Etude de Noël
Vous avez dit récent ? Enquête sur un adjectif au-dessus de tout soupçon.
L’écriture scientifique a ses codes et ses tics de langage. Et recourt sans limite au terme « récent ». Or sa définition est étrangement vague. Une étude en dévoile drôlement les abus. Pour le meilleur.
- Waldemarus/iStock
L’humour se niche parfois dans les revues les plus sérieuses. Et comme c’est Noël, une étude parue le 11 décembre dans le British Medical Journal, une publication « récente » pour le moins, en donne une brillante illustration. Deux auteurs Alejandro Díez-Vidal et José R. Arribas, tout deux hispanophones, se sont livrés à un travail de recherche original : à partir de quand une référence qualifiée de “récente” est-elle vraiment récente dans un article médical ?
On ne résistera pas à livrer ici des preuves de grade A de l’esprit libre des auteurs.
« Dans la littérature biomédicale, le terme « récent » est un véritable caméléon linguistique. Ilapparaît partout : études récentes, données probantes récentes, essais cliniques récents, publicationsrécentes, etc. C'est un mot qui exprime l'urgence et la pertinence, tout en évitant habilement de se référer à une année précise – un peu comme dire « Je t'appelle bientôt » après un premier rendez-vous : rassurant, mais sujet à interprétations infinies. Les auteurs l'utilisent avec assurance, citant souvent des recherches qui auraient pu être publiées la saison précédente, voire au siècle dernier. Malgré son omniprésence, le terme « récent » demeure étrangement vague. On attend des lecteurs
qu'ils fassent aveuglément confiance à la temporalité de l'auteur. Mais que se passe-t-il si l'on ose poser la question qui s'impose ? Et si l'on prenait « récent » au pied de la lettre ?» Dans cette enquête horlogère festive, nous avons décidé de vérifier la pertinence des études récentes. Armés de curiosité, d'un calendrier et d'une certaine désinvolture vis-à-vis du formalisme académique, nous avons entrepris de mesurer l'âge réel de ces prétendues références récentes. Les résultats ne révolutionneront peut-être pas la science, mais ils pourraient bien vous faire lever un sourcil la prochaine fois que quelqu'un citera un article paru au cours de la dernière décennie ».
Une variation de 0 à 37 ans.
Loin d'unsimple humour vache, cette causticité exige aussi un dévouement de bénédictin. 1000 articles, exclusivement en anglais, ont été analysés afin d’étudier avec la plus grande rigueur l’élasticité de l’adjectif, prêt à tous les écarts temporels.
Qu’on en juge ! La variation allait de 0 à 37 ans, avec une moyenne d’environ 5,5 ans et une médiane autour de 4 ans. Sans surprise, les domaines où tout évolue vite (génétique, immunologie, infections, soins intensifs, radiologie) avaient des “récents” plus… récents (médiane ≈ 2 ans). En revanche, en néphrologie, odontologie et médecine vétérinaire, on trouve des “récents” citant des articles jusqu’à 8–14 ans plus anciens.
Un invariant de la culture académique
Cette culture du récent par bonheur serait « sans frontières ». Il n’y aurait pas là de spécificité àrechercher selon le pays ou le genre. Et les auteurs oser d’y déceler un invariant de la culture académique elle-même. Quant aux purs esprits de géométrie, ils ne pourront se livrer à leur exercice préféré, celui de la critique systématique. Comme l’expliquent les auteurs, « nous ne pouvons citer aucune étude récente pour étayer ou réfuter nos résultats, car, à notre connaissance, il n'en existe aucune. Et oui, nous avons vérifié ».
Certes, mais le lexique d’expressions temporelles n’est pas nouveau. « Récent » s’inscrit dans une longue tradition de qualificatifs vagues, peu scientifiques du type « preuves émergentes », et le fameux « certaines études suggèrent ».
En tout cas, que l’on n’accable pas les auteurs d’articles biomédicaux! On ose imaginer l’ironie réservée à ceux qui pour légitimer leur sélection de résumés d’articles publiés dans les revues à fort impact usent et abusent aussi du « récent » parfois très ancien.











