Gériatrie

Myélopathie cervicarthrosique : des troubles de la marche de la personne âgée

La myélopathie cervicarthrosique n’est pas très fréquente mais est de pronostic redoutable si elle est négligée. Elle correspond à une inflammation, un œdème et une souffrance de la moelle épinière cervicale secondaire à une compression mécanique, statique, dynamique, ou les 2.

  • Tatiana Sviridova.istock
  • 22 Mar 2022
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    La myélopathie cervicarthrosique est un équivalent à l’étage cervical du canal lombaire étroit au rachis lombaire. Comme au rachis lombaire, c’est une affection neurogène liée à une dégénérescence des disques intervertébraux, des articulaires postérieures et des structures ligamentaires voisines, qui survient chez la personne âgée. Mais, une des principales différences est que la structure nerveuse la plus souvent concernée dans cette affection est la moelle épinière. A un stade plus avancé, les lésions seront le plus souvent irréversibles et évolueront vers une paralysie des 4 membres.

    Tout l’enjeu est donc de porter un diagnostic précoce de souffrance médullaire cervicale, afin de poser les indications opératoires à temps, avant l’installation de troubles neurologiques irréversibles. Bien sûr, il ne s’agit pas de poser des indications opératoires chez des malades arthrosiques qui n’ont pas de lésion médullaire.

    Une physiopathologie composite

    Bien qu’à un âge avancé, tous les composants du rachis cervical puissent être concernés par le processus dégénératif, la myélopathie cervicarthrosique dépend surtout des lésions des disques intervertébraux et des articulaires postérieures. Les disques au rachis cervical sont un peu différents des disques lombaires mais il existe un annulus et un nucleus pulposus non vascularisés et nourris par diffusion, un processus moins efficient que la vascularisation, et qui peut favoriser leur dégénérescence.

    Le processus est probablement dépendant de facteur génétiques, de facteurs d’environnement (traumatismes, micro-traumatismes, tabagismes…) et de processus inflammatoires. Ce processus de dégénérescence aboutit assez rapidement à un pincement discal qui va réduire la hauteur des foramens et à une arthrose associée des plateaux et des articulaires postérieures qui vont s’hypertrophier et favoriser le rétrécissement foraminal avec un risque de radiculalgies.

    D'un point de vue physiopathologique, la myélopathie résulte donc d'une compression statique, d'un mauvais alignement de la colonne vertébrale entraînant une modification de l'apport vasculaire de la moelle épinière et de mécanismes lésionnels dynamiques (une compression liée à un rétrécissement canalaire peut être majorée en flexion du rachis cervical qui étire la moelle épinière).

    Évoquer tôt le diagnostic

    Les malades qui souffrent de myélopathie cervicarthrosique ont le plus souvent des cervicalgies mécaniques, anciennes, avec une raideur cervicale, qui ne sont bien sûr, pas discriminantes, voire une radiculalgie d’un membre supérieur, avec paresthésies et hypoesthésie de l’étage le plus concerné.

    Initialement, la myélopathie commence par des troubles de la marche, avec éventuellement des troubles sensitifs, en particulier de la sensibilité proprioceptive impactant l’équilibre, qui doivent déclencher un examen et des explorations plus poussées. La symptomatologie peut varie en fonction de la prédominance de la compression : antérieure plutôt motrice et postérieure, plutôt douloureuse et sensitive.

    Le clinicien doit être particulièrement attentif devant un trouble de la marche atypique survenant chez une personne âgée, le plus souvent avec notion de cervicalgies, mais celles-ci sont loin d’être spécifiques et isolées à cet âge : plus de 80% de la population a des lésions dégénératives discales cervicales à partir de 50 ans, mais seulement 4 sur 100 000 auront une myélopathie en rapport avec une cervicarthrose.

    Un piège diagnostique, récemment mis en évidence, est qu’une myélopathie cervicarthrosique peut être associée à un syndrome du canal lombaire étroit. C’est le même terrain, avec la même arthrose exubérante et des discopathies étagées. Il est très important d’y penser et de dépister une claudication médullaire chez ces malades en raison d’un risque de laisser trainer cette complication neurologique qui ne serait alors découverte qu’après la chirurgie du canal lombaire, devant l’absence d’amélioration des malades, et éventuellement trop tard pour que les lésions de la moelle au niveau cervical soient réversibles.

    L’interrogatoire et l’examen orienté est fondamental

    Les patients qui souffrent de myélopathie cervicarthrosique peuvent avoir initialement des symptômes assez subtils, avec une perte de force et de fonction progressive aux membres supérieurs et aux membres inférieurs. Des symptômes progressifs et pas très spécifiques peuvent être facilement attribués par les malades à une perte naturelle de fonction liée à l’âge et c’est toute la difficulté du diagnostic précoce qui doit pourtant être fait à cette phase pour améliorer le pronostic.

    Il faut donc être attentif aux plaintes chez la personne âgée de perte de la dextérité manuelle avec des difficultés à effectuer les gestes de la vie quotidienne (se boutonner, écrire, tourner une clé dans une serrure…) et rechercher une baisse ou une perte de la sensibilité des doigts avec des paresthésies à type de fourmillements, voire une baisse progressive de la force musculaire des mains (muscles interosseux). Aux membres inférieurs, il ne faut pas se contenter d’explications simplistes devant des troubles de la marche et de l’équilibre : il est important de rechercher une aggravation de ces troubles lorsque les malades ferment les yeux (signe de Romberg), ainsi qu’une hypoesthésie des pieds, une hypertonie des extenseurs, en particulier au repos, voire une impériosité urinaire ou fécale.

    Il est possible de retrouver à l’examen un trouble pyramidal en cas de compression antérieure franche avec hypertonie aux mouvements et une hyper-réflexibilité (Hoffman et Babinski). Il est également possible d’avoir un signe de Lhermitte (sensation de décharge électriques irradiant dans le rachis lors de la flexion du cou), en cas de compression postérieure importante.

    Ne pas négliger un trouble de la marche atypique et penser à la myélopathie cervicarthrosique tôt est ce qui fera la différence de pronostic car son évolution se fait progressivement vers la paralysie irréversible aux 4 membres. En cas de doute, chez une personne âgée qui a mal au cou et qui marche mal, il faut donc demander des explorations cervicales ou un avis spécialisé.

    L’IRM domine les examens complémentaires

    Chez les patients âgés qui souffrent de troubles neurologiques progressifs, de troubles de la marche ou tout autre symptôme évoquant une myélopathie (trouble de la dextérité des mains), l'IRM du rachis cervical sans administration de produit de contraste est la technique d'imagerie la plus performante, car elle fournit des informations sur les structures osseuses et les tissus mous et peut permettre de mettre en évidence la souffrance de la moelle épinière en rapport avec la sténose canalaire cervicale. En raison de l'hétérogénéité de l'affection et de l'évolution de la technologie IRM, de multiples techniques (DTI, MT…) ont été développées au fil des ans pour tenter de quantifier le degré de gravité et le potentiel de récupération neurologique. L’IRM dynamique est une technique prometteuse qui réduirait les faux négatifs.

    La présence d'un signal anormal dans la moelle épinière, au niveau ou à proximité du niveau de la compression canalaire est cependant considérée comme l’élément diagnostic le plus sérieux de souffrante médullaire. Cette anomalie de signal est en rapport avec un œdème ischémique de la moelle qui peut signifier un résultat moins satisfaisant que prévu lors de la décompression chirurgicale.

    Les reconstructions sagittales permettent de visualiser l’étendue en hauteur, à la fois du rétrécissement canalaire et de la souffrance médullaire et par conséquent de quantifier précisément le nombre d’étages qu’il faudra décomprimer chirurgicalement. Des séquences dynamiques peuvent également être demandées dans certains cas, permettant de mettre en évidence une compression positionnelle de la moelle.

    Dans certains cas cependant, la moelle épinière semble capable de supporter un degré substantiel de déformation, avec peu de symptômes, si la déformation se développe lentement. De nouvelles techniques utilisant l'IRM de pointe font leur apparition et fournissent de nouveaux outils intéressants pour évaluer la moelle épinière chez les patients atteints de myélopathie cervicarthrosique.

    Si l'IRM est contre-indiquée ou non disponible, un scanner avec reconstructions 3D de la colonne cervicale montre très bien les altérations osseuses des vertèbres, et en particulier les ostéophytes et les réductions du calibre utile du canal qui leur sont secondaires. La distinction entre compressions « dures », d’origine ostéophytique, et compressions « molles », d’origine disco-ligamentaire, est importante pour le chirurgien : un scanner complémentaire sera souvent demandé par le chirurgien en pré-opératoire, alors même que le diagnostic a été confirmé par l’IRM.

    De la même façon, des radiographies standard du rachis cervical sont appréciées des chirurgiens en pré-opératoire pour dépister un trouble statique tel qu’une anomalie de courbure du rachis ou un spondylolisthésis. Surtout, des clichés dynamiques (flexion/extension de profil) seront intéressants pour dépister une instabilité dynamique entre 2 vertèbres, instabilité qui ne se voit pas forcément sur les clichés statiques et se démasque lors des mouvements.

    Un électromyogramme (EMG) peut être parfois demandé pour approfondir le diagnostic et objectiver une souffrance associée d’une ou plusieurs racines. Surtout, une analyse par potentiels évoqués moteurs ou somesthésiques est souvent demandé par les chirurgiens pour consolider le diagnostic de souffrance de la moelle et décider de l’indication opératoire en cas de symptomatologie fruste (souffrance infraclinique). Les discordances entre la symptomatologie clinique d’une part et les images d’IRM d’autre part sont fréquentes (près d’un cas sur 2). Ainsi, lors d’une suspicion de myélopathie cervicarthrosique avec symptomatologie fruste ou infraclinique, le bilan électrophysiologique est justifié. Afin d’obtenir une sensibilité optimale, il est recommandé de combiner les explorations sensitive et motrice des quatre membres en étudiant particulièrement les potentiels cervicaux segmentaires et de jonction cervico-bulbaire (potentiel N13, qui évalue le fonctionnement médullaire segmentaire).

    En cas de doute sur d’autres maladies associées, d’autres examens peuvent être demandés (dosage de la vitamine B12, analyse du LCR…).

    Le traitement est essentiellement chirurgical

    En cas de myélopathie cervicarthrosique avec symptomatologie neurologique, il n’y a pas de traitement médical et le malade est adressé au chirurgien spécialiste du rachis, éventuellement avec un collier cervical rigide en cas d’instabilité dynamique. En effet, pour les patients avec des déficits neurologiques modérés à sévères, les consensus ont suggéré que la gestion non-chirurgicale, comparée à la chirurgie, conduit à des résultats cliniques inférieurs. Cependant, il n'existe pas de données issues d'essais randomisés bien menés, tels que ceux qui ont été réalisés pour le canal lombaire rétrécis, et cette position est donc largement basée sur l'expérience clinique.

    La décision de décompresser chirurgicalement la moelle dans le canal rachidien en cas de rétrécissement canalaire cervicarthrosique intègre, mais ne dépend pas entièrement, de facteurs tels que le degré d'invalidité (par exemple, l'altération des activités de la vie quotidienne) et la rapidité de la progression des symptômes. Les objectifs de la chirurgie sont de décompresser la moelle épinière et de stabiliser la colonne, tout en essayant de restaurer ou de maintenir un alignement rachidien relativement normal.

    Les approches chirurgicales pour le traitement de la myélopathie, avec ou sans radiculopathie associée, comprennent des techniques antérieures, postérieures et antéropostérieures. Chaque technique a ses partisans et ses inconvénients, liés principalement à l'adéquation de la décompression de la moelle épinière et éventuellement des racines nerveuses, au maintien de la stabilité de la colonne vertébrale, à la durée de l'intervention et à la perte de sang, ainsi qu'au temps nécessaire pour se remettre de l'opération et quitter l'hôpital.

    Le choix de la ou des techniques dépend donc de plusieurs paramètres : la prédominance motrice des symptômes, généralement en rapport avec une compression plutôt antérieure ou la prédominance sensitive des symptômes, plutôt postérieure de la moelle épinière, le nombre de niveaux vertébraux concernés par le rétrécissement canalaire, l’origine de la compression (disco-ostéophytes antérieurs ou arthrose zygapophysaire postérieure), l’existence d’un trouble de la statique vertébrale associé (spondylolisthésis, cyphose cervicale), l’état général du patient… et l’expérience du chirurgien avec une de ces procédures.

    Traditionnellement, lorsque le rétrécissement du canal vertébral est très étendu en hauteur (plus de 3 segments mobiles rachidiens), on préfère une décompression postérieure par laminectomie, parfois associée à une fixation postérieure des vertèbres. Une décompression par voie antérieure (dissectomie ou somatotomie médiane) sera préconisée en cas de compression provenant des disques intervertébraux, n’excédant pas 3 segments mobiles rachidiens, et en cas de troubles de la statique vertébrale. La décompression par voie antérieure est le plus souvent associée à une arthrodèse des vertèbres.
    Cependant, une analyse récente de la littérature montre que, tant sur le plan de l'efficacité que de la sécurité, il n'y a pas d'avantage clair à une approche chirurgicale antérieure ou postérieure dans le traitement des patients atteints de myélopathie cervicarthrosique à plusieurs niveaux. Il convient donc d'utiliser une stratégie chirurgicale élaborée en fonction de chaque patient pour obtenir des résultats optimaux. C’est cette approche individualisée qui est désormais recommandée en tenant compte des variations anatomo-pathologiques (ventral vs dorsal, focal vs diffus, sagittal, instabilité dynamique) car les résultats sont similaires en termes d'efficacité et de sécurité.

    Les résultats dépendent de la gravité et de la durée du déficit neurologique au moment de la chirurgie. L'âge avancé, le tabagisme et la coexistence d'une comorbidité sont des facteurs déterminants. Une étude récente montre que lorsque les patients sont diagnostiqués et opérés assez tôt, un bon résultat fonctionnel pourrait être obtenu dans plus de 60% des cas.

     

     

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