Infectiologie

Grippe de 1918 : le virus a surtout tué les personnes fragiles, quel que soit leur âge

L’idée s'est imposée que la grippe de 1918 a frappé sans distinction, y compris les jeunes adultes en bonne santé. Mais de nouveaux éléments suggèrent que les jeunes adultes fragiles étaient les plus vulnérables, en plus des autres personnes fragiles, habituellement à risque : les très jeunes, les personnes âgées et les malades.

  • Sergi Nunez/istock
  • 10 Oct 2023
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    La pandémie de Covid-19 a montré que les circonstances sociales, environnementales et biologiques pouvaient influer sur la probabilité de la maladie et du décès d’un adulte, même dans le cas d'une maladie pour laquelle personne ne possède d'immunité adaptative préexistante.

    L'un des aspects les plus connus et pourtant les moins bien compris de la pandémie de grippe de 1918 est la mortalité inhabituelle observée chez les jeunes adultes. Les victimes sont décrites comme étant surtout de jeunes adultes en bonne santé, ce qui est contraire à la notion de mortalité sélective, selon laquelle les personnes les plus fragiles sont celles qui courent le plus grand risque de mourir.

    Une première explication est que nombre de ces jeunes adultes sont décédés d'une surinfection bactérienne (pneumocoque, hæmophilus ou staphylocoque) de leur arbre bronchique mis à nu par le virus car, à l'époque, il n'y avait pas d’antibiotiques. Mais la fragilité des jeunes adultes en est une autre.

    La grippe tue les personnes fragiles

    La grippe tue généralement les très jeunes, les personnes âgées et les malades. Ce qui a rendu la pandémie de 1918 inhabituelle, c’est qu’elle aurait tué sans discrimination 50 millions de personnes, soit entre 1,3 et 3 % de la population mondiale, et aussi bien des jeunes gens en bonne santé que des personnes fragiles ou souffrant de pathologies chroniques.

    Un article publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences remet en cause cette thèse. À partir de squelettes de personnes décédées lors de l'épidémie de 1918, les chercheurs ont constaté que celles qui souffraient de maladies chroniques ou de carences nutritionnelles étaient deux fois plus à risque de mourir que celles qui ne présentaient pas ces pathologies, et ce quel que soit leur âge. Le virus de 1918 a donc bien tué de jeunes adultes mais, selon l'article, il n'a pas fait exception à la règle selon laquelle les maladies infectieuses tuent plus facilement les personnes fragiles et malades.

    Une approche bioarchéologique pertinente

    Une équipe de recherche canadienne a utilisé une approche bioarchéologique, combinant des informations individuelles sur la santé et le stress glanées à partir des restes squelettiques de personnes décédées en 1918, afin de déterminer si des personnes en bonne santé sont mortes pendant la pandémie de 1918 ou si une fragilité sous-jacente a contribué à augmenter le risque de mortalité.

    Les données squelettiques sur la néoformation osseuse périostée au tibia ont été obtenues auprès de 369 personnes de la collection ostéologique documentée Hamann-Todd, de Cleveland. Lorsque des personnes ont souffert de maladies persistantes telles que la tuberculose ou le cancer, ou d'autres facteurs de stress tels que des carences nutritionnelles, leurs tibias présentent de minuscules bosses. Selon les experts, il est tout à fait légitime d'évaluer la fragilité d'une personne en recherchant ces bosses.

    Les données relatives au squelette ont été analysées en même temps que l'âge connu au moment du décès, via une analyse de survie de Kaplan-Meier et une analyse des risques proportionnels de Cox.

    On peut être un jeune adulte fragile

    Les résultats suggèrent que les personnes fragiles ou en mauvaise santé ont été plus à risque de décéder pendant la pandémie de 1918 que les autres. Pendant cette grippe, les risques estimés pour les personnes souffrant de lésions périostées actives au moment du décès seraient plus de deux fois supérieurs à ceux du groupe témoin.

    Ces résultats contredisent les hypothèses antérieures concernant la mortalité sélective au cours de la pandémie de grippe de 1918. Les personnes dont le squelette indiquait qu'elles étaient fragiles au moment de l'infection, qu'il s'agisse de jeunes adultes ou de personnes âgées étaient de loin les plus vulnérables.

    De nombreuses personnes en bonne santé ont également été tuées, mais celles qui souffraient d'une maladie chronique au départ avaient beaucoup plus de chances de mourir.

    Une épidémiologie atypique

    La courbe de mortalité de la grippe de 1918 en fonction de l’âge était inhabituelle : elle était en forme de W alors que d’habitude, les courbes de mortalité ont la forme d'un U, ce qui indique classiquement que les bébés dont le système immunitaire est immature et les personnes âgées ont les taux de mortalité les plus élevés.

    Le W est apparu en 1918 parce que les taux de mortalité sont montés en flèche chez les personnes âgées de 20 à 40 ans environ, en même temps que chez les bébés et les personnes âgées. Cela semblait indiquer que les jeunes adultes étaient extrêmement vulnérables et, selon de nombreux rapports de contemporains, il importait peu qu'ils soient en bonne santé ou atteints d'une maladie chronique. La grippe était un tueur à chances égales or ce n’est pas le cas : les personnes de 20 à 40 ans et fragiles ont payé un lourd tribut.

    Une explication de la moindre mortalité chez les personnes de 40 à 65 ans (forme de W de la courbe de la grippe de 1918), selon des experts interviewés par le New York Times, est que les personnes âgées de plus 40 ans mais de moins de 65 ans avaient très probablement été exposées auparavant à un virus similaire qui leur avait conféré une certaine protection. Les jeunes adultes n'avaient pas été exposés et les plus fragiles sont décédés.

    Ces résultats nous permettent de mieux comprendre comment la variabilité des expériences de vie peut avoir un impact sur la morbidité et la mortalité, même au cours d'une pandémie causée par un nouvel agent pathogène.

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