Cardiologie

Vaccin Covid-19 : traitement des thromboses immuno-allergiques

Suite à de très rares cas rapportés de thromboses immunoallergiques d’évolution dramatique, 2 études permettent de mieux comprendre comment survient ce phénomène, de le prévenir ou de le traiter… afin de poursuivre la vaccination. Un évènement possiblement en lien avec les vaccins à adénovirus ou avec tous les vaccins ?

  • praserdumrongchai/istock
  • 12 Avr 2021
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    Le New England Journal of Medicine publie 2 petites séries de thrombopénies avec coagulation intra-vasculaire disséminée et thromboses multiples. Ces thromboses incluent des thromboses du sinus veineux cérébral sagittal supérieur, d’évolution mortelle, et survenant 5 à 16 jours après une première injection du vaccin Covid-19 AstraZeneca. L’une, norvégienne, concerne 5 professionnels de santé et l’autre 11 personnes en Allemagne et en Autriche.

    L’âge moyen des personnes touchées, essentiellement des femmes, serait de 36 ans (22 à 49 ans). La cause serait secondaire à l’apparition d’un auto-anticorps anti-PF4, de type « Thrombopénie Induite par l’Héparine », systématiquement retrouvé, et qui serait capable de déclencher la coagulation. D’après les auteurs, un traitement par anticoagulants non-hépariniques et des immunoglobulines intraveineuses à forte dose, administré suffisamment tôt, serait efficace.

    Alerter sans effrayer

    Les thrombologues ont été très surpris par le profil des patients qui ont eu ces thromboses atypiques puisqu’il s’agissait plutôt de femmes, jeunes, avec des thromboses de site très insolite, par exemple au niveau abdominal, sur des gros vaisseaux comme des thromboses portales, et des thromboses veineuses cérébrales, ce qui est très rare.

    Surtout ces thromboses sont survenues en association à une baisse des plaquettes, exactement comme dans une « coagulopathie de consommation », ce que l’on appelle habituellement une CIVD. Donc en gros quelque chose de très généralisé et très catastrophique chez des femmes jeunes qui venaient de recevoir le vaccin AstraZeneca.

    Selon le Pr Ismaël Elalamy, chef du service d’hématologie biologique à l’hôpital Tenon, à Paris, il faut se souvenir qu’en matière de thromboses, rien ne survient par hasard et qu’il faut donc toujours chercher une cause.

    Mais il faut aussi raison garder car ces thromboses cérébrales sont exceptionnelles : si l’incidence des thromboses en France est de l’ordre de 1 pour 1000, pour les thromboses cérébrales on est à moins de 1 pour 100 000. Avec le vaccin, on est sur une incidence d’une quarantaine de cas de thromboses atypiques sur 30 à 40 millions de personnes vaccinées en Europe, c’est-à-dire au-delà de 1 pour 100 000 et proche de 1 pour 1 million.

    Donc ce sont des accidents thrombotiques particulièrement rares, qui existent aussi avec les autres vaccins à adénovirus et dont les vaccins à ARN ne sont probablement pas dispensés (il y a de nombreuses thromboses rapportées mais qui n’ont pas été analysées en détail).

    Pourquoi des thromboses atypiques ?

    La question se posait du pourquoi de ces thromboses atypiques survenant comme une réaction inflammatoire disproportionnée, avec un signal quasi incendiaire d’origine immunologique.

    Le tableau clinique associant une thrombocytopénie modérée à sévère et des complications thrombotiques à des sites inhabituels, débutant environ 1 à 2 semaines après la vaccination contre le SRAS-CoV-2 avec ChAdOx1 nCov-19, suggère un trouble qui ressemble cliniquement à une thrombocytopénie sévère induite par l'héparine, un trouble prothrombotique bien connu causé par des anticorps activateurs de plaquettes qui reconnaissent les complexes multimoléculaires entre le PF4 cationique et l'héparine anionique.

    Ces dernières années, il a été reconnu que des déclencheurs autres que l'héparine pouvaient provoquer un trouble prothrombotique qui ressemble fortement à la thrombocytopénie induite par l'héparine, tant sur le plan clinique que sérologique, notamment certains médicaments polyanioniques, mais pas seulement, et par exemple après des infections virales et bactériennes ou une chirurgie prothétique du genou. Ces divers scénarios cliniques avec des déclencheurs non-pharmacologiques apparents ont été classés sous le terme de « thrombopénie auto-immune induite par l'héparine ».

    Explorer pour comprendre

    C’est ce qui a fait rechercher par l’équipe allemande et l’équipe norvégienne des auto-anticorps de type TIH, ou « Thrombopénie Induite par l’Héparine », c’est-à-dire que ces patientes ont développé des auto-anticorps anti-PF4 qui ressembleraient à ce qui est décrit dans les orages vasculaires des TIH avec une sorte de stimulation intravasculaire disséminée et suractivation des plaquettes, des cellules endothéliales, des monocytes… alors même que ces femmes n’avaient pas reçu d’héparine.

    Il faut savoir que nous avons à la surface de nos vaisseaux, sur les cellules endothéliales, ce qui ressemble à de l’héparine : ce sont des glycosaminoglycanes, des sucres, qui tapissent nos cellules endothéliales et il est possible que la protéine Spike, qui était donc reçue lors de cette vaccination, s’est associée à ces glycosaminoglycanes dans certaines circonstances, et a mimé ce qui pouvait servir comme signal déclencheur immun, avec apparition d’auto-anticorps, qui se sont retournés contre les plaquettes des patientes, induisant ainsi une hypercoagulabilité majeure et ces thromboses particulièrement dramatiques.

    D’après le Pr Ismaël Elalamy, ce n’est peut-être pas la seule explication car il existe parfois des anticorps antiphospholipides au cours des infection à SARS-CoV-2, anticorps qui sont classiquement associés à un tableau proche du « syndrome catastrophique des antiphospholipides » survenant chez des patients qui ont des auto-anticorps capables d’activer les cellules et d’induire une génération de thrombine dans les vaisseaux.

    Mais, au final, il s’agit d’une auto-immunité très rare, survenant sur un terrain très particulier, plutôt féminin et jeune propice aux réactions auto-immunes, avec la possibilité d’une dérégulation immunitaire.

    Prévenir l’agression immune

    Le risque iatrogène n’est jamais à zéro, y compris pour un vaccin, mais il faut tout faire pour le réduire. Tout d'abord, les cliniciens doivent savoir que chez certains patients, une thrombose veineuse ou artérielle peut se développer dans des sites inhabituels tels que le cerveau ou l'abdomen, ce qui devient cliniquement apparent environ 5 à 20 jours après la vaccination. Si une telle réaction s'accompagne d'une thrombopénie, elle peut représenter un effet indésirable de la vaccination Covid-19 qui a précédé.

    Dans ce contexte, le Pr Ismaël Elalamy rappelle qu’il est préférable de veiller à piquer en intramusculaire et pas en intravasculaire, et donc vérifier à l’absence de retour sanguin avant d’administrer le vaccin.

    Il faut également vérifier dans les suites du vaccin qu’il n’y a pas de réaction locale ecchymotique ou purpurique extensive, très douloureuse, qui devrait alerter sur une réaction générale totalement disproportionnée qui peut se produire au niveau général avec une réaction inflammatoire aberrante.

    Explorer pour traiter à temps

    En cas de signes, de douleur, d’œdème, de céphalées intenses ou tenaces, de vertiges, de troubles de la vue… il faut que les personnes vaccinées consultent en urgence pour un examen clinique de confirmation, un hémogramme pour vérifier le taux des plaquettes, des D-dimères, la recherche d’anticorps anti-phospholipides et essayer d’objectiver une thrombose par l’imagerie.

    Si c’est le cas, il faut absolument conforter cette hypothèse de TIH avec des examens spécialisés qui existent dans tous les centres hospitaliers. Le test ELISA pour détecter les anticorps PF4-héparine chez les patients avec une thrombopénie induite par l'héparine est largement disponible et peut être utilisé pour examiner les patients avec une thrombopénie ou une thrombose post-vaccination potentielle associée aux anticorps contre le PF4. Un résultat ELISA fortement positif obtenu chez un patient qui n'a pas été récemment exposé à l'héparine serait une anomalie frappante.

    Bien que les décisions thérapeutiques telles que l'administration d'immunoglobulines intraveineuses et la mise en place d'une anticoagulation n'aient pas besoin d'attendre le diagnostic de laboratoire, la détection de ces anticorps activateurs de plaquettes inhabituels sera très pertinente pour l'identification des cas et l'évaluation future des risques et des avantages de ce vaccin et d'autres.

    D’après les auteurs de ces études, le traitement curatif sera mis en place sans attendre tous les résultats avec un traitement anti-thrombotique non-héparinique, type fondaparinux ou anticoagulant direct par voie orale, qui n’interfère pas avec la voie héparine dépendante.

    Les allemands proposent aussi d'administrer de fortes doses d'immunoglobulines intraveineuses pour inhiber l'activation plaquettaire médiée par les récepteurs Fcγ. Cette recommandation est parallèle à l'expérience émergente dans le traitement de la thrombopénie auto-immune grave induite par l'héparine, dans laquelle les immunoglobulines intraveineuses à forte dose ont entraîné une augmentation rapide de la numération plaquettaire et une désescalade de l'hypercoagulabilité.

    Un problème rare qui pourrait concerner tous les vaccins

    Les US Centers for Disease Control and Prevention et la US Food and Drug Administration recommandent de suspendre l'utilisation du vaccin Covid-19 de Johnson & Johnson aux États-Unis à la suite de six cas signalés d'un type de thrombose "rare et grave".
    Les six cas signalés sont survenus sur plus de 6,8 millions de doses du vaccin de Johnson & Johnson administrées aux États-Unis et sont survenus chez des femmes âgées de 18 à 48 ans, et les symptômes sont apparus 6 à 13 jours après la vaccination.
    C'est donc un événement très rare, environ un cas par million de personnes vaccinées, des événements que l'on ne peut pas voir dans un essai clinique simplement parce qu'il n'y pas des millions de personnes dans ces essais. On ne sait pas encore s'il s'agit d'une effet lié aux vaccins à adénovirus ou si cela concerne tous les vaccins.

    Un communiqué de presse récent de l'EMA indique que cinq cas de syndrome de fuite capillaire, caractérisé par une fuite de liquide des vaisseaux sanguins provoquant un gonflement des tissus et une chute de la pression artérielle chez des personnes ayant reçu le vaccin d'AstraZeneca, ont été signalés dans la base de données EudraVigilance.

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    JDF