Psychologie

Syndromes de Stendhal, de Paris, de l'Inde... Voyager peut-il rendre fou ?

Chez certains, un voyage peut tourner au choc psychologique. C’est le syndrome du voyageur : syndrome de Stendhal à Florence, syndrome de Paris, de l'Inde ou de Jérusalem… Quels sont les troubles psychiques qui peuvent toucher les touristes ?

  • Par Rafaël Andraud
  • Grigorev_Vladimir/iStock
  • 21 Sep 2022
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    "J'étais dans une sorte d'extase, par l'idée d'être à Florence [...]. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber." C'est ainsi que Stendhal décrit pour la première fois dans Rome, Naples et Florence (publié en 1826) un syndrome auquel il donnera son nom, qui touche certains voyageurs venus visiter le fleuron de la Renaissance italienne.

    Le syndrome de Stendhal ou "de Florence" : la submersion par l'art

    Le syndrome de Stendhal est l'un des troubles psychiques qui peuvent toucher momentanément certains voyageurs confrontés à la réalité du pays qu'ils visitent. Dans le cas de Florence, c'est l'abondance d'œuvres d'art, comme dans la chapelle majeure de la basilique Santa Croce où se trouvait Stendhal, qui provoque chez le touriste une violente émotion, pouvant déclencher un vertige, une suffocation, une tachycardie, une crise d'angoisse et/ou un malaise, voire le déclenchement de crises psychotiques avec perte du sentiment d’identité, hallucinations et délires pour les cas les plus extrêmes.

    La psychiatre italienne Graziella Magherini a répertorié plusieurs centaines de cas dans les hôpitaux de Florence. C’est elle qui a suggéré le nom de ce trouble. Dans son étude sur le syndrome de Stendhal publiée dans les années 1990, elle détaille l’état de ses patients, la plupart du temps des touristes en état de choc après avoir visité la Galerie des offices : “Leur humeur s’assombrit, devient dépressive et ils éprouvent une inquiétante impression de dissolution de leurs limites, de morcellement et de sensation de quitter leur corps. Ces troubles relativement fugaces, disparaissent sans laisser de séquelles”. Les symptômes toucheraient davantage les femmes célibataires, de moins de 40 ans, voyageant seules. En général, les patients se rétablissent en quittant la ville.

    Le syndrome de l'Inde : le choc culturel

    Il n'y a pas qu'à Florence que les touristes tournent de l'œil. L'Inde déstabilise particulièrement les touristes occidentaux. Certains sont tellement bouleversés par l’écart culturel qu’ils développent une grande anxiété pouvant aller jusqu’aux délires paranoïaques de persécution.

    Le psychiatre Régis Airault, a pu observer ces cas pendant qu’ils étaient en poste au consulat de Bombay, qu’il décrit dans son livre Fous de l'Inde, publié en 2000. Il a rapatrié plusieurs Français atteints par ce délire. Il évoque par exemple une femme, venue se ressourcer quelques mois en Inde, qui avait failli se noyer en essayant de nager jusqu’en France pour rejoindre ses parents. Une autre, plus jeune, s’est mise à cavaler dans les rues pour aller embrasser les vaches sacrées durant son séjour de dix jours avec une association humanitaire. Claire Kaczynski, également victime du syndrome, décrit sa propre expérience dans son Journal d'une Parisienne à Jaipur.

    Le syndrome de Jérusalem : la crise mystique

    Les villes très imprégnées de sens religieux comme La Mecque ou Jérusalem, sont également à l’origine de troubles psychiques, équivalents aux syndromes précédents. Submergés par cette ambiance religieuse, certains touristes ou pèlerins se mettent à perdre contact avec la réalité et à délirer. Le syndrome de Jérusalem, qui existe depuis très longtemps, est le mieux documenté.

    Il s’exprime le plus souvent par des troubles légers – malaise, angoisse modérée, insomnie – accompagnés d’une exaltation de la pensée. Mais parfois il peut se présenter sous la forme d’une crise psychotique avec confusion, excitation, hallucination et délire. Cette affection entraîne généralement l’hospitalisation ou le rapatriement immédiat du voyageur. Parmi la cinquantaine de cas recensé par an, avec des pics à Noël et à Pâques, il existe plusieurs types de délires : psychoses, identification psychotique à des personnages bibliques, développement d'idées magiques... Les personnes avec des antécédents psychiatriques sont atteintes davantage.

    Le syndrome de Paris : l'idéal déçu

    La France a elle aussi son propre syndrome : le syndrome de Paris. Ils touchent les touristes chamboulés par le fossé culturel entre la France réelle et l'image qu'on s'en fait à l'étranger. Identifié dans les années 1980 par le psychiatre japonais Hiroaki Ota, ce syndrome frapperait particulièrement les Japonais, désemparés par l’écart entre leur vision idéalisée de Paris et la réalité de la ville. D'après une étude de 2004 dont Ota est co-auteur, 63 patients japonais (29 hommes et 34 femmes) ont séjourné à l'hôpital Saint-Anne entre 1988 et 2004, victimes du syndrome de Paris. La sensibilité particulière des Japonais peut être due à la popularité de Paris dans la culture japonaise, notamment en raison de la vision idéalisée de Paris que la publicité japonaise propage, inspirée par le Montparnasse des Années folles ou le Paris d’Amélie Poulain.

    Pour la majorité des patients, les symptômes, d'abord physiques (chaleur soudaine, désorientation…) deviennent psychiques : anxiété sociale, isolement, déprime, voire dépression, repli sur soi, sentiment d'insécurité et de persécution. Dans les cas les plus extrêmes, la dépression peut conduire les touristes à une tentative de suicide. Malgré cela, selon l’étude, “les sentiments admiratifs excessifs et un peu naïfs par rapport à la France persistent, contrastant avec une opinion très négative des Français". L’impolitesse, l’insécurité et la qualité des services sont particulièrement ciblées.

    Sur les 700 000 visiteurs japonais annuels, le nombre de cas signalés est cependant limité : selon un administrateur de l’ambassade du Japon en France, seule une vingtaine de touristes japonais par an est touchée et Paris reste l'une des destinations les plus prisées. Le terme de "syndrome" pour le syndrome de Paris est d’ailleurs beaucoup contesté. Il n’y a donc pas de quoi s’empêcher de partir découvrir la ville de ses rêves.

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    JDF