Pneumologie

Pollution : l'implication des PM2.5 dans l'oncogenèse se précise.

Les PM2,5 rentreraient en jeu dans la survenue des cancers bronchiques en permettant le potentiel oncogénique de la mutation EGFR, lorsque celle-ci est déjà présente. Une étude de très grande qualité précise les mécanismes de cette action et encourage encore plus à la lutte contre la pollution. D’après un entretien avec Alexis CORTOT.

  • 27 Jul 2023
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    Une étude, dont les résultats sont parus en avril 2023 dans Nature, a cherché à démontrer les mécanismes physiopathologiques qui impliquent les PM 1,5 dans l’oncogenèse des cancers bronchiques. Il s’agit d’une étude réalisée par un consortium international, mais dirigé par  des chercheurs anglais ayant un très  haut niveau de connaissances sur le cancer pulmonaire. Les auteurs de la notion, déjà connue et étayée par des études épidémiologiques, que la pollution atmosphérique était associée à la survenue des cancers bronchiques. L’impact de la pollution sur les cancers pulmonaires des sujets non-fumeurs a déjà été démontré mais le lien était encore mal compris, avec une physiopathologie jusque-là peu étudiée. L’objectif de ce travail a donc été de mieux comprendre ce lien et pour cela, les auteurs se sont focalisés sur le sous-type d’adénocarcinome bronchique muté EGFR d’une part, et sur les PM2,5 d’autre part.

     

    Une approche élégante en trois temps

    Le professeur Alexis CORTOT, chef du service de pneumologie et oncologie thoracique, du Centre Hospitalier de Lille, félicite ce travail de haut niveau qui se développe en trois phases : épidémiologique, biologique et translationnelle. La phase épidémiologique utilise une cohorte de sujets issu du Royaume-Uni, de Corée du Sud et de Taïwan. L’estimation de l’incidence des cancer bronchique mutés EGFR a été corrélée à l’exposition aux PM2,5 dans ces trois pays, en prenant en compte des données écologiques à large échelle. Les auteurs ont ensuite divisé ces trois pays en zones géographiques. La corrélation entre l’incidence du cancer bronchique muté EGFR et l’exposition aux PM 2,5 a été retrouvée. Alexis CORTOT précise que cela avait déjà été évoqué mais jamais aussi spécifiquement. Il souligne également que l’on ne retrouve pas de signature identique à celle retrouvée chez les fumeurs, ce qui laisse supposer que l’impact de la pollution a une action différente qui n’est pas assimilée à celle du tabac. Les auteurs ont donc utilisé une base de données britannique de sujets sains suivis pendant plusieurs années et observé la survenue de cancers bronchiques en fonction de l’exposition cumulée aux PM2,5 à l’échelle individuelle. Ils ont observé que l’exposition sur 3 ans est associée à la survenue plus fréquente de cancer bronchique, quel qu’en soit le type. Ces résultats confirment donc que l’association de l’exposition aux PM2,5 avec la survenue d’un cancer bronchique muté EGFR ne requiert que 3 ans d’exposition et ne passe pas par l’accumulation de mutations, comme lors de l’exposition au tabac. Alexis CORTOT explique que les auteurs ont ensuite eu une approche de recherche fondamentale, avec un modèle murin. Ils ont induit la mutation EGFR dans les cellules épithéliales pulmonaires. Ainsi, des cellules pré néoplasiques se sont formées et lorsqu’elles ont été exposées aux PM2,5 elles sont devenues plus volumineuses et plus nombreuses, de manière exponentielle, sans qu’il n’existe d’augmentation du nombre de mutations dans ces cellules. De plus , les auteurs ont observé qu’en provoquant une déplétion du système immunitaire des souris, cette observation était majorée, ce qui laisse penser que l’effet des PM2,5 passe par le système immunitaire. En effet, une signature inflammatoire a été observée, avec une infiltration de macrophages et la présence d’IL1 béta en grande proportion chez les souris exposées. Alexis CORTOT rappelle la cascade d’évènements  liés aux pneumocytes de type 2, cellules d’où émergent les adénocarcinomes mutés EGFR, qui vont rentrer dans un état progéniteur lorsqu’elles sont exposées à l’IL1béta, produit par les macrophages. L’hypothèse est donc que si ces cellules sont mutées EGFR, les PM2,5 en provoquant l’hypersécrétion d’IL1 béta favorise le développement du cancer. Lorsque les auteurs ont exposé les souris à un anticorps bloquant l’action de l’IL1 béta, la formation de cellules pré néoplasiques a été diminuée. Ces résultats confortent le rôle clé de l’IL1béta dans la survenue des adénocarcinomes bronchiques mutés EGFR.

     

     

    Une hypothèse proposée originale

    Alexis CORTOT explique que pour démontrer cette hypothèse les auteurs ont induit la mutation EGFR chez les souris. Cela suppose que cette mutation est déjà présente chez l’homme et il pose la question de savoir si les mutations EGFR existent sans provoquer de cancer. Les auteurs de cette étude ont donc réalisé une approche sur les tissus sains de quelques centaines de patients, issus de plusieurs cohortes, avec ou sans cancer du poumon. Grâce à ces échantillons et avec des techniques très sensibles, ils ont pu montrer que la mutation EGFR existait chez dans les tissus sains de 18% des sujets, à un faible niveau. Alexis COTOT souligne qu’il s’agit d’une nouvelle donnée intéressante car, jusque-là, la mutation EGFR était considérée comme pathognomonique du cancer du poumon. Il précise également que des résultats identiques ont été trouvés concernant la mutation K-RAS, avec une présence en tissu sains dans 53% des cas. Alexis CORTOT estime que l’hypothèse proposée est assez originale et fournit une explication moins classique que celle proposée pour l’exposition au tabac et ses multiples mutations. Dans le cas de l’exposition aux PM2,5, le processus de carcinogénèse se fait en deux étapes : une étape d’initiation avec l’acquisition de la mutation EGFR et une étape de promotion par la mise en œuvre du potentiel oncogénique de cette mutation par l’action de la pollution. Il explique qu’il est très difficile d’avoir une action sur l’étape d’initiation mais que l’on peut agir sur l’étape de promotion en bloquant la voie de l’IL1béta, qui représente désormais une piste très claire dans le processus d’oncogenèse. Alexis CORTOT fait référence à une précédente étude parue quelques années plus tôt au cours de laquelle un anticorps anti IL1béta était proposé à des patients ayant eu un premier accident cardio-vasculaire et chez qui on avait constaté une moins grande fréquence de cancers du poumons. Pour lui, il serait intéressant de sélectionner la population qui pourrait bénéficier de ce blocage de la voie de l’IL1béta.

     

    En conclusion, ce travail est particulièrement  qualitatif et intéressant car il propose une explication biologique au lien entre l’exposition à la pollution et la survenue de cancers du poumon. Il ouvre la voie de l’IL1béta et de son potentiel blocage et incite également à renforcer la lutte contre la pollution atmosphérique…

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    JDF