Sexualité
Ejaculation : le cerveau n’est pas seul aux commandes
Excitation, sensations, rythme du rapport sexuel... Une étude révèle que certains neurones de la moelle épinière jouent un rôle clé dans le plaisir sexuel masculin, en orchestrant bien plus que l’éjaculation.

- Par Stanislas Deve
- Commenting
- Denisfilm / istock
Pendant longtemps, on pensait que le cerveau était seul maître à bord en matière de plaisir sexuel masculin : excitation, point de bascule... jusqu'à ce que la moelle épinière se contente de "finaliser le travail" par l'éjaculation. Mais une récente étude, publiée dans la revue Nature Communications, vient bouleverser cette vision simpliste. Menée sur des souris par la Fondation Champalimaud, au Portugal, elle révèle que la moelle épinière joue un rôle bien plus vaste que la simple exécution, intervenant aussi dans l'excitation et la coordination du comportement sexuel.
Un dialogue entre moelle et cerveau
"La moelle épinière n'est pas qu'une simple voie de transmission. Elle intègre les signaux sensoriels, réagit à l'excitation et module sa réponse selon l'état interne de l'animal", explique Susana Lima, chercheuse principale de l'étude, dans un communiqué. L'équipe s'est concentrée sur un muscle clé de l'éjaculation : le bulbo-spongieux (BSM). Ce muscle, situé sous le pénis, se contracte par salves caractéristiques lors de l'éjaculation.Grâce à des souris génétiquement modifiées, les scientifiques ont identifié un groupe de neurones spinaux (de la moelle épinière) produisant une molécule appelée galanine (neurones Gal+). Leurs prolongements entraient en contact direct avec les motoneurones du BSM. L'équipe a confirmé une connexion excitatrice directe en activant ces neurones : à chaque stimulation, le BSM réagissait – sauf si le glutamate était bloqué.
Autre découverte marquante : ces neurones reçoivent aussi des signaux sensoriels directement du pénis. Même chez des souris dont la moelle est déconnectée du cerveau, une simple pichenette d'air sur les organes génitaux activait le circuit. En revanche, lorsque le cerveau est encore connecté, il semble réprimer ce circuit jusqu'au "point de non-retour". "Nos résultats suggèrent que le cerveau bloque activement ce réseau jusqu'à ce que les conditions soient réunies pour l'éjaculation", détaille Ana Rita Mendes, co-autrice.
Des implications pour la santé sexuelle humaine
Plus fascinant encore : une fois l'éjaculation survenue, ces neurones cessent de fonctionner temporairement, comme s'ils étaient conscients du récent orgasme. "C'est un niveau de sensibilité au contexte qu'on n'associait pas jusqu'ici à la moelle épinière", ajoute Mendes.
En détruisant ces neurones Gal+ chez des souris, les chercheurs ont observé non seulement des troubles de l'éjaculation, mais aussi une perturbation de la séquence sexuelle : les souris mettaient plus de temps, s'y prenaient mal, et étaient moins efficaces. Contrairement aux rats (chez qui l'éjaculation est quasi réflexe), les souris adoptent un comportement plus progressif... comme les humains. "Les rats restent utiles pour étudier l'éjaculation précoce, mais les souris pourraient mieux refléter la sexualité humaine", avance la chercheuse Constanze Lenschow.
Ce travail rebat donc les cartes : la moelle épinière n'est pas un simple relais, mais un véritable centre de traitement de l'information sexuelle. Une révolution qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements des troubles sexuels masculins.