Témoignage (2/2)

Cancer de l'enfant : atteint d'une tumeur cérébrale, "Anatole revient à la vie petit à petit"

En cette journée mondiale de mobilisation contre les cancers infantiles, Anne et Fabrice Donguy racontent leur lutte contre la maladie de leur fils, atteint d'une tumeur cérébrale au thalamus (deuxième partie).

  • Par Mathilde Debry
  • Anatole a été diagnostiqué en mai 2018 d’une tumeur cérébrale. Il bénéficie aujourd’hui d’un traitement expérimental disponible uniquement aux USA qui lui a sauvé la vie.
  • 15 Fév 2021
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    "Nous changeons beaucoup de choses dans notre quotidien : alimentation, environnement, cadre de vie, nous limitons ce qui constitue à nos yeux toute source potentielle de prolifération cancérigène. Nous ajoutons au protocole d’Anatole des suppléments, des médicaments repositionnés, des cannabinoïdes. Nous nous tournons vers les médecines intégratives et alternatives. Nous faisons appel à des médecins non conventionnels, magnétiseurs, auriculothérapeutes… Nous avons l’impression de faire feu de tout bois. Tout est bon à prendre. Au pire, ce que nous faisons ne sert à rien d’autre qu’à nous donner l’impression d’agir et cela nous fait du bien. Au mieux, nos initiatives ont une réelle influence sur la santé de notre fils et peuvent aider à une amélioration de son état.


    "Nous devons compter sur nous seuls"

    Assez vite, dans nos recherches, nous entendons parler d’un traitement expérimental, l’ONC 201, disponible uniquement en essai clinique aux USA. C’est encore là-bas que la recherche médicale est la plus active et la plus novatrice. Nous sommes en contact avec deux associations américaines, la fondation Musella et Cancer Commons qui nous aident à nous y retrouver dans la jungle des protocoles et autres essais cliniques. Elles nous confortent dans l'idée que cette molécule conviendrait à Anatole. De l’avis des équipes de Stockholm et de Paris, ce traitement est le plus prometteur pour ce type de tumeur. Il a donné de très bons résultats chez les adultes atteints de glioblastome, une tumeur extrêmement agressive, et est désormais proposé aux enfants. Nous en parlons à notre équipe suédoise, nous voulons savoir comment l’obtenir, elle nous dit qu’elle se renseigne. Cela lui prend-il trop de temps ? Le médicament n’étant pas disponible en Europe, l’équipe ne souhaite-t-elle pas nous donner de faux espoirs ? La tumeur de notre fils est-elle déjà trop importante et son état déjà trop avancé ? Y a-t-il d’autres urgences dans le service, et pour des cas plus nombreux ? Nous ne le saurons jamais. Mais l’hôpital ne donne pas suite. C’est à ce moment-là que nous réalisons pleinement le fait que nous sommes seuls face à la maladie, seuls à pouvoir aider notre enfant. Nous devons compter sur nous seuls. Les médecins sont de bonne volonté. Pour eux, Anatole est un petit patient comme les autres mais, malheureusement, nous sentons qu’ils l’ont déjà condamné.


    "Une brèche qui offre un peu d'espoir"

    En janvier 2019, la tumeur d’Anatole progresse toujours. Elle tend tout doucement vers le cervelet. Elle a la taille d’un citron. L’arrêt des médicaments est préconisé. Nous entendons les mots « soins palliatifs », sortir tout droit de la bouche de notre oncologue. Nous les refusons en bloc. Nous décidons d’aller chercher aux USA ce fameux ONC 201. Nous endossons la responsabilité de faire de notre fils un cobaye. Les systèmes de santé suédois et français ne couvrent pas les essais hors Europe, même s’ils sont prometteurs. Nous devons donc nous débrouiller seuls. Nous montons notre dossier pour vérifier l’éligibilité d’Anatole à l’essai clinique. Sur quatre centres acceptant de nouveaux patients à cette époque, trois nous refusent d’emblée, soit parce que nous vivons hors du territoire américain, soit parce qu’Anatole est trop faible, ou la tumeur trop agressive… Seul le MD Anderson Center, à Houston, accepte de nous recevoir pour refaire une évaluation complète. Nous ne nous posons pas de questions. Nous fonçons tête baissée dans cette brèche qui nous offre un peu d’espoir.

    Début mars 2019, nous plaquons tout : nos vies, nos boulots. De toute manière, notre vie est déjà cul par-dessus tête depuis neuf mois. Nous montons une cagnotte pour pouvoir palier les frais de déplacements et au coût exorbitant des soins aux USA. Nous n’arrivons pas à scinder la famille. Nous partons tous ensemble, chaque parent étant incapable de vivre cette épreuve sans le soutien de l’autre, et ne pouvant nous résoudre à laisser notre aînée seule, notre grande fille, si petite. Nous restons soudés.


    "Franchir les étapes sans nous poser de questions"

    L’arrivée aux USA est tumultueuse. Au vu des résultats des tests réalisés à Houston, Anatole ne peut intégrer l’essai. Il y a trop d’examens de contrôle, trop lourds pour lui, ils lui seraient fatals. 

    C’est la douche froide. Sous le choc, en désespoir de cause, nous lançons un appel au secours. Grâce à la fondation Musella et à Cancer Commons, en quelques jours, le laboratoire pharmaceutique Oncoceutics accepte de nous faire bénéficier du médicament en usage compassionnel. Nous devons nous rendre au Children’s National Medical Center de Washington DC où nous serons pris en charge par le Dr Kilburn. L’hôpital nous suivra le temps qu’il faudra. Nous filons sans plus tarder à Washington.

    Pour qu’Anatole ait accès aux soins et commence le traitement, une garantie financière de plus de 100 000 dollars nous est demandée par l’hôpital. Grâce à la cagnotte, à la générosité de centaines d’inconnus et au soutien de nos proches, nous pouvons payer sans hésiter. C’est un soulagement énorme. Par la suite, les frais connexes sont minimisés grâce à l’aide de personnes extraordinaires qui prennent en charge nos billets d’avion ou notre logement, qui nous accueillent chez elles ou qui se mettent simplement à notre disposition. Nous sommes reconnaissants envers tous ces gens qui nous portent pour que nous ne nous épuisions pas avec le quotidien et les aspects matériels, pour que nous réservions notre énergie à Anatole, pour que nous puissions franchir les étapes, les unes après les autres sans nous poser de questions. Dans cette période très angoissante, alors que la santé de notre fils se dégrade encore et toujours, nous tenons le choc grâce à cette générosité sans bornes, cette solidarité qui nous est offerte sans condition. Nous acceptons cette bienveillance extrêmement stimulante et bénéfique, nous nous en nourrissons, elle nous empêche de céder au désespoir.


    "La tumeur régresse ... l'émotion nous submerge"

    Anatole commence son traitement le 4 avril 2019. Nous restons encore un mois aux USA, le temps d’effectuer les premiers tests. La tumeur n’est pas tout à fait stable mais nous obtenons l’autorisation de rentrer en Suède début mai. Anatole est fatigué mais heureux de retrouver sa maison. Les premières IRM de mai et juin montrent une stabilité de la tumeur. En juillet, l’IRM montre une nette amélioration. La tumeur régresse. À la lecture de l’image, l’émotion nous submerge. C’est un vertige étrange et bouleversant, quand tout à coup, nous réalisons que le traitement fonctionne. Les IRM se suivent ensuite tous les deux mois et l’on observe encore une diminution de la tumeur. Après un an de traitement, elle a régressé de plus de 60 %. À l’été 2020, plus de deux ans après, elle est plus petite qu’au moment du premier diagnostic et a la taille d’une noix.

    Anatole revient à la vie petit à petit. Il est encore faible du côté gauche, figé sur le bas du visage, mais il va à l’école, il apprend, il joue, il rit. Il vit. Il revient de loin. C’est incroyable, jubilatoire, c’est fantastique. Et tellement effrayant. Au plus profond de notre être, nous voulons espérer que nous n’aurons pas à voir la courbe de progression de la tumeur s’inverser. La peur ne nous lâchera jamais plus. Mais aujourd’hui, Anatole va bien. Nous pouvons recommencer à respirer sans devoir agir dans l’urgence ou dans le flou, sans arrêt dans une tension perpétuelle.

    Nous entrons dorénavant dans une drôle de phase. Anatole n’est pas guéri. Est-il en rémission ? Le mot paraît trop beau pour être vrai, presque surréaliste. Pourtant, il s’agit bien de cela, les symptômes de la maladie sont atténués, sa vitalité est bonne. Nous essayons de ne pas trop nous projeter dans un monde sans tumeur, nous ne sommes pas si naïfs. Mais nous voulons croire à un avenir pour notre fils. Et pour cela, nous devons aujourd’hui passer à une autre épreuve : intégrer le monde du handicap.


    "Notre itinéraire est jalonné de petits miracles"

    Nous portons en nous tant d’espoirs pour Anatole comme autant de nouveaux défis : améliorer sa motricité et le voir marcher à nouveau correctement, améliorer sa vue et le voir mieux lire, améliorer sa résistance à la fatigue et le voir mieux apprendre… Sa vie a été mise à rude épreuve et nous aimerions qu’elle retrouve un peu plus de simplicité, de souplesse à défaut de pouvoir redevenir « comme avant ». Et nous parents, retroussons de nouveau nos manches pour continuer ce que notre fils a commencé : progresser malgré la maladie, en dépit des difficultés et des obstacles du quotidien, s’adapter à toutes les situations, faire preuve d’une certaine abnégation pour affronter la vie telle qu’elle est, sans jamais rechigner. Il s’agit pour nous de l’accompagner au mieux dans ce parcours de vie extraordinaire, en suivant son exemple.

    Nous n’avons toujours aucune idée de là où ce voyage nous mène. Nous vivons à côté d’un enfant qui aujourd’hui, si l’on en croit les statistiques, ne devrait plus être parmi nous. Alors oui, Anatole est encore marqué physiquement mais nous voulons continuer d’avancer en confiance, en lui tenant la main, comme nous l’avons fait depuis plus de deux ans. Notre itinéraire a été jalonné de petits miracles, autant de petits cailloux blancs qui nous ont permis de ne pas nous perdre en chemin.


    "S'excuser de ne pas vivre le pire"

    Nous sommes conscients de la chance que nous avons, notre enfant est en vie, et il est lui-même présent à sa propre vie. Nous avons côtoyé assez de familles pour savoir que nous faisons partie des « heureux élus ». Nous avons malheureusement pleuré, le coeur serré, l’âme meurtrie, le départ de bien trop d’enfants, fauchés bien trop vite. Nous essayons de ne pas vivre avec la culpabilité du survivant, ce sentiment qu’il faut s’excuser de ne pas vivre le pire. Pourquoi Anatole est-il en vie alors que tant d’autres ont été emportés par le cancer ? Nous ne sommes pas de meilleurs parents, nous n’aimons pas plus ou mieux notre enfant. Nous gardons en tête que tout aurait pu être différent si le cancer avait été plus agressif. Nous avons de la chance. C’est facile d’accepter ce hasard de la vie lorsque l’on se trouve du bon côté. Et ce serait aussi si facile d’oublier cette épreuve, de passer à autre chose aujourd’hui.

    Mais nous estimons avoir une responsabilité, un rôle à jouer. Celui d’informer, d’aider, de soutenir du mieux que nous pouvons les familles des enfants confrontés à ce diagnostic. Nous voulons relayer l'information, faire bouger les choses, faire entendre la douleur des familles touchées. La maladie sidère, mine, affaiblit, isole, détruit. Nous voulons pouvoir être une épaule sur laquelle s’appuyer, ou pleurer. Nous sommes passés par là, nous savons que parfois il n’y a pas de mots, parfois pas de remède non plus. 

    Durant ce voyage au pays des enfants malades aux côtés de notre fils, nous avons ouvert les yeux. Nous avons réalisé combien être en bonne santé semble être aujourd’hui un fait acquis et combien la maladie, surtout lorsqu’elle concerne des enfants, reste encore tabou. Le cancer pédiatrique n’est pas rare, c’est d’en parler qu’il est rare. Nous voulons continuer d’évoquer notre parcours qui a débuté de manière si abrupte le 9 mai 2018 et qui ne se limite pas à ce jour-là, à ce simple diagnostic. L’histoire de notre fils, c'est devenu l’histoire de notre vie. Une histoire sans fin, mais certainement pas sans lendemain.

    Et… pour narrer plus complètement, mon roman à paraître en mai 2021 :  « Un été exceptionnel », éditions Denoël, Prix révélation littéraire Matmut. Site : www.tousavecanatole.com."

    Pour lire davantage de témoignages, vous pouvez acheter le livre Regards (édité chez Les Plumes d’Ocris). 

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    JDF