Onco-Digestif

Carcinome épidermoïde de l’œsophage : résultats de l’étude randomisée en cluster SANO

La prise en charge non opératoire des carcinomes épidermoïdes de l’œsophage est courante et s’appuie sur les bons résultats de la RCT exclusive chez ces malades. La stratégie de surveillance active proposée dans cet essai est une approche différente, assez récente qui s’adresse à tous les malades pris en charge pour un cancer de l’œsophage traités par RCT type CROSS (protocole de RCT préopératoire et non de traitement exclusif) y compris pour les malades ayant un adénocarcinome, malades habituellement considérés comme chirurgicaux.

  • Dr_Microbe/iStock
  • 14 Fév 2024
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    Le traitement standard des cancers de l’œsophage localement évolués, résécables, non métastatiques, repose sur la chirurgie d’exérèse carcinologique précédée d’une chimiothérapie ou d’une radiochimiothérapie (RCT) (1). L’œsophagectomie est une procédure lourde associée à un risque de morbidité majeure chez près d’un tiers des malades. La RCT, réalisée selon le protocole CROSS, peut induire une réponse clinique complète chez 35 à 40 % des malades (1). Une stratégie de surveillance active peut être proposée chez ces malades pour éviter les inconvénients de l’œsophagectomie mais les résultats à long terme de cette approche ont été peu évalués et n’ont jamais été comparés à ceux de l’approche conventionnelle (chirurgie systématique) (2).

    L’essai SANO

    Lors du dernier congrès de l’ESMO, Van der Wilk B et al. ont rapporté les résultats de l’essai prospectif multicentrique, randomisé, en cluster stepped wedge (essai randomisé en grappes ou par étape), comparant la surveillance active à l’approche classique chez des malades en réponse clinique complète à l’issue d’une RCT type CROSS pour cancer de l’œsophage quelle qu’en soit l’histologie (3). L’existence d’une réponse clinique complète était définie par l’absence de lésion résiduelle lors de 2 évaluations réalisées à 6 et 12 semaines de la fin du traitement néoadjuvant. Les malades dans le groupe Surveillance Active avaient des réévaluations régulières (8-12 semaines), endoscopiques et radiologiques, pendant les deux premières années. Dans le bras standard, la chirurgie était effectuée au décours de la première réévaluation post-traitement à 6 semaines.

    Il s’agissait d’un essai de non infériorité, dont le critère de jugement principal était le taux de survie globale à 2 ans. Les investigateurs ont également évalué les résultats postopératoires, la survie sans récidive et, notamment, le taux de récidive métastatique et de repousse locale dans le groupe Surveillance Active et la qualité de vie dans les deux groupes.

    Surveillance Active Vs Chirurgie Standard

    Au total, 198 malades ont été inclus dans le bras Surveillance Active et 111 dans le groupe Chirurgie Standard. Il s’agissait en grande majorité de malades pris en charge pour un adénocarcinome de l’oesophage (74 % dans le groupe Surveillance Active, 76 % dans le groupe chirurgie standard). Le suivi médian était de 34 mois dans le groupe Surveillance Active et de 50 mois dans le groupe Chirurgie Standard. Dans le groupe Surveillance Active, 35 % des malades sont restés en rémission clinique prolongée, 48 % ont présenté une repousse locale isolée de la tumeur diagnostiquée au cours de la surveillance et 17 % une évolution métastatique. Parmi les 198 malades du groupe Surveillance Active, 83 (42 %) ont finalement eu une œsophagectomie pour une repousse locale après un délai médian de 5,9 mois. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative par rapport au bras Chirurgie Standard concernant les taux de résection R0 (98 % dans les 2 groupes), de morbidité postopératoire globale (82 % vs 84 % respectivement), de fistule anastomotique (22 % vs 27 % respectivement) et la mortalité opératoire (4 % vs 5 %).
     

    Résultats

    En ce qui concerne le critère de jugement principal, le taux de survie global à 2 ans n’était pas inferieur dans le groupe surveillance active par rapport au bras standard (HR = 1,14, intervalle de confiance [IC] 95 % = 0,74 – 1,78, p = 0,55, et non-infériorité atteinte avec p = 0,007 pour la non infériorité). La médiane de survie sans récidive était 35 mois (IC 95 % = 31 – 41) dans le groupe surveillance active vs 49 mois (IC 95 % = 38 – NA) dans le groupe chirurgie standard (HR = 1,35, IC95 % = 0,89 – 2,03, p = 0,15). Les dimensions de qualité de vie relative à la santé étaient significativement améliorées dans le groupe surveillance active par rapport au groupe standard à 6 et 9 mois (p = 0,002 et 0,007 respectivement). Les auteurs ont conclu qu’un protocole de surveillance active en cas de réponse clinique complète après RCT n’altère pas la survie globale à 2 ans par rapport à l’approche classique (œsophagectomie systématique), permet d’éviter une œsophagectomie dans près de la moitié des cas et est associé à une amélioration de la qualité de vie des malades pris en charge pour un cancer de l’œsophage.

    Conclusions

    Il ne s’agit pas d’un essai de phase III classique, les malades ne sont pas randomisés entre les deux bras de traitement, mais ce sont les centres participants qui ont été randomisés pour adopter progressivement la stratégie (essai randomisé stepped wedge cluster). Sur le plan méthodologique, cela n’a pas la même valeur mais il est cependant peu probable qu’une randomisation classique ait pu être réalisée tant il est difficile d’inclure des malades dans un essai où il y a d’un côté « la chirurgie » et de l’autre « pas de chirurgie ». Il est peut-être encore un peu tôt pour valider la sécurité oncologique de cette approche au regard des tendances qui semblent se dessiner sur la survie sans récidive et le risque métastatique mais ces résultats interpellent : pas de différence en termes de survie globale à 2 ans, un malade sur deux non opéré, pas de différence concernant la radicalité et la morbimortalité de l’œsophagectomie différée (groupe surveillance active) par rapport à l’approche standard et une bien meilleure qualité de vie. Il sera important de suivre cette cohorte afin de confirmer ou non si les résultats se maintiennent concernant la sécurité oncologique.

     

    References

    1. N Engl J Med. 2012 May 31;366(22):2074-84. doi: 10.1056/NEJMoa1112088
    2. Ann Surg. 2022 Mar 1;275(3):467-476. doi: 10.1097/SLA.0000000000004930

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