Fin de vie

Une Semaine ou l'Éternité : le dilemme du médecin

Dans le cadre de la première émission de « La Santé en Questions », le rendez-vous politique de Fréquence Médicale, le Dr Jean-François Lemoine, qui a animé cette émission, revient sur le dilemne du médecin.

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  • 07 Sep 2023
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    Une anecdote a beaucoup marqué ma pratique.

    Un jour ou je faisais un peu bêtement remarquer à un patient que les spécialistes de l’hôpital lui avait prescris un médicament hors de prix, dont on n’avait pas la preuve absolue qu’il améliorait l’espérance de vie au-delà de quelques semaines, il m’avait répondu, avec un grand sourire : « à plus de 90 ans, une semaine c’est l’éternité !!... »

    Cette réplique simple, teintée d'humour et de sérénité, révèle une sagesse profonde quant à la perception du temps lorsqu'on approche de la fin de la vie.
    Alors que la législation change et que les dilemmes persistent, nous sommes rappelés que chaque patient est une histoire unique, bien au-delà des statistiques et des protocoles.
    À travers les instants partagés avec mes patients, je trouvais la boussole pour naviguer au sein du paradoxe, en quête de la justesse et de la compassion. En tant que médecin, mon rôle est ancré dans cette réalité : comprendre et traiter non seulement les symptômes, mais aussi l'essence de chaque individu.
    Face à la complexité des enjeux moraux et éthiques qui se dessinent au crépuscule de la vie, je me tiens en équilibre sur un fil tendu entre deux réalités apparemment inconciliables.

    En tant que médecin généraliste, j'ai depuis longtemps porté le fardeau de comprendre et soulager la douleur en fin de vie. Un fardeau qui m'a non seulement poussé à réfléchir sur les limites de la médecine, mais aussi à remettre en question les frontières du consentement et de la compassion.

    Mes années de pratique m'ont fait comprendre que la douleur n'est pas seulement physique, mais qu'elle englobe également des strates émotionnelles et existentielles. C'est dans l'intimité des relations tissées avec mes patients que je découvre la véritable nature de la souffrance. Et c'est précisément cette intimité qui m'amène à prendre des décisions qui me plongent dans un paradoxe déchirant.

    Lorsque mes patients sombrent dans l'inconscience, les dilemmes se multiplient. Dois-je me résigner à laisser la douleur poursuivre son cours implacable, ou bien oser intervenir pour alléger leur fardeau ? Les questions morales et éthiques s'entremêlent dans un nœud inextricable, m'obligeant à peser chaque option avec une précaution presque obsédante.

    Et voilà que la loi, celle qui a guidé et encadré ma pratique pendant tant d'années, annonce un changement imminent. Un changement qui suscite en moi une réflexion profonde et parfois troublante. Car la loi, désormais, envisage de me conférer le pouvoir d'accomplir un acte qui jusqu'ici était formellement interdit : celui de mettre fin à la vie d'un patient qui souffre.

    À première vue, cela semble être une réponse à mes questionnements. Mais lorsque je me plonge dans cette nouvelle réalité, je me retrouve face à une nouvelle série de dilemmes. Le droit de tuer, bien que revêtu d'une apparence de compassion, soulève une multitude d'interrogations.

    Comment peser le devoir de soulager la douleur par rapport au devoir de préserver la vie ? Comment équilibrer la légalité avec la moralité ? Comment ne pas glisser sur la pente glissante du pouvoir arbitraire ?

    Ce n'est pas une légèreté que de prendre une décision qui influe sur le cours d'une vie, qu'elle prolonge ou qu'elle interrompt. Dans cette ère de changements législatifs, je suis amené à me demander : qu'est-ce que cela signifie d'être médecin ? Quelle est ma véritable responsabilité envers ceux qui souffrent et qui ont confiance en moi pour alléger leur fardeau ?

    Tout comme le serment d'Hippocrate m'engage à « ne pas nuire », l'évolution de la législation m'invite à repenser les notions de bienveillance et de compassion. Car, en fin de compte, il s'agit de bien plus qu'une simple loi. C'est une quête profonde et personnelle pour équilibrer la douleur et la dignité, la vie et la mort, dans un monde où les réponses ne sont jamais aussi nettes que les lignes d'un texte législatif.
    Le rôle d'un médecin dépasse les prescriptions et les traitements, pour se frayer un chemin au cœur de la vie humaine, même à son seuil le plus fragile.
    Le paradoxe persiste, le dilemme perdure, mais l'humanité reste le fil conducteur qui guide ma réflexion.
    Alors que la législation évolue, que les débats continuent, il est essentiel de se rappeler que chaque patient est bien plus qu'une statistique, chaque vie bien plus qu'une moyenne d'espérance.

    Je garde en tête cette leçon du patient au grand sourire. Chaque regard, chaque dialogue partagé avec mes patients…. Et peut-être, dans ces moments, même les plus douloureux, l'éternité peut se glisser dans une simple semaine, éclairant ainsi notre cheminement, au-delà des paradoxes, vers un horizon empreint d'humanité.

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    JDF