Hématologie
Leucémies, lymphome et myélome : l’immunothérapie cellulaire de 2ème génération arrive
L’immunothérapie cellulaire est en pleine évolution avec des nouveaux CAR-T cells qui deviennent des médicaments industrialisables avec un élargissement des indications et des économies à la clé, et surtout des CAR-T cells bispécifiques plus efficaces et mieux tolérés.
- selvanegra/istock
Le congrès de l’ASH est cette année l’occasion de présenter les résultats d’études prometteuses sur de nouveaux produits d'immunothérapie cellulaire qui améliorent les CAR-T cells utilisés jusqu’ici. Cette « immunothérapie de deuxième génération » vise, en effet, à surmonter les limites des CAR-T cells existants.
L'immunothérapie cellulaire utilise le génie génétique pour améliorer la capacité du système immunitaire à détruire les cellules malignes dans le sang, la moelle osseuse et d'autres sites. Les CAR-T cells (Chimeric antigen receptor T-cells) sont mis au point en prélevant les propres lymphocytes T d'un malade, en les modifiant pour cibler des protéines spécifiques à la surface des cellules cancéreuses et en réintroduisant ces cellules T modifiées dans le système immunitaire originel pour tuer les cellules malignes.
Surmonter les limites des CAR-T cells actuels
Les CAR-T cells de première génération ciblent principalement la protéine CD-19, une protéine présente à la surface de la plupart des lymphocytes B normaux et malins dans les hémopathies à cellules B, comme le lymphome. Il a été démontré que ces traitements produisent des rémissions à long terme chez environ un tiers des patients souffrant de lymphomes à cellules B qui n'ont pas répondu aux traitements antérieurs.
De nouvelles options thérapeutiques sont nécessaires non seulement pour les patients chez qui le traitement par les lymphocytes CAR-T a échoué, mais aussi pour les patients dont les lymphomes s'aggravent si rapidement qu'ils ne peuvent pas attendre les semaines nécessaires à la fabrication des cellules CAR-T.
Plusieurs pistes d’amélioration
« Nous voyons désormais la recherche suivre plusieurs pistes d’amélioration : 1) améliorer l'efficacité des CAR-T en concevant des produits capables d'attaquer de multiples cibles à la surface des cellules ; 2) élargir la disponibilité de l'immunothérapie cellulaire à d'autres cancers du sang comme le myélome multiple et 3) remplacer le processus de fabrication complexe requis pour la thérapie à cellules CAR-T par un produit plus standard et industrialisable », a déclaré le Pr Gary Schiller, de UCLA Health, président du point presse de l’ASH 2019.
Une étude de phase I montre ainsi l’intérêt d’un produit d'immunothérapie cellulaire prêt à l'emploi qui cible deux protéines trouvées à la surface des cellules de lymphome, avec un potentiel de « réactivation » des cellules CAR-T précédemment administrées qui ont cessé de fonctionner. Une autre étude présente les résultats précliniques d'une des premières immunothérapies cellulaires basées sur des cellules tueuses naturelles (NK) et la première à être génétiquement modifiée pour contenir trois composants actifs anti-tumoraux. Deux autres études, également de phase I, évaluent de nouveaux CAR-T dans le myélome multiple.
Un double CAR-T cell standardisé
Le mosunetuzumab est un anticorps synthétique conçu pour se lier à un marqueur spécifique des cellules tumorales. Il agit en activant les propres lymphocytes T du patient, en les stimulant à attaquer et à détruire les lymphocytes B malins. Contrairement aux CAR-T cells actuels, le mosunetuzumab est un produit d'immunothérapie standard qui peut être administré à tous les patients sans avoir à modifier génétiquement leurs propres cellules T.
Parmi les patients dont le lymphome a progressé après un traitement par CAR-T cells traditionnels, 22 % ont eu une rémission complète lorsqu'ils ont reçu le mosunetuzumab. Particulièrement intéressante est la constatation de rémissions complètes et durables chez les patients dont les lymphomes avaient progressé après CAR-T traditionnels, des rémissions qui se poursuivent après que les patients ont cessé de recevoir ce traitement. A 6 mois, 24 des 29 patients (83 %) qui ont obtenu une rémission complète de leur lymphome à croissance lente et 17 des 24 patients (71 %) qui ont obtenu une rémission complète de leur lymphome à croissance rapide demeurent exempts de la maladie. Certains patients sont restés en rémission sans traitement supplémentaire pendant plus d'un an.
Dans cette étude, 29 % des patients traités par mosunetuzumab ont eu un syndrome de libération de cytokines (SRC) qui était généralement modéré. Chez 3 % des patients, le SRC a nécessité un traitement par le tocilizumab. Quatre pour cent des patients ont eu des effets secondaires neurologiques modérément graves. Les patients qui ont reçu des doses les plus élevées de mosunetuzumab n’ont pas plus de risque d’avoir des effets secondaires neurologiques ou un SRC que les patients traités à doses plus faibles. Le mosunetuzumab pourrait potentiellement être administré aux malades avant, après ou en combinaison avec CAR-T, qui doit être testé et exploré davantage, ont expliqué les chercheurs.
Faire des CAR à partir des lymphocytes NK
Les études précliniques fournissent les premières preuves que l'immunothérapie cellulaire pour les cancers à cellules B pourrait devenir un produit standard, capable d'être fabriqué uniformément en grandes quantités comme le sont les médicaments sur ordonnance.
Ce produit, appelé FT596, est l'une des premières immunothérapies cellulaires standardisées et basées sur des cellules NK, appartenant au système immunitaire, et la première immunothérapie cellulaire génétiquement modifiée à contenir trois composants actifs antitumoraux. Les cellules NK font partie du système immunitaire inné, la première ligne de défense de l'organisme contre les infections et les maladies. Contrairement aux lymphocytes T, qui doivent être entraînés pour reconnaître leur cible et ne peuvent détruire que les cellules qui affichent cette cible à leur surface, les cellules NK n'ont pas besoin d'une préparation spéciale avant de passer à l'attaque et peuvent tuer de nombreux différents types de cellules malignes ou infectées leur capacité à se multiplier et à diffuser lorsqu'ils sont administrés à des malade est intrinsèquement limitée, et ils ont une durée de vie plus courte.
Les chercheurs ont eu recours au génie génétique pour créer un CAR ciblant la protéine CD19, présente sur presque tous les lymphomes et leucémies à cellules B, et ils ont inséré deux autres nouvelles protéines : CD16, qui stimulent et élargissent la capacité des lymphocytes NK à tuer les cellules cancéreuses, et IL15, qui stimule FT596 pour proliférer et persister. Le FT596 a démontré une capacité comparable à tuer les cellules malignes du sang comme les CAR-T cells et, lorsqu'il est combiné au rituximab, il détruit les cellules malignes qui ne répondent plus au traitement de première ligne par CAR-T cells en raison de la perte de l'antigène cible CD19.
Le premier essai clinique de phase I chez l'humain pour le traitement du lymphome B et de la LLC va débuter au cours du premier trimestre 2020. L'élimination des coûts élevés de production, du temps de fabrication de plusieurs semaines et du processus de fabrication complexe requis pour les CAR-T cells et son remplacement par un produit de série, prêt à l'emploi, peu permettre d'élargir l'accès à une immunothérapie efficace contre le cancer à de nombreux autres patients.
Un CAR-T cells anti-BCMA double dans le myélome
Les malades atteints d'un myélome qui avaient reçu une médiane de cinq traitements antérieurs et pour lesquels les traitements de référence ne fonctionnaient plus ont obtenu un taux de réponse élevé lorsqu'ils ont reçu le traitement expérimental avec un CAR-T cells JNJ-4528, qui cible le BCMA, une protéine fréquemment trouvée à la surface des plasmocytes malins. JNJ-4528 est un nouveau CAR-T modifié pour avoir deux protéines qui se fixent au BCMA. JNJ-4528 a une composition unique de lymphocytes CAR-T, enrichie de préférence en lymphocytes T CD8, que l'on pense être parmi les plus importants pour tuer les cellules cancéreuses.
L’étude de phase Ib/II continue à recruter des patients. Les résultats des 29 premiers patients ont été présenté à cet ASH. Les lymphocytes T des patients ont été prélevés et envoyés à un laboratoire où ils ont été génétiquement modifiés pour exprimer JNJ-4528. Avant de réinjecter ces CAR-T cells anti-BCMA, les patients ont reçu trois jours de chimiothérapie pour « faire de la place » au sein de leur système immunitaire pour les cellules T modifiées. Après la chimiothérapie, chaque patient a reçu une seule perfusion de CAR-T JNJ-4528.
A six mois, 100% des malades ont eu une réponse clinique à JNJ-4528 et 66% ont obtenu une réponse complète (MRD négative à 10-5). La plupart des malades (93%) ont eu un SRC, dont un grave (grade 3) et un patient décédé de ses complications 99 jours après la perfusion de CAR-T cells. Chez 76 % des patients, le SRC a été traité par le tocilizumab.
Un CAR-T cell bispécifique dans le myélome
Ce CAR-T cell BM38 est conçu pour cibler à la fois le BCMA et le CD-38, une autre protéine présente à la surface des plasmocytes malins. Plus de trois patients sur quatre atteints de myélome qui ont rechuté ou n'ont pas répondu à au moins deux traitements sont restés en rémission sept mois après leur traitement par ce nouveau CAR-T ciblant deux protéines. Parmi ceux qui ont eu une rémission prolongée, on compte neuf patients atteints d'une forme de myélome multiple difficile à traiter et dans laquelle la maladie s'est propagée au-delà de la moelle osseuse.
Après un suivi médian de 36 semaines, 18 patients (90,9%) ont eu une MRD négative à 10-5. Douze patients (54,5%) ont eu une réponse complète rigoureuse, ce qui signifie qu'aucun plasmocyte n'a été détecté dans la moelle osseuse. Sept patients (31,8%) ont eu une réponse partielle bonne ou très bonne, ce qui signifie que le taux de protéine M (protéine anormale produite par les plasmocytes cancéreux) dans le sang ou l'urine a été réduit mais qu'il est toujours détectable. Chez huit des neuf malades qui avaient des lésions extra-médullaires, ces tumeurs étaient indétectables par tomodensitométrie. Pour les 17 patients qui sont restés en rémission sept mois après le traitement, la durée médiane de réponse était de 28,8 semaines.
Vingt patients ont présenté un SRC, dont six ont dû être traités. Aucun effet neurologique indésirable grave, comme des convulsions, des troubles du mouvement, des difficultés à parler ou à comprendre la parole, ou un gonflement mortel du cerveau, n'a été signalé.
Les trois études de phase I laissent également entrevoir la possibilité que des traitements par des CAR-T cells bispécifiques entraînent une diminution du nombre de patients atteints du syndrome de libération de cytokines (SRC) modérée à grave, un effet indésirable causé par une réponse immunitaire de l'organisme aux cellules T activées qui attaquent les cellules malignes. Un élément majeur car le SRC cause des symptômes qui vont d’un syndrome grippal à des formes graves engageant le pronostic vital et alourdissant la prise en charge ainsi que son coût. La saga des CAR-T cells continue !








