Rhumatologie

Douleur-piège du pied : le syndrome du canal tarsien est souvent diagnostiqué tard

Le syndrome du canal tarsien est un syndrome canalaire du pied avec compression du nerf tibial postérieur dont les branches innervent le talon et la plante du pied, jusqu’aux orteils. Le diagnostic est parfois compliqué quand la compression est limitée à une de ses branches.

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  • 24 Fév 2022
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    Le syndrome du canal tarsien est un syndrome canalaire du pied lié à une compression du nerf tibial postérieur, un nerf innervant le talon et la plante du pied jusqu’aux orteils. Il se traduit par une douleur de type neurologique (fourmillements, picotement, brûlures…) du talon, de la plante du pied, des orteils et de la cheville, avec parfois des déficits sensitifs et moteurs.

    Le syndrome du canal tarsien est causé par une compression du nerf tibial postérieur, ou d’une de ses branches, dans le canal tarsien, un canal ostéofibreux inextensible, rétro- et sous-malléolaire interne. Ce syndrome est le pendant au pied du canal carpien à la main.

    Un canal ostéofibreux inextensible

    Le nerf tibial postérieur est un nerf sensitivomoteur qui va de la partie postérieure du mollet au pied où il innerve le talon et la plante du pied jusqu’aux orteils. Il passe à la face médiale (interne) du pied, en arrière et sous la malléole médiale, dans un canal ostéo-fibreux : le canal tarsien. Ce canal tarsien contient également d’avant en arrière, le tendon tibial postérieur et le tendon fléchisseur commun (entourés de leur gaine synoviale), l’artère et la veine tibiale postérieures, le nerf tibial postérieur et le tendon fléchisseur de l’hallux.

    Lorsque le canal est rétréci par une déformation du pied ou lorsque les tissus contenus dans le canal tarsien sont inflammatoires ou déformés, il peut y avoir une compression du nerf tibial postérieur (ou de ses branches), ce qui provoque la douleur et d’éventuels troubles sensitivomoteurs déficitaires.

    Un nerf essentiel

    Le nerf tibial postérieur donne naissance dans la région rétro-malléolaire (et à l’entrée du canal tarsien) à une 1ère branche, le nerf calcanéen interne (branche calcanéenne), qui se dirige en arrière, vers la grande tubérosité du calcanéum, et assure la sensibilité plantaire du talon.

    Puis le nerf tibial postérieur se divise à la sortie de la portion sous-malléolaire du tunnel tarsien en nerfs plantaires médial et latéral. Ces deux pédicules plantaires latéral et médial vont s’engager sous le pied où ils sont croisés par le tendon de l’abducteur du gros orteil et son arcade aponévrotique qui peut également être à l’origine d’une compression (en dehors donc du canal tarsien). Ils peuvent également y être comprimés par une aponévrosite plantaire.

    Derrière la douleur, le déficit

    La douleur est le symptôme le plus fréquent du syndrome du canal tarsien. Elle est initialement mécanique, mais de type neurogène, et se manifeste généralement par une sensation de brûlure, de picotements ou de fourmillement ou même de « pied mort », survenant à la station debout, à la marche, à la montée des escaliers, à l’appui sur la pédale de frein ou lorsque la personne porte certaines chaussures à tige ou à contrefort rigides.

    La douleur siège à la face interne de la cheville (en rétromalléolaire) ou est diffuse à l’ensemble de la cheville, et irradie au talon et à la plante du pied, jusqu’aux orteils. Des irradiations douloureuses vers le haut de la face médiale de la jambe sont possibles. La douleur est soulagée initialement au repos et s’aggrave à la marche (parfois c’est paradoxalement l’inverse chez certains malades au début). Lorsque la compression du nerf progresse, la douleur peut également persister au repos. Il peut également exister une hypoesthésie plantaire associée aux douleurs et des déficit moteurs.

    Des causes variées

    Par rapport au canal carpien, l’absence de cause semble moins fréquente (syndrome idiopathique), mais ce serait le cas dans près d’un quart des cas.

    En dehors des fractures ou séquelles de fractures du pied et de la cheville, avec déformation sous-malléolaire visible en radiographie, les problèmes qui peuvent causer un syndrome du canal tarsien ou y contribuer sont : les œdèmes de la cheville secondaires à une insuffisance cardiaque ou une insuffisance rénale ; une hypothyroïdie (en raison de dépôts de mucine dans le canal tarsien) ; des affections inflammatoires comme une polyarthrite (ténosynovite tibiale postérieure), la goutte ou une arthrose en poussée avec synovite, des kystes ou des varices. Le diabète est impliqué en raison de l’hypertrophie du nerf en cas de neuropathie diabétique.

    Un trouble statique du pied peut contribuer à l’apparition de ce symptôme (valgus ou varus calcanéen), surtout en cas de microtraumatismes répétés (station debout prolongée, marche forcée, sport) et en particulier en cas de port de chaussures à tige ou contrefort rigide.

    Diagnostic de syndrome du canal tarsien

    Le diagnostic, essentiellement clinique, est évoqué devant une douleur de la cheville et du pied avec des douleurs à caractère neurologique du talon et/ou de la plante du pied.

    Il peut exister des signes neurologiques dans les territoires concernés à type d’hyperesthésie ou d’hypoesthésie plantaire de contact, associée à cette douleur, ainsi que des crampes nocturnes. La topographie des douleurs est parfois moins caractéristique car limitée à un territoire anatomique d’une des branches du nerf tibial postérieur : talalgies du rameau calcanéen, douleurs plantaires latérales ou médiales.

    Les troubles moteurs sont inconstants et souvent discrets. Ils touchent en particulier les courts fléchisseurs plantaires, soit en pratique la flexion et l’écartement des orteils. Le diagnostic de ces troubles moteurs est réalisé par comparaison au côté sain.

    Il s’agit d’éliminer par l’examen une sciatique S1 (le réflexe achilléen est aussi aboli en cas d’atteinte du nerf tibial postérieur), une neuropathie périphérique type neuropathie diabétique, un problème de tendinite tibiale postérieure ou une aponévrosite plantaire.

    Un pseudo-signe de Tinel peut apporter un élément diagnostique : de la même façon qu’au poignet dans le au canal carpien, il est réalisé en percutant avec un marteau à réflexe le canal tarsien, juste en arrière et sous la malléole médiale, ce qui peut déclencher des fourmillements au talon, à la voûte plantaire ou aux orteils. La sensibilité du test est augmentée par la pronation forcée du pied.

    Il peut exister un « signe du chevauchement » lors de la flexion plantaire des orteils, avec le premier orteil qui passe en dessous du 2ème.

    Des examens complémentaires guidés par la clinique

    En cas de doute diagnostique, un examen électromyographique (EMG) peut être demandé pour évaluer l’importance de l’atteinte (ralentissement de la vitesse de conduction par rapport au segment jambier du nerf tibial) et éliminer une radiculalgie S1. L’EMG est surtout demandé si une chirurgie est prévue après échec du traitement médical bien conduit.

    Les radiographies des pieds de face et de profil en charge, et l’incidence de Meary, sont nécessaires pour rechercher une anomalie osseuse ou une déformation statique du pied, type pied plat ou valgus, un cal vicieux calcanéen, une synostose du tarse… L’échographie évalue assez bien les parties molles et leur hypertrophie à l’origine éventuelle d’un conflit. L’IRM et le scanner ne sont pas des examens de première intention mais peuvent se demander en cas de suspicion de neurinome ou de kyste articulaire.

    Symptomatologie atypique liée à une atteinte distale

    La neuropathie de Baxter est secondaire à une compression du nerf plantaire latéral avec des douleurs du versant latéral du pied, souvent secondaires à des microtraumatismes répétés, en particulier chez les patients joggeurs de la cinquantaine. Il existe éventuellement un trouble statique du pied avec une épine calcanéenne et une aponévrosite plantaire chronique. Le nerf plantaire inférieur est une branche distale du nerf tibial postérieur qui s’autonomise à la partie basse du tunnel tarsien et va croiser sous le pied en plongeant entre le muscle abducteur de l’hallux et le muscle carré plantaire le long du rebord médial du calcanéum. Il donne également des branches motrices qui innervent le court fléchisseur des orteils, le muscle carré plantaire, et le muscle abducteur propre du Ve, ce qui peut aboutir à l’amyotrophie de ces derniers sur les IRM.

    Le « pied du joggeur » correspond à une douleur médiale du pied secondaire à un conflit avec le nerf plantaire médial (ou une de ses branches distales) lors de son cheminement entre les muscles abducteurs propres de l’hallux et le long fléchisseur des orteils ou court fléchisseur des orteils. La course à pied en hyperpronation avec un pied creux, favorise un conflit sur cette branche nerveuse à l’origine de dysesthésies ou de douleurs sur le versant interne du pied souvent irradiant au gros orteil ou au 2e orteil.

    Un traitement médical et orthésiste

    Le traitement médical repose sur des infiltrations (2 à 3 à une semaine d’intervalle) de corticoïdes dans le canal tarsien par un médecin entrainé aux repères anatomiques (le nerf tibial est positionné en arrière de l’artère et de la veine tibiale postérieures). Ces infiltrations peuvent se réaliser au mieux sous échographie. Il est possible d’y associer un peu de xylocaïne à 0,5% pour faire un test diagnostique. Classiquement, les paresthésies disparaissent en premier, puis le déficit sensitif et enfin le déficit moteur. Les AINS sont utilisés en cas d’arthrite associée, de même, le traitement d’une goutte ou d’une hypothyroïdie associée est de mise.

    Il est particulièrement important de diagnostiquer un trouble statique du pied associé qui, s’il n’est pas corrigé par une orthèse plantaire adaptée, peut remettre en cause l’efficacité des infiltrations (mise en inversion du pied). Certains utilisent un straping de mise en inversion de la cheville à la phase aiguë de l’affection et après une infiltration.

    En cas d’échec du traitement médical, une chirurgie de décompression du nerf tibial postérieur (« neurolyse chirurgicale ») peut être envisagée. Il faut savoir qu’elle sera suivie d’une immobilisation plâtrée d’un mois en légère pronation, suivie d’une rééducation.

    Dans ces douleurs pièges, l’interrogatoire et un bon examen clinique sont fondamentaux pour le diagnostic, qui ne peut pas se baser sur l’imagerie moderne tant que l’on ne sait pas ce que l’on recherche.

     

    Bibliographie récente

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