Cardiologie
Infarctus du myocarde : peut-on raccourcir la double anti-agrégation ?
Deux essais randomisés récents montrent qu’une monothérapie par inhibiteur de P2Y12 après infarctus n’a pas le même profil de bénéfices/risques selon le moment où l’aspirine est arrêtée. Un arrêt très précoce en post-angioplastie immédiat apparaît risqué, tandis qu’un arrêt à 1 mois chez des patients sélectionnés à faible risque semble conciliable avec la sécurité ischémique et une réduction des saignements.
Chez les patients avec syndrome coronarien aigu traités par stent actif, les recommandations actuelles restent en faveur de 12 mois de double anti-agrégation plaquettaire (DAPT) par aspirine et inhibiteur de P2Y12, au prix d’un risque hémorragique non négligeable. Trois essais ont évalué une stratégie d'arrêt précoce de l'aspirine : l'essai TICO (Ticagrelor Monotherapy after 3 Months in the Patients Treated with New Generation Sirolimus-Eluting Stent for Acute Coronary Syndrome), l'essai STOPDAPT-2 ACS (Short and Optimal Duration of Dual Antiplatelet Therapy after Everolimus-Eluting Cobalt-Chromium Stent-2 in Patients with an Acute Coronary Syndrome), et l'essai T-PASS (Ticagrelor Monotherapy in Patients Treated with New-Generation Drug-Eluting Stents for Acute Coronary Syndrome), après 3 mois, après 1 à 2 mois ou après moins d'un mois de double traitement antiplaquettaire, respectivement, chez des patients atteints d'un syndrome coronarien aigu ayant reçu un stent coronarien.
Les essais TICO et T-PASS ont montré que l'arrêt précoce de l'aspirine était soit supérieur (dans l'essai TICO), soit non inférieur (dans l'essai T-PASS) à 12 mois de double traitement antiplaquettaire, tandis que l'essai STOPDAPT-2 ACS a montré que la monothérapie P2Y12 n'était pas non inférieure à 12 mois de double traitement antiplaquettaire. Dans les trois essais, l'arrêt de l'aspirine suivi d'une monothérapie P2Y12 a été associé à une diminution du risque d'événements hémorragiques.
Malgré les résultats des essais TICO, STOPDAPT-2 ACS et T-PASS, l'arrêt précoce de l'aspirine n'a pas été largement adopté comme traitement antithrombotique standard. Cela s'explique en partie par le fait que l'incidence des événements ischémiques dans ces essais était inférieure aux prévisions, qu'ils n'étaient pas suffisamment puissants pour évaluer les événements ischémiques ou qu'ils ont été menés auprès de populations d'Asie de l'Est qui ont une incidence plus faible de complications ischémiques après la pose d'un stent coronaire que les populations occidentales, malgré une réactivité plaquettaire plus élevée sous traitement.
ACS et DAPT : entre prévention ischémique et risque hémorragique
Dans ce contexte, deux nouveaux essais multicentriques ouverts apportent des réponses complémentaires sur la possibilité d’abréger la DAPT. TARGET-FIRST a inclus 1942 patients ayant eu un infarctus et bénéficié d’une revascularisation complète avec stent actif, sans événement ischémique ou hémorragique majeur durant le premier mois de DAPT. Les patients ont été randomisés à 1 mois entre une monothérapie par inhibiteur de P2Y12 ou la poursuite de la DAPT jusqu’à 12 mois. À 11 mois de suivi, le critère primaire composite (décès, infarctus, thrombose de stent, AVC, ou hémorragie BARC 3–5) survient chez 2,1 % des patients sous monothérapie et 2,2 % sous DAPT, démontrant la non-infériorité de la stratégie sans aspirine dans cette population à faible risque.
À l’inverse, NEO-MINDSET a testé une stratégie plus agressive d’arrêt quasi immédiat de l’aspirine. Dans cet essai brésilien, 3410 patients avec syndrome coronarien aigu traités avec succès par angioplastie et stent actif ont été randomisés dans les 4 premiers jours d’hospitalisation entre monothérapie par inhibiteur de P2Y12 (ticagrélor ou prasugrel) et DAPT maintenue 12 mois. À 1 an, le critère primaire ischémique (décès, infarctus, AVC, revascularisation urgente) est numériquement plus fréquent sous monothérapie (7,0 % vs 5,5 %), et l’essai ne démontre pas la non-infériorité de la stratégie sans aspirine.
Bénéfices hémorragiques confirmés, mais signal de thrombose de stent en cas d’arrêt trop précoce
Dans TARGET-FIRST, l’arrêt de l’aspirine à 1 mois s’accompagne d’une réduction significative des saignements cliniquement pertinents : les hémorragies BARC 2, 3 ou 5 surviennent chez 2,6 % des patients sous monothérapie contre 5,6 % sous DAPT (HR 0,46 ; IC à 95 % 0,29–0,75). La thrombose de stent reste exceptionnelle et comparable entre les groupes. Ces résultats, obtenus chez des patients à infarctus jugés à faible risque après revascularisation complète et premier mois sans événement, suggèrent qu’une stratégie « DAPT 1 mois puis P2Y12 seul » est capable de préserver la protection ischémique tout en diminuant nettement le risque hémorragique.
NEO-MINDSET confirme de son côté le bénéfice hémorragique de la monothérapie (2,0 % vs 4,9 % de saignements majeurs ou non majeurs cliniquement pertinents), mais au prix d’un signal défavorable sur les événements ischémiques. En particulier, 12 thromboses de stent ont été observées sous monothérapie contre 4 sous DAPT, avec une concentration des événements dans les 30 premiers jours après implantation, période de vulnérabilité thrombotique maximale. Dans un contexte de syndrome coronarien aigu marqué par un état pro-inflammatoire et prothrombotique, la suppression quasi immédiate de l’aspirine semble donc exposer à un sur-risque coronaire, malgré l’utilisation d’un inhibiteur de P2Y12 puissant.
Deux essais complémentaires, des patients différents, et des implications pratiques nuancées
Selon un éditorial associé, les deux études sont des essais randomisés, multicentriques, ouverts, comparant systématiquement une stratégie de monothérapie par inhibiteur de P2Y12 à la DAPT standard de 12 mois chez des patients avec syndrome coronarien aigu traités par stent actif moderne. Les modalités diffèrent cependant fortement : NEO-MINDSET randomise précocement, dans les 4 jours suivant l’angioplastie, et inclut une population plus large et plus hétérogène, tandis que TARGET-FIRST inclut des patients européens sélectionnés, à faible risque, ayant déjà « passé le cap » du premier mois sans complication, avec revascularisation complète. Les critères primaires, les marges de non-infériorité et la composition des composites (inclusion ou non du saignement majeur) influencent également l’interprétation des résultats.
En termes de généralisabilité, les données de NEO-MINDSET militent clairement contre une stratégie « sans aspirine » immédiate après stent dans le syndrome coronarien aigu, malgré un bénéfice en termes de saignement. En revanche, TARGET-FIRST soutient, dans une population soigneusement sélectionnée, l’idée qu’un arrêt de l’aspirine après 1 mois de DAPT suivi d’une monothérapie par inhibiteur de P2Y12 est une option sûre et hémostatiquement avantageuse.
En pratique, ces travaux confortent les recommandations de ne pas raccourcir la DAPT à moins d’un mois en dehors de situations exceptionnelles, tout en ouvrant davantage la porte à une stratégie de « DAPT courte » à 1 mois chez les patients à risque hémorragique élevé, ayant une angioplastie non complexe et un premier mois strictement indemne d’événement. Les prochaines études devront affiner la sélection des patients (score de risque ischémique et hémorragique, complexité de la lésion, comorbidités) et clarifier la place respective des différents inhibiteurs de P2Y12, afin de personnaliser la durée de la DAPT plutôt que d’appliquer uniformément le paradigme des 12 mois.








