Onco-Digestif

Carcinose péritonéale d'origine colorectale : quid de la chimiothérapie péri opératoire ?

L’essai CAIRO 6 est un essai de phase III randomisé testant l’intérêt d’une chimiothérapie péri opératoire chez des malades opérés d’une carcinose péritonéale d’origine colorectale. L’essai est certes négatif sur son critère de jugement principal, la survie globale. Toutefois, la chimiothérapie péri opératoire, s’avère selon les résultats de cet essai, être le premier traitement à réduire le risque de récidive chez ces malades. Un réel espoir !

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  • 15 Octobre 2025
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    En cas de carcinose péritonéale (CP) d’origine colorectale résécable, la réalisation d’une chirurgie de cytoreduction complète (CCC) est associée à de bons résultats oncologiques avec des taux de survie globale de près de 50 % à 5 ans (1).  Plusieurs questions concernant la prise en charge optimale de ces patients restent en suspens. Quoiqu’encore très discutée, l’administration d’une chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (CHIP) à base d’oxaliplatine parait pourtant arbitrée par plusieurs essais négatifs (1, 2), en revanche, l’intérêt d’une chimiothérapie pré ou péri opératoire est débattue.

    L’essai CAIRO 6

    Au congrès de l’ASCO 2025, ont été présentés les résultats définitifs de l’essai de phase III CAIRO 6. L’objectif de cet essai était de tester l’intérêt d’une chimiothérapie en péri opératoire d’une CCC + CHIP à base de mitomycine C pour CP d’origine colorectale. Les malades éligibles avaient une CP considérée comme résécable (PCI < 20) sans métastase extra-péritonéale et n’avaient reçu aucune chimiothérapie avant de participer à l’essai.
    Les malades étaient randomisés pour avoir soit une chimiothérapie péri opératoire (12 semaines de bichimio + bevacizumab préop puis 12 semaines de bichimio postop) encadrant la CCC + CHIP soit une CCC + CHIP d’emblée. Parmi les 358 malades inclus, 178 ont été inclus dans le groupe CCC + CHIP d’emblée et 180 dans le groupe chimio péri opératoire.

    Résultats

    Il n’y avait pas de différence sur la proportion de malades ayant une exploration chirurgicale sans résection (23 dans le groupe chirurgie d’emblée et 20 dans le groupe chimio périop). Un peu plus de la moitié des malades du groupe chimiothérapie péri opératoire (57 %) ont présenté une toxicité CTCAE ≥ 3.
    Après un suivi médian de 41 mois, la médiane de survie globale, critère de jugement principal de l’essai, n’était pas significativement amélioré par l’administration d’une chimiothérapie péri opératoire (44 mois dans le groupe chimio périop et 41 mois dans le groupe CCC + CHIP d’emblée, HR = 0,85, intervalle de confiance 95 % = 0,62-1,15, p = 0,28).
    En analyse per-protocole (incluant uniquement les malades ayant eu la chirurgie de cytoreduction + CHIP), l’administration de la chimiothérapie périopératoire s’accompagnait d’une tendance en faveur d’une amélioration de la survie globale mais la différence n’était pas statistiquement significative (médiane 54 mois vs 45 mois, p = 0,09).
    En revanche, l’administration d’une chimiothérapie péri opératoire permettait une amélioration de la médiane de survie sans progression (13,5 mois dans le groupe chimio périop et 7 mois dans le groupe chirurgie + CHIP d’emblée, HR = 0,51, intervalle de confiance 95% = 0,41-0,65, p<0,0001).

    Pas d’augmentation des complications sévères ou de la mortalité

    Il n’y avait pas de différence statistiquement significative concernant le taux de complications sévères chez les malades opérés avec ou sans chimiothérapie péri opératoire (36 % vs 26 % respectivement, p = 0,08). Le taux de mortalité postopératoire était de 1% dans les deux groupes. Les auteurs ont conclu que l’administration d’une chimiothérapie péri opératoire ne permettait pas d’améliorer la survie globale des malades opérés d’une CP d’origine colorectale d’emblée résécable.

    Et maintenant ?

    Les avantages théoriques de la chimiothérapie préopératoire dans le cancer colorectal métastatique sont de tester la chimiosensibilité, de traiter la maladie micrométastatique, d’éviter des chirurgies inutiles chez des malades ayant une maladie agressive progressant rapidement ; elle est aussi beaucoup plus facile à administrer que la chimiothérapie postopératoire en cas de chirurgie lourde et enfin elle permettrait d’améliorer le résultat oncologique, c’est probablement le plus important.

    Mais tout cela est théorique et encore faut-il le démontrer. Cette étude, très bien construite, montre malheureusement que l’administration d’une chimiothérapie périopératoire ne permet pas d’améliorer la survie globale des malades opérés d’une CP d’émblée résécable. Faut-il pour autant la jeter aux orties ?
    Il n’y a certes pas de différence sur le critère de jugement principal mais la chimiothérapie péri opératoire permet pratiquement de doubler les taux de survie sans progression et c’est un résultat très positif. Comment expliquer cette discordance ?
    La version pessimiste pourrait être que la chimiothérapie peri opératoire ne fait que retarder la récidive. Qu’en outre, cette récidive, quand elle survient est plus agressive et moins accessible aux traitements puisqu’ils ont déjà été utilisés. Il sera intéressant de connaitre le détail des récidives et les modalités de leur traitement dans les deux groupes.
    Il y a aussi une version optimiste se basant sur le manque de puissance de l’essai. La méthodologie est robuste mais il n’est pas impossible que l’essai soit un peu sous dimensionné auquel cas, il ne faudrait surtout pas abandonner la chimiothérapie péri opératoire. Ce traitement s’avère être le seul à l’heure actuelle à montrer son efficacité pour réduire le risque de progression, ce n’est à ce jour pas le cas de la CHIP, il faut le rappeler.

    Deux points doivent en outre être soulignés. Dans l’essai, tous les malades avaient une CHIP à la Mitomycine C. Son intérêt par rapport à une chirurgie de cytoréduction seule n’est pas démontré. La combinaison de la chimiothérapie péri opératroire et de la CHIP aurait pu majorer la morbidité chirurgicale, ça n’est pas le cas. Les taux de morbidité postopératoire sévère n’étaient pas différents dans les deux groupes.
    Enfin, les auteurs ont mené une analyse en sous-groupe et la chimiothérapie péri opératoire semble particulièrement profitable chez les malades opérés d’une CP d’un cancer du côlon droit (à peu près la moitié des malades) et particulier en cas de CP synchrones. L’essai étant négatif, cette analyse n’est pas formellement valide mais elle donne cependant une information intéressante pour la sélection des bons candidats au traitement péri opératoire.

     

    References

    1. 1, Lancet Oncol. 2021 Feb;22(2):256-266. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30599-4.
    2. 2, Lancet Oncol. 2020 Sep;21(9):1147-1154. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30322-3.

     

     

     

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