Onco-Digestif

Adénocarcinome du pancréas résécable : doit-on prendre en compte la latéralité ?

Lorsqu’ils sont latéralisés à gauche, les adénocarcinomes du pancréas sont associés à un mauvais pronostic. De ce fait, la question d’une prise en charge spécifique de l’adénocarcinome du pancréas résécable, en fonction de sa latéralité est pertinente. Elle est pour la première fois posée concrètement dans une étude rétrospective multicentrique de qualité, publiée dans Annals of Oncology.

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  • 07 Mai 2025
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    Les adénocarcinomes du pancréas (AP), dont le taux d’incidence ne cesse d’augmenter (16 000 cas/an en France, INCa, 2023), sont des tumeurs digestives agressives avec un pronostic qui reste sombre et une survie globale (SG) à 5 ans de 11 %, tous stades confondus.

    Récemment, plusieurs études ont démontré qu’un AP latéralisé à gauche (APG, corps/queue ; 30 % des cas), était un facteur de mauvais pronostic avec des taux de survie plus faibles en comparaison d’un AP latéralisé à droite (tête, uncus). En effet, lorsqu’il se développe à gauche, l’AP est habituellement diagnostiqué plus tardivement que les tumeurs qui surviennent à droite en raison de signes cliniques plus tardifs et de l’absence d’ictère lié à l’obstruction des voies biliaires. De plus, lorsqu’il est résécable, la chirurgie d’un APG est systématiquement couplée à une splénectomie. Dans ce cas, l’atteinte de la vascularisation splénique n'a pas d'influence sur la résécabilité mais plusieurs études observationnelles ont montré que l'atteinte radiologique ou pathologique des vaisseaux spléniques était associée à un pronostic défavorable. Par ailleurs, d’autres facteurs encore méconnus ont probablement un impact sur ce pronostic défavorable (biologie tumorale plus agressive ?).

    Dans ce contexte, se pose la question de proposer un traitement néoadjuvant (NA) pour l’APG, lorsqu’il est résécable.


    Méthode

    Ainsi, une étude rétrospective (2013-2019) observationnelle multicentrique de grande ampleur a été menée afin d’évaluer l’intérêt potentiel à proposer un traitement NA pour l’APG résécable. Ont été inclus des patients consécutifs âgés de ≥ 18 ans, opérés d’un APG résécable selon les critères NCCN (toutefois avec exclusion des cas qui présentaient un contact veineux porto-mésentérique ≤ 180°), qu’ils aient été opérés d’emblée ou après un traitement NA (chimiothérapie ± radiothérapie). L’objectif principal était l’évaluation de la SG.

    Au total, 2 282 patients ont été inclus parmi lesquels 290 (13 %) ont reçu un traitement NA, principalement une chimiothérapie par mFOLFIRINOX (38 %) ou gemcitabine plus nabpaclitaxel (22 %), d’une durée médiane de 9 semaines. Un traitement de radiothérapie avait été combiné à la chimiothérapie NA dans 33 % des cas. On notera que les patients traités en NA étaient plus jeunes (68 ans vs 70 ans) avec une sur représentation féminine (52 % vs 45 %). Les taux d'administration d'une chimiothérapie adjuvante étaient similaires dans les 2 populations à l’étude (72 %).

    Après un suivi médian de 61 mois, et après ajustement sur des facteurs de confusion (ECOG PS, site de prise en charge, comorbidités), la SG médiane des patients traités en NA était de 53 mois (IC95 % 43-64 mois) vs 37 mois (IC95 % 35-39 mois) (p = 0,003) pour les patients opérés d’emblée. Les taux ajustés de SG à 5 ans étaient de 47 % (IC95 % 41 %-52 %) vs 35 % (IC95 % 34 %-38 %) (p = 0,0001) respectivement.

    Les caractéristiques tumorales anatomopathologies étaient meilleures dans le groupe traité en NA en comparaison des patients opérés d’emblée (taille médiane de l’AP : 26 mm vs 30 mm ; p = 0,0002, statut N0 : 59% vs 43% ; p < 0,0001, taux de résection R0 : 84% vs 73 % ; p < 0,0001). Des analyses d’interactions complémentaires ont démontré un effet plus marqué du traitement NA en cas d’APG plus volumineux (≥ 20 mm, pinteraction = 0,003) et d’un taux sérique de CA 19-9 plus élevé (≥ 37 u/mL ; pinteraction = 0,005). L'effet du traitement NA semblait nul en cas d’envahissement de l'artère splénique, de la veine splénique, d’atteinte multiviscérale ou rétropéritonéale.

    Discussion et conclusions

    La prise en charge des adénocarcinomes du pancréas reste un enjeu majeur de santé publique dans les pays industrialisés, en raison d’une incidence croissante et de l’absence d’amélioration significative des taux de survie au cours de ces dernières décennies, malgré de multiples stratégies thérapeutiques évaluées, quel que soit le stade tumoral de l’AP.

    Dans le cadre de l’AP résécable d’emblée, qui concerne toutefois une minorité des patients au diagnostic (10-20 %), les stratégies néoadjuvantes sont actuellement à l’essai depuis plusieurs années. A l’heure actuelle, les stratégies néoadjuvantes ne sont pas un standard de la prise en charge thérapeutique de l’AP lorsqu’il est d’emblée résécable, contrairement à d’autres tumeurs digestives pour lesquelles la chimiothérapie NA a démontré un gain significatif en SG (rectum, œsogastrique). Ces traitements sont en cours d’étude pour l’AP résécable et les premiers résultats publiés, bien que peu concluants, font preuve de faiblesses méthodologiques notables et ne permettent donc pas de conclure.

    Il est donc nécessaire de poursuivre les efforts de recherche clinique en ce sens et d’inclure les patients dans de tels essais prospectifs, afin de savoir si i) les stratégies néoadjuvantes peuvent être pertinentes dans le cadre de l’AP résécable et, ii) au vu des résultats de cette étude, si proposer une stratification selon la latéralité de l’AP est nécessaire. Cela pourrait-être, à l’avenir, un facteur déterminant de la prise en charge thérapeutique de l’AP, à l’instar du cancer colorectal. En effet, bien que rétrospective, cette étude de grande ampleur, multicentrique, internationale constitue une cohorte relativement homogène du fait de la sélection de centres experts de la chirurgie pancréatique et grâce à une sélection rigoureuse de patients consécutifs avec AP « strictement » résécable… A suivre donc !

     

     

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    JDF