Petite enfance
Canicule : "Protéger un nourrisson, c’est d’abord savoir l’observer"
Face à la chaleur extrême, le nourrisson n’est pas un petit adulte à rafraîchir, mais un organisme en construction, qui a davantage de difficultés pour réguler sa température. Loin des conseils automatiques, voici ce qu’il faut comprendre, voir et faire pour véritablement protéger un bébé pendant une vague de chaleur.

- Par le Dr Jean-François Lemoine
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Lorsque le thermomètre dépasse les 30 °C, les adultes s’adaptent : ils boivent davantage, s’habillent plus léger, cherchent l’ombre ou allument la climatisation. Les nourrissons, eux, n’ont ni ces réflexes, ni cette autonomie. Pire, leur organisme n’a pas encore les armes pour affronter un excès de chaleur. Pas parce qu’ils sont fragiles au sens émotionnel, mais parce qu’ils sont physiologiquement différents : la thermorégulation est immature, la transpiration moins efficace, l’équilibre hydro-électrolytique fragile, et le langage… inexistant.
Face à cette réalité, la vigilance parentale est indispensable. Mais elle ne peut pas reposer uniquement sur des listes ou des slogans. Il faut comprendre ce qui se passe réellement dans le corps d’un nourrisson exposé à la chaleur, et adapter l’environnement, les gestes, et surtout le regard qu’on porte sur lui.
La chaleur, un piège silencieux pour le tout-petit
Un nourrisson régule moins bien sa température. Il ne transpire pas autant que l’adulte, et surtout, la transpiration ne permet pas chez lui une perte thermique aussi efficace que chez l’enfant plus âgé. Résultat : il se déshydrate, parfois sévèrement. Voilà ce qui rend la canicule potentiellement dangereuse.
Chez un bébé de 5 ou 6 kilos, perdre 100 à 150 millilitres d’eau suffit à créer une déshydratation modérée. Or cette perte peut survenir en quelques heures seulement, par la transpiration, ou surtout une hydratation insuffisante. Un bébé calme qui mouille moins ses couches, qui devient somnolent, moins tonique, ou qui refuse de s’alimenter comme d’habitude, doit alerter immédiatement.
L’eau, ce n’est pas un réflexe automatique
Avant six mois, un nourrisson nourri exclusivement au sein ou au biberon n’a pas, en temps normal, besoin d’eau supplémentaire. Mais la canicule est une exception. Dans ce contexte, il est raisonnable de proposer de petites quantités d’eau faiblement minéralisée entre les tétées ou les biberons, sans chercher à les remplacer. Il ne s’agit pas de gaver l’enfant d’eau, mais d’apporter de quoi compenser les pertes, surtout si les apports alimentaires sont un peu réduits.
Attention toutefois : si l’enfant refuse, il ne faut pas insister. L’observation reste le maître-mot. Un bébé qui mouille régulièrement ses couches, qui reste éveillé, alerte, qui tète bien et qui transpire modérément, est un bébé qui s’adapte bien. En revanche, une baisse brutale de la fréquence des tétées ou des urines, ou une léthargie inhabituelle, doivent déclencher un appel au médecin.
Dès que la diversification est en cours, l’ingestion de lait peut se réduire, les compotes et purées ne pouvant en aucun cas le remplacer pour assurer une hydratation suffisante.
Pas de panique : pas de surcouche
En période de canicule, un des premiers gestes simples est… de ne pas en faire trop. Le bébé n’a pas besoin d’être couvert. Un body léger en coton suffit. On peut même, à certains moments de la journée, le laisser simplement en couche, tant qu’il est à l’abri du courant d’air direct.
Le piège classique, c’est la peur du “refroidissement” qui pousse à ajouter une turbulette ou à couvrir les jambes. Or, à 28 ou 30 °C, un nourrisson peut difficilement perdre sa chaleur si on l’enveloppe. Il ne faut pas hésiter à adapter les tenues à l’instant présent. Si le dos de l’enfant est humide, ou si sa nuque est chaude, c’est que le corps a du mal à dissiper sa chaleur. À l’inverse, un bébé aux extrémités froides, qui semble apathique malgré la chaleur, mérite d’être examiné sans attendre.
Dormir quand il fait chaud : un art d’équilibre
Les nuits d’été en ville peuvent être un vrai défi. Les chambres surchauffées, les appartements mal isolés, et l’impossibilité de rafraîchir les pièces entraînent une hausse durable de la température corporelle des nourrissons. Là encore, le bon réflexe n’est pas forcément d’acheter un climatiseur, mais d’optimiser ce qui peut l’être : fenêtres ouvertes quand la température extérieure baisse, volets clos le jour, linge humide devant la fenêtre pour créer une évaporation, etc.
Il faut aussi repenser le sommeil. Inutile d’imposer un rituel rigide si l’enfant montre qu’il n’est pas à l’aise. Certains nourrissons dorment mieux dans une pièce un peu plus claire mais fraîche, d’autres se calment après un petit bain tiède ou une toilette douce des mains et des pieds. Ce sont souvent de petits gestes, presque anodins, qui permettent à l’enfant de retrouver un état de confort.
Sortir… ou ne pas sortir ?
La règle la plus simple reste la plus efficace : éviter les sorties aux heures les plus chaudes, entre 11 h et 17 h. Mais cela ne veut pas dire enfermer l’enfant. Une promenade en poussette tôt le matin ou en fin de journée est bénéfique à condition d’adopter les bons réflexes : ne pas orienter le landau vers le soleil, privilégier les zones ombragées, couvrir la tête sans enfermer le visage, et vérifier régulièrement l’état de l’enfant.
Attention aux accessoires trompeurs : certaines capotes ou protections de poussette, surtout en plastique ou en matière épaisse, retiennent la chaleur plus qu’elles ne protègent. Il vaut mieux créer une zone aérée, avec circulation d’air, plutôt que d’enfermer le bébé dans un cocon étanche.
Une vigilance sans anxiété
Protéger un nourrisson de la chaleur ne signifie pas vivre dans l’angoisse. Il ne s’agit pas de faire de chaque rayon de soleil une menace, mais de comprendre que la canicule impose une attention différente. Ce n’est pas la chaleur en soi qui est dangereuse, c’est l’accumulation de signaux faibles qu’on ne perçoit pas à temps.
C’est pourquoi il est utile de se fier à des repères concrets : fréquence des couches mouillées, appétit, éveil, tonicité. Et surtout, en cas de doute, demander un avis médical. Aucun professionnel ne reprochera à des parents d’avoir consulté “pour rien”. En revanche, les retards de prise en charge, eux, peuvent avoir des conséquences.
Canicule et nourrisson : les clés sont simples
Protéger un bébé de la chaleur, ce n’est pas appliquer mécaniquement un protocole. C’est comprendre qu’on a affaire à un corps en pleine construction, qui ne donne pas toujours les signaux que l’on attend. C’est faire preuve de souplesse, de bon sens, d’adaptation.
C’est aussi accepter que parfois, un bain tiède, ou une sieste dans une pièce légèrement ventilée font bien plus que tous les accessoires réunis.
Et surtout, c’est savoir que derrière chaque geste, ce que le nourrisson perçoit d’abord, c’est la disponibilité et l’attention de l’adulte. C’est cela, la vraie prévention.