Rhumatologie

Douleur chronique : bénéfices modestes du tramadol pour des risques non négligeables

Dans la douleur chronique, le tramadol apporte une diminution modérée de la douleur, inférieure au seuil de pertinence clinique, tout en augmentant la probabilité d’événements indésirables cardiaques. Face à ce rapport bénéfices–risques défavorable, il convient privilégier des alternatives non opioïdes et réserver le tramadol à des situations aiguës ou neuropathiques.

  • 14 Octobre 2025
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    La douleur chronique est un motif majeur de consultation et d’incapacité. Le tramadol, opioïde à double mécanisme (μ-agoniste et monoaminergique), s’est imposé comme antalgique de niveau 2, porté par une perception de meilleure tolérance et d’un moindre potentiel addictif. Cette revue systématique avec méta-analyse, conduite selon un protocole préétabli intégrant Trial Sequential Analysis (TSA) et GRADE, a inclus 19 essais randomisés contre placebo totalisant 6506 adultes souffrant de douleurs chroniques (cancer et non-cancer).

    Selon les résultats publiés dans le BMJ Evidence-Based Medicine, tous les résultats sont à haut risque de biais. Le critère principal montre une réduction de la douleur de −0,93 point sur l’échelle NRS (IC à 97,5 % −1,26 à −0,60 ; p<0,0001), inférieure au MID pré-spécifié de 1,0. En d’autres termes, l’analgésie moyenne observée, bien que statistiquement significative après contrôle des erreurs aléatoires par TSA, n’atteint pas la pertinence clinique pour les patients.

    Effet antalgique en-deçà du seuil clinique et signal défavorable sur les événements graves

    L’analyse en régression bêta-binomiale met en évidence une augmentation des événements indésirables graves sous tramadol : OR 2,13 (IC à 97,5 % 1,29–3,51 ; p=0,001 ; certitude GRADE modérée), signal principalement porté par une proportion plus élevée d’événements cardiaques et de néoplasies rapportées pendant les suivis (≤12 semaines). La causalité pour les néoplasies reste incertaine au vu des durées courtes, mais le signal de morbidité cardiovasculaire appelle à la prudence.

    Les événements non graves les plus fréquents augmentent nettement : nausées (NNH 7), vertiges (NNH 8), constipation (NNH 9), somnolence (NNH 13), avec certitude très faible faute d’homogénéité et de qualité de rapport. Les données de qualité de vie sont insuffisantes pour une synthèse quantitative. Aucun résultat robuste n’a pu être établi sur la dépendance, l’abus ou les symptômes dépressifs au-delà de constats dispersés et à risque de biais. Dans l’ensemble, le profil de tolérance penche contre la poursuite d’un usage large dans la douleur chronique.

    Déprescrire, substituer, mieux étudier

    La recherche a suivi les standard Cochrane : recherche exhaustive (Cochrane Library, MEDLINE, Embase, Science Citation Index, BIOSIS jusqu’au 06/02/2025), essais randomisés publiés et non publiés, comparaison tramadol vs placebo chez l’adulte, évaluation rigoureuse du risque de biais, TSA pour contrôler les erreurs de type I/II et GRADE pour qualifier la certitude. Malgré ces garanties, la qualité intrinsèque des essais, hétérogènes, souvent courts, avec données incomplètes sur les effets indésirables graves, limite la généralisabilité et probablement surestime l’effet antalgique tout en sous-estimant les risques.

    Selon les auteurs, chez les patients atteints de douleur chronique non-neuropathique, cancéreuse ou non-cancéreuse, le tramadol ne devrait pas être une option de première intention. A contrario, il convient de prioriser un traitement médical multimodal comprenant : éducation, activité physique adaptée, psychothérapies ciblées, AINS/antalgiques non opioïdes selon le phénotype douloureux. Si un traitement d’essai avec le tramadol est jugé indispensable, le limiter dans le temps, à faible dose, avec une réévaluation stricte du rapport bénéfice–risque, une surveillance cardiovasculaire et un plan clair de déprescription.

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