Infectiologie

Covid-19 : l’anakinra réduirait la mortalité et le recours à l’intubation en cas de virage inflammatoire

Un inhibiteur du récepteur de l’interleukine 1, l’anakinara, réduirait la mortalité et le recours à l’intubation chez des malades Covid hospitalisés, s’il est administré lors du virage inflammatoire de la maladie, vers le 7ème jour.

  • EvgeniyShkolenko/istock
  • 30 Mai 2020
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    Dans une cohorte de malades hospitalisés pour une formes graves de Covid-19, le traitement par un inhibiteur du récepteur de l’interleukine-1, l'anakinra, administré par voie sous-cutanée à dose forte (100 mg deux fois par jour pendant 3 jours, puis 100 mg par jour pendant 7 jours), serait associé à une réduction nette et significative de la mortalité, ainsi qu'une diminution significative du recours à une ventilation mécanique invasive en raison d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).

    Ce résultat est obtenu sans effets indésirables notables, y compris sans infections bactériennes, un point clé pour un SDRA qui survient en contexte infectieux. Cette étude qui est un registre prospectif avec une comparaison historique réalisée dans le même centre est publiée dans The Lancet Rhumatology.

    Une cohorte prospective avec groupe contrôle

    Ana-COVID est une large étude de cohorte prospective, monocentrique, avec une comparaison par rapport à une cohorte historique dans le même centre (même prise en charge en dehors de l’anakinra). Elle montre que l'anakinra (n=52) réduirait significativement le recours à une intubation avec ventilation mécanique, ainsi que la mortalité, par rapport aux malades du groupe contrôle historique (période juste avant) qui ont reçu les soins de supports identiques (n=4 : rapport de risque 0-22 [95% CI 0-11-0-41], p<0-0001).

    L'admission en soins intensifs ou le décès sont survenus chez 13 (25%) des 52 malades du groupe anakinra, contre 32 (73 %) des 44 patients du groupe témoin historique.

    Il existe également une réduction significative des besoins en oxygène d'une médiane de 7 L/min (IQR 6-9) à 2 L/min (0-4) dans la semaine suivant le début du traitement par l'anakinra, ainsi qu’une diminution significative du taux de CRP dans le groupe anakinra par rapport au groupe témoin historique dans les 4 jours suivant le début du traitement à l'anakinra (p<0-0001). L'effet du traitement par anakinra reste significatif en analyse multivariée (HR 0-22 [95% CI 0-10-0-49] ; p=0-0002).

    Une augmentation des transaminases hépatiques est signalée chez sept (13%) patients du groupe anakinra et quatre (9%) patients du groupe historique.

    Une étude monocentrique

    L'étude Ana-COVID a été réalisée en France, au Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph et est une comparaison avec une cohorte historique témoin dans la cohorte COVID du même Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph. Les malades qui ont été admis à l'hôpital ont été inclus prospectivement sur la base de la confirmation en laboratoire du SARS-CoV-2, des infiltrats pulmonaires bilatéraux sur l'imagerie et de la fonction pulmonaire avant l'admission en unité de soins intensifs.

    Les patients du groupe anakinra ont été traités avec de l'anakinra sous-cutané (100 mg deux fois par jour pendant 72 h, puis 100 mg par jour pendant 7 jours) ainsi que les traitements standards de l'institution à ce moment-là. Les malades du groupe historique ont reçu les traitements usuels et les soins de support.

    Le critère principal est un critère composite incluant l'admission en unité de soins intensifs (USI) pour une ventilation mécanique invasive ou le décès. L'analyse statistique a été réalisée en intention de traiter

    Le syndrome du 7ème jour

    Les infections à SARS-CoV-2 peuvent induire un syndrome inflammatoire avec la production massive d'interleukine (IL)-1β, d'IL-6, de TNF alpha et d'autres cytokines impliquées dans les troubles auto-inflammatoires, chez certains malades hospitalisés pour pneumonie hypoxémiante, généralement vers le 7ème ou 10ème jour. Il s’agit d’un virage dans le cours évolutif d’une maladie jusqu’ici infectieuse et respiratoire, qui devient alors inflammatoire et systémique.

    « L'orage cytokinique » (ou tempête cytokinique) est un terme général qui décrit diverses affections hyper-inflammatoires, souvent mortelles, telles que le « syndrome d'activation macrophagique », la « lymphohistiocytose hémophagocytaire » et le « syndrome de relargage cytokinique ».

    Il existe de nombreuses maladies associées à ce syndrome (lupus, lymphome, infections…) et plusieurs déclencheurs directs (dengue, CAR-T cell…). Les infections virales, y compris de grippe pandémique, sont des déclencheurs courants, et le SARS-CoV-2 peut donc désormais être ajouté à la liste. Il existe plusieurs voies physiopathologiques qui peuvent entraîner le syndrome de l'orage cytokinique, dont certaines génétiques, mais quel que soit le mécanisme, ces syndromes partagent un tableau associant une concentration inadéquatement élevée de cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6 et interféron), produites par une réponse immunitaire dérégulée du malade, ce qui conduit généralement in fine, à une défaillance de plusieurs organes.

    Tous les syndromes d'orage cytokinique ne sont pas strictement identiques, et celui qui est associé à la Covid-19 semble avoir certaines caractéristiques particulières, notamment une grande fréquence d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë précoce et des anomalies majeures de la coagulation associées à une endothélite.

    Traiter le virage inflammatoire pour prévenir le SDRA

    Face à cette grande fréquence de la réponse hyper-inflammatoire chez un nombre important de patients qui doivent être hospitalisés en USI pour un SDRA avec défaillance multiviscérale potentiellement mortelle, différents traitements ont été utilisées au fil des ans pour prévenir l’apparition de la tempête cytokinique.

    Ce sont des approches largement immunosuppressives (glucocorticoïdes) et des approches immunomodulatrices ciblées (anticytokines et inhibiteurs de Janus kinase). Sur la base de l'expérience acquise avec d'autres coronavirus (SRAS et MERS), l'OMS a recommandé de ne pas administrer de corticoïdes à forte dose aux patients Covid-19 en raison du risque de surinfection.

    Par contre, un ciblage sélectif des cytokines dans d'autres SDRA serait intéressant en raison de la moindre fréquence des effets secondaires associés. Le ciblage de l’IL-6 ou de son récepteur semble avoir été réalisé avec succès dans diverses études, dont certaines sont encore en cours, de même que celui de l’IL-1 et d’autres cytokines pro-inflammatoires.

    En attendant les résultats définitifs de ces études comparatives randomisées, c’est le grand mérite de ce registre monocentrique bien conduit avec comparaison historique. Le choix de l'anakinra est par ailleurs pertinent car cette molécule a un très bon rapport bénéfice/risque : il s'agit d'une protéine humaine recombinante avec une demi-vie courte et une large fenêtre thérapeutique.

    La confirmation de cette efficacité nécessitera des essais randomisés, mais en attendant, il faut remercier les auteurs qui ont réalisé ce travail dans le contexte du pic de la pandémie pour nous proposer une technique de traitement du syndrome du 7ème jours avec réduction du risque de passage en réanimation.

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