Onco-digestif
Cancer de l’esophage : quand proposer une stratégie de surveillance active et de préservation d’organe ?
L’oesophagectomie a-t-elle un intérêt chez les malades ayant un cancer traité par RCT et ayant une réponse clinique complète ? une question que beaucoup d’entre nous se posent. Cette étude apporte de nombreuses informations sur l'approche basée sur la surveillance active qui pourrait ressembler à la stratégie de préservation d’organe comme pour les cancers du rectum (Wait-and-watch)
- Istock/Nerthuz
Le traitement de référence des cancers de l'oesophage localement évolués repose sur la réalisation d'une oesophagectomie précédée par une chimiothérapie ou une radiochimiothérapie (RCT). Après RCT, une réponse clinique complète (cCR = complete clinical response) est obtenue chez près d'un tiers des malades, et chez ces malades, l'intérêt de l'oesophagectomie est actuellement controversé. Il faut rappeler que ce type de chirurgie est associé à une mortalité qui peut varier de 4 à 10 % et une morbidité qui dépasse souvent 50 %.
Quelle alternative à l’eosphagectomie ?
L’alternative reposant sur une surveillance active et une chirurgie différée uniquement en cas de repousse tumorale pourrait réduire la morbidité de la prise en charge quoique théoriquement moins sûre sur le plan oncologique. En effet, cette stratégie comporte un risque d’évolution locorégionale de diagnostic tardif car difficile à déceler après RCT mais aussi de dissémination métastatique. Van der Wilk et al. ont rapportés les résultats d'une étude rétrospective multicentrique réalisée à partir des données de patients ayant un cancer de l'oesophage présentant une cCR après RCT de type CROSS. Pour cette étude, la cCR était affirmée après la réalisation de deux évaluations endoscopiques avec des biopsies multiples à 6 et 12 semaines.
Les auteurs ont comparé les résultats de la stratégie classique comportant une chirurgie d’emblée à une stratégie non opératoire reposant sur une surveillance active; dans ce groupe la chirurgie n'étant proposée qu'en cas de récidive tumorale. Le critère principal de l'étude était la survie globale à partir de la date du diagnostic. Afin de limiter l’effet potentiel de biais d'indication, l’analyse a été ajustée à l’aide d’un score de propension. De 2011 à 2018, 98 patients traités par RCT étaient en cCR, parmi lesquels 67 ont eu une chirurgie d'emblée et 31 une surveillance active reposant sur un suivi endoscopique rapproché (3-4 mois) avec des biopsies lors de chaque examen.
Avant ajustement, les malades du groupe surveillance active était significativement plus âgés et présentaient plus de comorbidités. Après ajustement par le score de propension, 2 groupes de 29 patients chacun comparable ont pu être constitués. Au cours de la surveillance active, 14 des 29 malades ont nécessité une oesophagectomie (11 repousses tumorales prouvées histologiquement et trois suspicions fortes de récidive non prouvées en préopératoire mais confirmées sur l’anapath de l’esophagectomie). Ces 14 malades ont tous pu avoir une résection complète R0, aucun n’avait de tumeur ypT4. Dans le groupe chirurgie d’emblée, le taux de réponse histologique complète sur la pièce d’esophagectomie était de 29%. Le taux de mortalité à 30 et 90 jours était de 3 % et 7 % dans le groupe chirurgie d'emblée et de 0% chez les malades du groupe surveillance active ayant été opérés (NS). Il n’y avait pas de différence en terme de morbidité sévère Dindo >3 entre les groupe chirurgie d'emblée et surveillance active ayant été opérés (13/29 versus 6/14; NS).
Les taux de survie globale à 3 ans des malades du groupe surveillance active et chirurgie d'emblée étaient de 77% et 55% respectivement (HR=0,41 ;IC95%=0,14-1,20; p=0,104). Les taux de survie sans progression étaient de 60% et 54 % respectivement (HR=1,08;IC95%=0,44-2,67; p=0,871). Le taux de dissémination métastatique était identique, de 28%, dans les deux groupes. La corrélation entre la réponse clinique complète et la réponse histologique complète est loin d’être parfaite puisque plus de plus de deux tiers des malades opérés avaient d’emblée une maladie résiduelle sur la pièce d’esophagectomie et la moitié des malades en surveillance vont finalement développer une repousse tumorale nécessitant une chirurgie. Cela ne remet pas en cause l’intérêt de cette approche sélective qui permet d’éviter une esophagectomie à la moitié des malades ayant une réponse clinique complète après RCT.
Conclusions & perspectives
Les auteurs ont conclu que chez les malades ayant un cancer de l'oesophage en cCR après RCT, les résultats oncologiques de la surveillance active ou de la chirurgie d'emblée n'étaient pas significativement différents. En cas de surveillance active, le recours à une chirurgie différée pour repousse locale ne s'associe pas à une augmentation du risque opératoire et de dissémination métastatique.
Une approche non opératoire des cancers épidermoïdes de l’œsophage est devenue classique compte tenu de la radiosensibilité de ces tumeurs et du risque opératoire dans une population qui souvent présente une comorbidité lourde. Dans cette étude, les malades avaient en majorité un adénocarcinome (71-73%) et dans cette population cette stratégie non opératoire est plus inhabituelle. Les malades ont eu une dose d’irradiation selon le schéma CROSS, donc une dose préopératoire inférieure à celle utilisée en cas de traitement définitif.
La qualité du protocole pour affirmer la réponse clinique complète (2 examens à 6 et 12 semaines de la fin de la RCT) d’une part et la surveillance (tous les 3- mois) permettant un diagnostic précoce de la repousse tumorale d’autre part est essentielle.
Cette étude montre aussi et c’est très important pour les chirurgiens que la chirurgie différée, pratiquée à distance de la fin de la RCT, alors qu’est apparue une repousse locale ne s’accompagne pas d’une augmentation de la morbimortalité chirurgicale. Comme le soulignent les auteurs, ceci peut s’expliquer dans cette étude par le fait que la dose d’irradiation n’était pas une dose « ablative » dont l’effet sur les difficultés opératoires et la morbidité est plus prononcé. Cette étude est rétrospective dont la méthodologie n’est pas parfaite mais les auteurs ont utilisé un score de propension pour limiter l’effet des biais d’indication. Ces résultats devront être confirmés dans le cadre d’étude de phase III








