Infectiologie
Covid-19 et cinétique virale : redéfinir la place du remdésivir
Une analyse élégante du Lancet Infectious Disease propose une redéfinition de la place du remdésivir et des antiviraux au cours de la Covid-19. Plus qu’une non indication, il s’agirait surtout d’un repositionnement au stade réellement viral de la maladie.
- selvanegra/istock
L'immunopathologie de la COVID-19 pourrait expliquer les résultats discordants des différentes études avec le remdésivir selon une analyse élégante publiée dans The Lancet Infectious Disease.
Dans la Covid-19, une phase initiale de réplication virale intense peut évoluer vers une insuffisance respiratoire à partir du 8ème-9ème jour, si la clearance virale n’est pas réalisée par le système immunitaire du malade. Cela peut aboutir à une forme grave de l’infection au SARS-CoV-2 nécessitant une supplémentation en oxygène, aggravation qui serait surtout liée à la réponse inflammatoire de l'hôte.
Si cette réaction inflammatoire est mal contrôlée, le malade a alors besoin d’une assistance respiratoire en réanimation mais, à ce stade, un quelconque traitement antiviral paraît complètement inefficace.
Syndrome hyperinflammatoire non viral
Bien que l’ARN du SARS-CoV-2 soit encore détectable pendant la phase hyperinflammatoire du syndrome de détresse respiratoire aiguë, voires jusqu'à 3 semaines chez certains malades, les concentrations virales sont nettement plus faibles dans cette phase que pendant la première semaine de la maladie.
La démonstration en est faite par l’efficacité de la suppression de cette hyperinflammation par des corticoïdes qui s'est révélée efficace pour réduire la mortalité dans l'essai RECOVERY, le bénéfice le plus important étant observé chez les personnes nécessitant une ventilation mécanique (mortalité de 29,3% dans le groupe dexaméthasone contre 41,4% dans le groupe de soins habituels, soit -36%).
Echec global du remdésivir
Les résultats provisoires de l'essai ouvert et randomisé SOLIDARITY mené par l'OMS sur un éventail des patients hospitalisés pour une infection à Covid-19 rapportent que 301 (11,0%) des 2743 patients analysés qui ont reçu du remdésivir et 303 (11,2%) des 2708 patients analysés qui ont reçu des soins standard sont morts au 28e jour (RR=0,95, 95% CI 0,81-1,11 ; p=0,50).
Les résultats finaux de l'étude ACTT-14, de Gilead, parrainée par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases, sont globalement similaires : cet essai randomisé, contrôlé par placebo, portant sur des patients atteints de Covid-19, fait état d'une mortalité sur 29 jours de 11 à 4% chez 541 personnes ayant reçu le remdésivir et de 15 à 2% chez 521 personnes ayant reçu le placebo (HR=0,73, 95% IC 0,52-1,03).
Intérêt dans les sous-groupes précoces
En regardant attentivement l'essai SOLIDARITY, on constate une tendance à la réduction de la mortalité avec le remdésivir chez les patients nécessitant un faible débit ou un débit moyen d'oxygène à l’inclusion, mais pas chez ceux qui nécessitaient déjà une ventilation mécanique à l’inclusion. Cette différence n’atteint toutefois pas la significativité (12,2% dans le groupe remdésivir contre 13,8% dans le groupe témoin ; RR=0,85, 95 % IC 0-66-1-09).
Dans le sous-ensemble de patients de l'essai ACTT-14 nécessitant une supplémentation en oxygène mais pas d'oxygène à haut débit ni d’assistance respiratoire en réanimation, le remdésivir a un avantage significatif en termes de mortalité (4,0% dans le groupe remdésivir contre 12,7% dans le groupe témoin ; HR=0,30, 95% CI 0,14-0,64). Dans ces 2 même sous-groupes, il existe une réduction du temps de guérison ou d’hospitalisation avec le remdésivir.
Bien que la validité d’une analyse post-hoc sur les sous-groupes est toujours délicate et discutable, les résultats concordants suggèrent que ce constat ne serait pas dû au hasard. D’autant qu’un constat similaire avait été réalisé dans l’étude randomisée chinoise de Wang Y et al. qui avait été interrompue prématurément pour cause de cessation de l’épidémie.
Fenêtre d’opportunité pour les antiviraux
L’histoire naturelle de l’infection à Covid-19 et les résultats de ces 3 études randomisées (DISCOVERY, ACTT-14 et Wang Y) suggèrent qu’il existe une fenêtre d'opportunité pour les antiviraux dans la phase infectieuse de la Covid-19, après les stades initiaux, mais avant qu'une hyperinflammation ne s'installe et ne conduise à un syndrome d’hyperinflammation avec thromboses diffuses et syndrome de détresse respiratoire aigu.
Ainsi, pour les patients atteints d’une forme légère ou modérée de la Covid-19 et n'ayant pas besoin d'assistance respiratoire, le remdédivir n'offre pas de bénéfice significatif au 28e jour : son utilisation n'est donc pas recommandée sauf à disposer d’un biomarqueur pour identifier les malades à risque d’évolution vers une forme grave. A l’opposé, les risques et les avantages du remdésivir chez les patients d'une forme sévère de la Covid-19 et nécessitant de l'oxygène à haut débit ou une ventilation mécanique sont incertains.
Anticiper le virage immunologique ?
Pour les personnes à haut risque de virage immunologique avec hyperinflammation et ARDS, qui sont diagnostiquées à un stade précoce de la maladie (vraisemblablement entre le 7ème et le 10ème jour) et qui ont besoin simplement d'un supplément modéré d'oxygène, le remdésivir raccourcirait le délai de guérison et réduirait le risque de progression vers une forme plus grave. Au vu du coût d’une journée de réanimation dans nos sociétés occidentales, le remdésivir serait rentable mais il nous manque toujours un biomarqueur validé identifiant précisement ces malades.
Les effets indésirables, observés dans l'étude ACTT-14 et dans l’étude Wang, montrent qu'il y a un faible risque que le remdésivir soit particulièrement nocif, en particulier si on réduit la durée du traitement à 5 jours, mais il est crucial de savoir s'il n’y a pas d’effet de toxicité additive en association avec la dexaméthasone qui sera désormais utilisée systématiquement.
Une évaluation plus approfondie des effets du remdésivir sur la réponse inflammatoire et la cinétique virologique serait utile pour définir son rôle. Les données virologiques de l'essai ACTT-14 sont donc attendues avec impatience, car l'étude de Wang n'a révélé aucune différence dans la diminution des titres viraux entre le groupe remdésivir et le groupe placebo. Pour l'instant, le remdésivir ne serait donc qu’une option de traitement dans un sous-groupes de malades Covid-19 hospitalisés au stade précoce.











