Témoignage

Journées nationales : "En France, les enfants schizophrènes sont dans un No Man's Land"

A l’occasion des journées nationales de la schizophrénie, Alexandra Bichon nous raconte le parcours de son fils de 15 ans, et nous livre son propre vécu. A 49 ans, cette ancienne infirmière est présidente de l’association "Les assiettes chinoises".

  • Par Mathilde Debry
  • Motortion / istock.
  • 20 Mar 2021
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    - Pourquoi Docteur – Votre fils a été diagnostiqué schizophrène à 12 ans. Comment se sont manifestés ses premiers symptômes ?  

    Alexandra Bichon - J’ai commencé à m’inquiéter pour lui alors qu’il était en CM2. Vers 11 ans, l’école m’a alerté sur des changements de comportement. C’était un enfant calme, doux, rigolo, qui a commencé à manifester une anxiété majeure et une très grande agitation. Il s’est aussi mis à somatiser et à beaucoup solliciter les adultes. Des problèmes de sommeil sont également apparus.

    Lorsqu’il est entré au collègue, mon fils a très brutalement dégringolé dans une dépression majeure. Il n’arrivait plus à masquer les symptômes de la schizophrénie : les ententes de voix et les hallucinations se sont amplifiées. Je pense qu’elles étaient déjà présentes avant, mais que le stress du collège les a rendus invivables, avec l’apparition de personnages terrifiants.

    - Avez-vous alors été aidés en tant que parents ?

    Quand j’ai commencé à m’inquiéter pour mon fils, je n’ai pas eu de répondes adaptées, et très peu de soutien. On m’a répondu que j’étais une maman anxieuse, ou que je souffrais de déformation professionnelle (Alexandra Bichon était alors une infirmière spécialisée en psychiatrie, ndlr).

    - Comment votre fils a-t-il été pris en charge suite à sa décompensation ?

    Mon fils a vécu deux longues hospitalisations, une de trois mois en pédiatrie et une de six mois en CMP. 

    - A-t-il été diagnostiqué immédiatement comme schizophrène ?

    Non, car poser le diagnostic d’une schizophrénie prend du temps. Il faut que les symptômes soient présents un minimum de six mois, avec un cortège de symptômes dits "positifs" (hallucinations visuelles, ententes de voix, idées délirantes), et des symptômes dits "négatifs" (manque d’initiatives et de contacts avec les autres, notamment).

    - Comment votre fils vit-il aujourd’hui ?

    Il est déscolarisé et vit à la maison, faute de structures éducatives adaptées à sa maladie mentale. On lutte beaucoup contre le repli.

    Il est pris en charge par des professionnels de santé, mais il n’est pas encore dans le rétablissement, car il souffre d’une forme atypique de schizophrénie qui résiste aux médicaments. Nous vivons un douloureux parcours d’essais thérapeutiques infructueux.  

    - La schizophrénie de votre enfant a-t-elle un impact sur votre quotidien familial ?

    Oui, car pour les jeunes atteints de schizophrénie précoce, il faut être très présent en tant que parents. Il n’y a pas beaucoup de relais, et prendre soin de soi dans ce contexte est compliqué.

    C’est aussi une expérience très traumatique, car les annonces de diagnostic ne sont pas accompagnées. Enfin, voir son fils malade est très douloureux à vivre en tant que maman. Je soulignerais également que l’ensemble de la fratrie est affecté par la situation.

    - Que pensez-vous de la prise en charge de votre fils ?

    Pour les jeunes atteints de schizophrénie très précoce, c’est dramatique : rien n’est prévu pour eux, on est dans un no man’s land. Par exemple, on s’est battu comme des fous pendant six mois pour obtenir une place en Centre Médico-Psychologique (CMP), un délai qui a majoré les troubles de mon fils. Il est aussi très insuffisamment accompagné sur le plan psychothérapique, alors que les médicaments ne font pas tout.

    Pour les jeunes de moins de 16 ans, il y a également très peu de « soins études », et l’entrée y est en plus très sélective : pour en bénéficier, il faut être rétabli. C’est le chien qui se mord la queue, car moins il y a de structures pour les personnes schizophrènes, plus les symptômes se manifestent.

    - Votre enfant souffre-t-il de "psychophobie" ? Et vous-même ?

    Nous en souffrons tous les deux. Pour mon fils, le simple fait de dire le mot "schizophrène" est compliqué, car de trop nombreux clichés sont encore associés à cette maladie mentale.

    La dé-stigmatisation des schizophrènes est un de mes grands chevaux de bataille : ces personnes ne sont pas violentes, ne sont pas de grands criminels en puissance, et ne souffrent pas de dédoublement de personnalité. Sur ce dernier point, j’insiste : c’est complètement faux.  Je souffre beaucoup de voir le mot "schizophrène" mal employé au quotidien.

    - Voulez-vous ajouter quelque chose ?

    On entend encore trop rarement parler des schizophrénies précoces (avant 18 ans) et très précoces (avant 16 ans). Il y a une forme de déni sanitaire et social concernant les jeunes touchés.

    On est par ailleurs sur des modèles de prise en charge trop anciens, qui ne proposent rien hors hospitalisation. 

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    JDF