ASH 2025
ASH 2025 – Polyglobulie de Vaquez
Polyglobulie de Vaquez : l’étude VERIFY ouvre une nouvelle voie thérapeutique.
Vers la fin des saignées répétées ?
La polyglobulie de Vaquez (PV) est une maladie rare, souvent mal connue des médecins généralistes car elle reste principalement suivie en hématologie. Pourtant, ses manifestations peuvent se retrouver en première ligne : une fatigue persistante, un visage inhabituellement rouge, un prurit après la douche, un hématocrite trop élevé sur une prise de sang. Elle fait partie de ces pathologies où quelques indices suffisent à éveiller un doute chez le clinicien.
- Dragon Claws/istock
La PV est un syndrome myéloprolifératif dans lequel la moelle osseuse produit trop de globules rouges. Ce surplus épaissit le sang, augmente la viscosité et expose au risque de thrombose, artérielle comme veineuse. Le marqueur clé est l’hématocrite, dont le dépassement du seuil des 45 % augmente sensiblement le risque d’événements vasculaires. La gestion de la maladie repose donc, depuis longtemps, sur la capacité à maintenir cet hématocrite dans une zone sûre.
Historiquement, la réponse la plus simple et la plus efficace est la phlébotomie : retirer régulièrement 400 à 500 mL de sang pour réduire la concentration globulaire. Cela fonctionne, mais au prix d’une contrainte lourde. Les patients dépendent de ces saignées toutes les deux à trois semaines, avec une alternance de phases où le sang redevient épais avant d’être brutalement allégé après la phlébotomie. Ces variations peuvent entretenir la fatigue, provoquer une anémie ferriprive en dents de scie, et imposer un va-et-vient médical chronophage.
À côté de ces saignées, certains reçoivent des cytoréducteurs comme l’hydroxyurée ou l’interféron. Ces traitements atténuent la production cellulaire excessive, mais ils ne conviennent pas à tous, du fait d’effets secondaires ou de contre-indications.
C’est dans ce paysage relativement figé que s’inscrit l’étude VERIFY, présentée cette année à l’ASH 2025. Pour la première fois, un traitement pharmacologique conçu pour cibler directement la surproduction d’érythrocytes montre une efficacité durable et une tolérance remarquable. Son nom : le Rusfertide, un mimétique de l’hepcidine administré par voie sous-cutanée une fois par semaine.
L’hepcidine est une hormone produite par le foie, qui régule le métabolisme du fer. En limitant l’absorption intestinale du fer et en contrôlant sa libération par les macrophages, elle joue un rôle majeur dans la disponibilité du fer nécessaire à la synthèse de l’hémoglobine. Le Rusfertide imite cette action : en réduisant la quantité de fer fonctionnel disponible, il ralentit la production d’hémoglobine et calme ainsi la fabrication excessive de globules rouges.
Ce principe représente un tournant : au lieu de retirer les globules rouges déjà produits ou d’inhiber globalement la moelle, on agit en amont du processus, en modulant la disponibilité du fer. Cela revient à cibler la cause fonctionnelle de l’érythrocytose, et non ses conséquences immédiates.
VERIFY a inclus 293 patients nécessitant des saignées fréquentes malgré leur traitement standard. L’essai était randomisé, en double aveugle, avec une phase contrôlée par placebo puis une phase en ouvert. Les résultats à 52 semaines sont particulièrement convaincants.
Plus de 60 % des patients ayant reçu le Rusfertide sont restés non éligibles à une saignée pendant toute l’année d’étude. Dans le groupe initialement sous placebo puis passé au Rusfertide, près de 80 % ont atteint ce même critère. Le délai avant nécessité d’une nouvelle saignée n’a pas été atteint chez les patients traités par Rusfertide, ce qui indique que la majorité d’entre eux n’en ont pas eu besoin durant la période observée. L’hématocrite est resté stable, sous les 43 %, sans fluctuations extrêmes. Les symptômes de fatigue, souvent invalidants dans la PV, se sont améliorés de façon durable.
Le profil de tolérance est lui aussi rassurant. Les effets secondaires les plus fréquents sont des réactions locales au point d’injection, une légère anémie fonctionnelle liée à la diminution du fer circulant et une fatigue comparable au placebo. Aucun signal grave inattendu n’est ressorti, ni de toxicité hépatique, ni d’effet systémique problématique.
Pour le clinicien, généraliste ou hématologue, cela ouvre plusieurs perspectives. D’abord, la possibilité de réduire considérablement le recours aux saignées, qui sont un fardeau logistique et physique pour les patients. Ensuite, la réduction des variations de viscosité sanguine pourrait, à terme, diminuer le risque thrombotique, même si cela reste à confirmer par les données en cours de recueil. Enfin, le fait que l’hématocrite soit maintenu stable, sans oscillations brutales, améliore probablement le confort global du patient et son énergie quotidienne.
Cette approche pourrait aussi trouver une place dans d’autres situations d’érythrocytose ou de dérégulation du fer, notamment certaines thalassémies non transfusion-dépendantes ou des anémies fonctionnelles liées au cancer. Mais ces pistes restent exploratoires.
Pour le médecin généraliste, l’arrivée du Rusfertide pourrait modifier la façon de suivre les patients PV. D’un côté, les consultations pour saignées pourraient s’espacer, ce qui allège le parcours de soins. De l’autre, un traitement hebdomadaire auto-administré nécessite un accompagnement, des explications, un suivi des effets secondaires mineurs, et une coordination régulière avec l’hématologue.
Les généralistes devront surtout retenir que la PV entre dans une nouvelle ère thérapeutique. L’objectif n’est plus uniquement d’abaisser l’hématocrite ponctuellement, mais de contrôler durablement la production excessive de globules rouges grâce à une intervention ciblée sur le métabolisme du fer. Cette évolution est importante, car elle transforme une prise en charge autrefois très mécanique en une trajectoire plus stable, plus physiologique et potentiellement plus protectrice.
Les résultats à long terme de l’étude VERIFY, encore en cours, préciseront la durabilité de l’effet, la sécurité prolongée et l’impact sur le risque thrombotique. Mais l’essentiel est déjà là : un traitement simple, logique, fondé sur une compréhension fine de la biologie, capable de réduire la contrainte quotidienne pour les patients et d’améliorer leur qualité de vie.
Pour les médecins de premier recours, cela signifie que les échanges avec les patients PV devront intégrer cette nouvelle approche : comprendre comment fonctionne le Rusfertide, savoir expliquer pourquoi il agit et comment il se distingue des saignées, rassurer sur son profil de tolérance, surveiller la fatigue et la ferritine, et maintenir le lien avec l’hématologue référent.
L’ASH 2025 aura donc marqué une étape importante. VERIFY démontre que traiter la polyglobulie de Vaquez en ciblant l’hyperérythropoïèse à sa source est désormais une réalité clinique. Et pour les médecins généralistes, c’est l’assurance d’une prise en charge plus cohérente, plus fluide et plus intelligible pour les patients qui, jusqu’ici, vivaient souvent au rythme des saignées répétées.
Dr Jean-François Lemoine
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