Infectiologie

Ivermectine et Covid-19 : pas de réduction du risque d'hospitalisation

L'ivermectine, même prise de façon précoce, ne réduit pas l’incidence des hospitalisations pour forme grave de la Covid-19 dans une large étude randomisée chez des patients ambulatoires brésiliens.

  • Adriano Siker/istock
  • 03 Avr 2022
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    Dans un très large essai brésilien bien conduit, l'ivermectine ne montre aucun signe en faveur d’une quelconque efficacité en ambulatoire dans la prévention des formes graves de la Covid-19.

    L'étude TOGETHER, randomisée, en double aveugle, qui a comparé l'ivermectine au placebo, chez plus de 1 300 personnes infectées par le SARS-CoV-2 et diagnostiquées précocement, permet d’écarter définitivement ce traitement de l’arsenal anti-Covid. Les données publiées dans le New England Journal of Medicine, qui ont été soigneusement analysées et vérifiées, ne laissent entrevoir aucun bénéfice et dans aucun sous-groupe. Ces données vont dans le même sens que 2 autres belles études déjà publiées.

    Large étude ambulatoire

    Dans l’étude TOGETHER, 3 515 patients ont été tirés au sort entre le groupe ivermectine (679 patients), le groupe placebo (679) ou le groupe autre traitement (2 157). Dans l'analyse primaire sur la comparaison ivermectine versus placebo, 100 patients (14,7%) du groupe ivermectine ont eu un événement du critère primaire, contre 111 (16,3%) dans le groupe placebo (RR = 0,90 ; intervalle crédible bayésien à 95%, 0,70 à 1,16 ; NS). Sur les 211 événements du critère primaire, 171 (81,0%) sont des admissions à l'hôpital.

    Les résultats sont similaires dans une analyse en intention de traiter modifiée qui incluait uniquement les patients ayant reçu au moins une dose d'ivermectine ou de placebo (RR = 0,89 ; intervalle crédible bayésien à 95%, 0,69 à 1,15 ; NS) et dans une analyse per protocole qui incluait uniquement les patients ayant déclaré une adhérence à 100% au protocole assigné (RR = 0,94 ; intervalle crédible bayésien à 95%, 0,67 à 1,35 ; NS).

    Il n'y a pas eu non plus d'effets significatifs de l'ivermectine sur les critères secondaires, dans les différents sous-groupes ou quant aux événements indésirables.

    Étude randomisée en double aveugle

    TOGETHER est un essai en double aveugle, randomisé, versus placebo, dans lequel ont été inclus des adultes infectés par le SARS-CoV-2, symptomatiques, et recrutés moins de 7 jours après le début des symptômes dans 12 cliniques de santé publique au Brésil.

    Les patients qui avaient des symptômes de la Covid-19 depuis au plus 7 jours et qui avaient au moins un facteur de risque de progression de la maladie ont été tirés au sort entre le groupe ivermectine (400 μg par kilogramme de poids corporel) une fois par jour pendant 3 jours ou un placebo. (L'essai comportait également d'autres interventions qui ne sont pas rapportées dans l’article).

    Le critère principal composite était une hospitalisation due au Covid-19 dans les 28 jours suivant la randomisation ou une visite aux urgences en raison d'une aggravation clinique de la Covid-19 (définie un séjour en observation pendant au moins 6 heures) dans les 28 jours suivant la randomisation.

    Le repositionnement des molécules dans la Covid-19

    Un article dans le New York Times rappelle l’historique du choix de l’ivermectine dans la Covid-19. L'ivermectine est utilisée depuis de nombreuses années pour traiter des infections parasitaires. Au début de la pandémie, alors que les chercheurs testaient des milliers de vieilles molécules pour essayer de les repositionner contre la Covid-19, des études ex vivo sur des cultures cellulaires ont suggéré que l'ivermectine pourrait bloquer le SARS-CoV-2. À l'époque, des chercheurs plus sceptiques que les autres avaient souligné que les concentrations d’ivermectine nécessaires au succès de ces expériences en laboratoire étaient très élevées, bien au-delà des niveaux sériques tolérés pour l'homme.

    Dans le contexte initial de cette catastrophe, certains médecins, désespérés de l’absence de traitement disponibles, ont commencé à prescrire de l'ivermectine à leurs malades contre la Covid-19, des chercheurs ont réalisé de petits essais cliniques pour voir si le médicament traitait réellement la maladie et une méta-analyse de ces petits essais, souvent imparfaits et parfois frauduleux, a conclu que l'ivermectine semblait réduire le risque de décès liés à la Covid-19. Aux États-Unis et dans certains pays, les vannes se sont ouvertes via les réseaux sociaux et certains sont même aller jusqu’à consommer des galéniques vétérinaires car il n’y avait plus d’ivermectine en pharmacie.

    Lancer de grands essais contrôlés

    Pour répondre à cette absence de données fiables, des équipes de recherche brésiliennes ont mis en place en juin 2020 un vaste essai clinique, appelé TOGETHER, pour tester plusieurs médicaments largement utilisés, dont l'ivermectine, chez les patients atteints de la Covid-19. L’enjeu était de les traiter de façon précoce avec un médicament déjà disponible, peu coûteux et bien toléré pour prévenir l’évolution vers une forme grave de la maladie et éviter les hospitalisations et les décès.

    Les résultats de TOGETHER sont très clairs : la prise d'ivermectine ne réduit pas le risque d’hospitalisation chez les patients au stade symptomatique précoce de la Covid-19 et qui ont un facteur de risque d’évolution vers une forme grave. Les analyses se sont poursuivies sur différents sous-groupes pour voir si certains pouvaient malgré tout en tirer un bénéfice. Mais même ceux qui ont pris de l'ivermectine dans les trois premiers jours suivant un test diagnostic positif au SARS-CoV-2 ont de moins bons résultats que ceux du groupe placebo.

    Un gâchis incroyable de crédits de recherche

    Plusieurs essais randomisés sur l'ivermectine sont encore en cours, avec des milliers de patients inclus, mais il est peu probable que ces essais supplémentaires aboutissent à une conclusion différente, étant donné la taille et la qualité méthodologique de l'essai TOGETHER en ambulatoire.

    L'identification rapide de traitements peu coûteux et potentiellement efficaces contre la Covid-19 a conduit une démarche initiale logique de repositionnement de médicaments existants et dont le profil de sécurité était bien évalué, mais elle a majoritairement échoué. On peut toujours continuer les études sur l’ivermectine ou le Plaquenil, mais, à un moment donné, continuer serait un gâchis monstrueux de crédits de recherche qui seraient mieux utilisés ailleurs.

    Si cette approche, initialement logique, a été décevante au plan pharmacologique, elle a permis de montrer l’existence de comportements non-professionnels chez certains médecins qui se sont obstinés au-delà du raisonnable, en s’appuyant parfois sur la puissance de la pensée magique dans la population. À cause d’eux, la crédibilité de la science va être remise en cause chez beaucoup et pour longtemps.

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    JDF