Rhumatologie

Syndromes auto-inflammatoires : pas si rares et pas seulement en pédiatrie

Avec les progrès de la thérapeutique et l’intérêt du traitement précoce en termes de prévention des lésions d’organes, le diagnostic précoce des syndromes auto-inflammatoires devient un véritable enjeu.

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  • 12 Août 2021
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    Les maladies auto-inflammatoires systémiques (Systemic AutoInflammatory Diseases ou SAIDs) constituent un groupe croissant de maladies causées par un dérèglement du système immunitaire inné aboutissant à des épisodes récidivants d'inflammation systémique. En 1997, le MEFV a été le premier gène identifié comme causant la Fièvre Méditerranéenne Familiale (FMF), ou maladie périodique, la maladie auto-inflammatoire héréditaire la plus courante.

    Dans la plupart des cas, les syndromes auto-inflammatoires ont un fort background génétique avec des mutations portant le plus souvent sur un seul gène. Depuis 1997, grâce au séquençage génétique et une collaboration internationale, plus de 30 nouveaux gènes associés spécifiquement à des maladies auto-inflammatoires ont été identifiés, toutes concernant différentes parties du système immunitaire inné. Des facteurs déclenchants environnementaux peuvent être impliqués via différents mécanismes.

    Il n'y a pas si longtemps, les spécialistes considéraient les maladies auto-inflammatoires comme des diagnostics rares en pédiatrie, mais avec l'expansion rapide des tests génétiques, ces maladies n’apparaissent plus si rares et plus si jeunes : le retard diagnostique reste important (classiquement 7,3 ans).

    Différences par rapport aux maladies auto-immunes

    Les maladies et les syndromes auto-inflammatoires peuvent être considérés comme le pendant des maladies auto-immunes, ayant en commun d'être causées par des réponses immunitaires anormales.

    La principale distinction est que les maladies auto-immunes sont généralement définies par un dysfonctionnement du système immunitaire adaptatif, alors que dans les syndromes auto-inflammatoires, c'est le système immunitaire inné qui est affecté. Les principaux types de cellules du système immunitaire inné sont les monocytes, les macrophages et les neutrophiles, tandis que la réponse immunitaire adaptative est médiée par les lymphocytes B et T.

    Les critères initiaux de définition des syndromes auto-inflammatoires ont donc été logiquement l'absence d'auto-anticorps de titre élevé ou de cellules T spécifiques de l'antigène et une inflammation systémique apparemment non provoquée.

    Liens avec les maladies auto-immunes

    S'il existe de nettes différences entre les maladies auto-inflammatoires et auto-immunes, elles présentent également de nombreuses similitudes.

    Dans les deux groupes, les processus pathologiques sous-jacents sont dirigés contre l’organisme qui les héberge. Elles ont un caractère nettement systémique, impliquant le système musculo-squelettique, et elles comprennent toutes deux des maladies monogéniques et polygéniques. Un autre lien crucial entre l'immunité adaptative et l'immunité innée est l'action de l’IL-1β qui est souvent centrale.

    Par ailleurs, le système immunitaire inné joue un rôle dans l'activation du système immunitaire adaptatif par les cellules présentatrices d'antigènes. Ainsi, le système immunitaire inné peut déclencher une réponse des cellules B et T, et une activation excessive, ou à long terme l'immunité innée peut entraîner des maladies auto-immunes.

    L’enjeu du diagnostic précoce

    Le retard diagnostique peut être problématique, non seulement vis-à-vis de la qualité de vie, mais aussi de la morbi-mortalité en en raison de l’inflammation aiguë récidivante et non contrôlée. Cette inflammation non contrôlée peut en effet provoquer à long terme une amylose, des arthropathies, des lésions d’organes, voire entraîner une mort prématurée dans les cas les plus graves.

    Le diagnostic précoce est donc désormais un véritable enjeu dans la mesure où des options de traitement efficaces, comme certaines biothérapies, seraient à même de prévenir ces séquelles si la maladie est détectée à temps.

    Un classement plus pratique

    Pour le diagnostic, il était courant de classer les maladies auto-inflammatoires en fonction de l'âge d'apparition, des symptômes associés, des antécédents familiaux ou de l'origine ethnique, ainsi que des facteurs déclenchants ou atténuants des épisodes... Mais, d’un strict point de vue thérapeutique, il est désormais plus pertinent de les classer en fonction de leur physiopathologie, physiopathologie qui peut être accessible à un traitement spécifique.

    En fonction de leur mécanisme moléculaire, les SAIDs peuvent être divisés en inflammasomopathies ou syndromes d'activation de l'IL-1β (FMF, NLRP3-AID, MKD, DIRA, DITRA), en troubles du repliement des protéines (TRAPS), en troubles de l'activation de NF-κB (syndrome de Blau), en interféronopathies (syndromes d'Aicardi-Goutières) et en autres troubles de la signalisation des cytokines et en complémentopathies (comme l’hémoglobinurie nocturne paroxystique, le syndrome urémique hémolytique atypique). 

    Cependant, 3 groupes de SAIDs (inflammasomopathies, troubles de l'activation de NF-κB et interféronopathies) peuvent actuellement bénéficier de traitements spécifiques et efficaces. Pour les autres, le traitement se limitera encore aux corticoïdes et aux immunomodulateurs. Pour les autres syndromes auto-inflammatoires, liés à d’autres anomalies physiopathologiques (troubles du repliement des protéines, autres troubles de la signalisation des cytokines et complémentopathies), on ne dispose encore pas de traitement spécifique.

    Les inflammasomopathies ou syndromes d'activation de l'IL-1β

    Le premier groupe de syndromes auto-inflammatoires bénéficiant d’un traitement spécifique est celui des inflammasomopathies, ou syndromes d'activation de l'IL-1β, qui sont caractérisés par une élévation de l'IL-1β due à l'activation de l'inflammasome. Les maladies associées sont la FMF, le NLRP3-AID (ou CAPS) et le déficit en mévalonate kinase (MKD).

    Lorsqu'il est activé, l’inflammasome est responsable de la transformation des cytokines de la famille de l'interleukine-1, les passant de la forme pro-active à la forme active. Par conséquent, en cas de dérèglement et de suractivité de l'inflammasome, il y a production excessive de cytokines comme l'IL-1 bêta et l'IL-18, ce qui entraîne une maladie auto-inflammatoire de type inflammasomopathie.

    Les caractéristiques cliniques comprennent des fièvres et des atteintes d'organes, notamment des douleurs abdominales, des éruptions cutanées non-vascularites, une uvéite, une arthrite, un nombre élevé de globules blancs/neutrophiles et des marqueurs inflammatoires très élevés. Les traitements potentiels comprennent logiquement les différents inhibiteurs de l'IL-1.

    Les interféronopathies

    La deuxième catégorie de syndromes auto-inflammatoires pouvant bénéficier d'un traitement est constituée par les interféronopathies, qui sont causées par une suractivité du versant antiviral du système immunitaire inné. En cas de suractivité du capteur d'acide nucléique dans le cytosol, la cellule interprète cette situation de façon erronée comme étant une infection virale, et elle déclenche la production d'interféron de type 1. Par conséquent, en cas de dérèglement de ces voies, il se produira un excès d'interféron de type 1 qui contribuera aux manifestations de la maladie.

    Les caractéristiques cliniques comprennent des fièvres récurrentes et des atteintes d'organes, notamment des éruptions cutanées de type vascularite, une pneumopathie interstitielle et des calcifications intracrâniennes. Les marqueurs inflammatoires peuvent ne pas être aussi élevés que dans les inflammasomopathies, et des auto-anticorps peuvent être présents. Les inhibiteurs de la Janus kinase constituraient un traitement potentiel mais des antagonistes de l’interféron de type 1 sont en cours d’étude.

    Les NF-kappaBopathies

    La troisième catégorie de syndromes auto-inflammatoires accessible à un traitement spécifique est constituée par les NF-kappaBopathies, qui sont dues à une suractivité de la voie de signalisation NF-kappaB.

    Les caractéristiques cliniques peuvent inclure des fièvres avec une atteinte d'organes qui peut être très variable mais qui peut inclure des lésions cutanéo-muqueuses ou une maladie granulomateuse.

    Les options thérapeutiques dépendent de la voie impliquée, mais les anti-TNF jouent souvent un rôle en raison de l'importance du NF-KB dans cette voie de signalisation.

    Quand évoquer un syndrome auto-inflammatoire ?

    Les praticiens doivent suspecter un syndrome auto-inflammatoire si un patient présente essentiellement des épisodes fébriles récidivants inexpliqués, avec des signes d'inflammation systémique dans les analyses de sang et si plusieurs organes sont concernés, en particulier la peau, les poumons, l'intestin, les articulations, le système nerveux central et les yeux. Beaucoup de ces patients ont des crises épisodiques et assez stéréotypées au fil du temps.

    Étant donné que beaucoup de ces maladies sont secondaires à l'anomalie d'un seul gène, on peut préjuger qu'il s'agit d'une maladie auto-inflammatoire monogénique s'il y a des antécédents familiaux, s'il y a consanguinité ou si l'âge d'apparition est précoce.

    L'un des outils à utiliser dans la démarche diagnostique est de demander aux patients et aux familles de tenir un journal des symptômes dans lequel ils notent les dates des différents symptômes qui pourront être examinés lors de leur prochain rendez-vous afin de poser un diagnostic basé sur le profil syndromique.

    Comme bilan de débrouillage initial, il est généralement nécessaire de demander une NFS, une VS et une CRP, ainsi que les transaminases hépatiques et la créatinine pour vérifier un impact hépatique et rénal. L'albumine sérique permettra également de voir si le patient est hypoalbuminémique, signe qu'il commence à perdre des protéines. Le bilan immunologique sera le plus souvent négatif.

    En cas de forte suspicion, le patient sera référé dans un centre spécialisé qui pourra poser le diagnostic, en s’aidant d’un test génétique mis au point à partir des principaux gènes identifiés. Près de la moitié des patients se retrouvent à la fin de cette démarche sans diagnostic car leur maladie n’est pas encore identifiée. C’est l’intérêt des plateformes génétiques régionales qui permettront un séquençage génétique complet, 1ère étape d’un diagnostic futur via les études d'association à l'échelle du génome (GWAS) au niveau international.

    En conclusion

    Les maladies auto-inflammatoires (SAIDs) représentent un groupe de pathologies caractérisées par des épisodes d'inflammations clinique et biologique avec fièvre et atteinte de plusieurs organes. Elles sont secondaires à une activation excessive de la réponse immunitaire innée, indépendamment de la réponse immunitaire adaptative, le plus souvent d’origine génétique.

    Le diagnostic doit être évoqué devant une fièvre inexpliquée et récidivante, associée à différentes atteintes d’organes, et d’autant plus qu’il existe des antécédents familiaux. Il doit être confirmé dans des centres spécialisés et à l’aide de tests génétiques.

    Des traitements efficaces existent désormais pour nombre de ces maladies auto-inflammatoires ce qui renforce l’intérêt d’un diagnostic précoce, avant l’installation de lésions d’organes.

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