% de la population mondiale, dont 600 000 personnes en France. Une prise en charge adaptée, et surtout précoce, permettrait aux patients de vivre presque normalement. Aussi, afin d’être en mesure d’intervenir le plus tôt possible, les chercheurs tentent de dépister cette maladie à sa phase prodromique.
Une nouvelle étude, parue le 13 juin dans la revue npj Schizophrenia pourrait permettre de bien avancer sur le sujet. Grâce à une intelligence artificielle analysant la structure sémantique du langage, des chercheurs américains ont réussi à prédire à 93% quels personnes développerait une psychose au cours de leur vie.
Des signes présents dans le langage
Dans le passé, des recherches avaient déjà établi que "des caractéristiques subtiles des psychoses à venir sont déjà présentes dans le langage des malades", explique les chercheurs de l’étude. Quand il est en état de psychose avérée, le patient peine à différencier ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Il souffre d'un épisode psychotique où il éprouve des hallucinations.
Les signes annonciateurs d’une psychose commencent généralement à la fin de l’adolescence au cours d’une phase prodromique (la période d'une maladie pendant laquelle un ensemble de symptômes avant-coureurs, généralement subtiles, annoncent la survenue de la phase principale de cette maladie). Ainsi, environ 15-30% des ados entrant dans une phase prodromique développeront ensuite une malade psychotique comme la schizophrénie, la psychose chronique la plus courante.
L’IA pour repérer des indices cachés dans le langage
Grâce à des questionnaires et des tests d’habileté cognitive, les psychiatres entraînés peuvent généralement prédire à 80% quels malades entrant dans une phase prodromique développeront une psychose. Ils travaillent donc aujourd’hui sur différentes approches pour améliorer ce taux de prédiction. Parmi elles, l’apprentissage automatique, une forme d’intelligence artificielle par laquelle les ordinateurs "apprennent par l’expérience". Ce système cherche des schémas dans une base de données connue et décide lesquels correspondent à des caractéristiques spécifiques.
Pour leur étude, les chercheurs de l’Université Emory à Atlanta, en Géorgie, et de l’Université d’Harvard dans le Massachussetts ont décidé d’utiliser cette technique pour repérer les signes cachés de risque de psychose dans l’utilisation du langage.
Analyse sémantique du langage
Ils ont donc programmé leur machine pour identifier les caractéristiques linguistiques d’une conversation quotidienne grâce à des dialogues internet de 30 000 utilisateurs du forum Reddit. Ils ont ensuite utilisé le logiciel Word2Vec pour analyser les mots individuellement dans une conversation. Après avoir entraîné la machine à établir une "base de données normale", l’équipe l’a nourrie de conversations extraites de questionnaires de 40 volontaires d’une étude américaine ayant pour but d’aider les médecins à diagnostiquer les jeunes ayant un risque de psychose.
Les chercheurs ont alors comparé l’analyse de ces conversations avec la base de données. Résultat : les participants qui ont ensuite développé des psychoses ont tendance à utiliser des mots évoquant les sons et les voix (ils parlent entre autres de voix) et ont un champ sémantique plus faible que les autres : ils utilisent des mots similaires plus fréquemment.
"Un microscope pour les signes annonciateurs de psychose"
"Essayer d’entendre ces subtilités dans des conversations avec les gens c’est comme essayer de voir des germes microscopiques devant vos yeux", explique Neguine Rezaii, du Département de Neurologie à l’Université médicale d’Harvard. Ainsi, l’apprentissage automatique "est comme un microscope pour des signes annonciateurs de psychose".
"Si nous pouvons identifier quels individus sont à risque plus tôt et pratiquer des interventions préventives nous pourrions être capables de renverser la tendance (…). Il y a des données intéressantes montrant que des traitements comme la thérapie cognitive-comportementale peuvent retarder l’apparition de la psychose et peut-être même réduire la fréquence des crises", renchérit le Professeur Elaine Walker qui a également participé à l’étude.
"Cette étude est intéressante pas seulement pour en comprendre plus sur la maladie mentale mais pour voir également comment le cerveau fonctionne", conclut Phillip Wolff qui prévoit désormais d’étudier la démence.
Si la schizophrénie évolue en général par phase aiguës dans les premières années, elle se stabilise généralement avec des symptômes résiduels d’intensité variable en fonction du malade. Cela dépend bien sûr de la qualité du soutien psychoscocial du patient, de son accès aux soins et de son adhésion à sa prise en charge. En effet, avoir conscience de sa maladie et participer activement au suivi des médecins et bénéficier d’une prise en charge rapide dès les premiers troubles psychotiques aide énormément à guérir. Car il est possible de guérir de la schizophrénie. Ainsi, selon l’Inserm, environ un tiers des patients sont en rémission durable après quelques années de traitement et peuvent reprendre une vie sociale, affective et professionnelle normale.











