Elections et débat national

Santé et Présidentielle : donner du sens, soutenir les médecins et ré-organiser à partir des territoires

La campagne présidentielle a commencé et, après la crise de l’hôpital et la pandémie Covid-19, nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile sur leurs propositions de réforme de la Santé. Aujourd’hui, l’interview du Dr Jacques Battistoni, président de MG France.

  • sefa ozel/istock
  • 25 Mar 2022
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    Le Dr Jacques Battistoni est généraliste, installé près de Caen, en Normandie, et syndicaliste : il est aujourd’hui Président de MG France et porte les valeurs de la médecine générale dans la nécessaire réforme de la Santé.

     

    Crise de la Covid-19 après la crise des urgences et la crise de l'hôpital…, on voit que le système de santé ne va pas très bien. Quelle est votre analyse ?

    Pour répondre à votre question, on va commencer par la notion de crise dans la santé. Je participais la semaine dernière à une réunion et tout le monde se posait la question. Il y a ceux qui disaient que la Santé était dans une crise grave. Et ceux qui disaient que les choses ne se passent pas si mal : « On a été capable d'affronter la crise sanitaire qui, elle est de toute évidence, est une vraie crise ». Après, est ce que le système de santé est en crise ? On pourrait dire qu'il l'est perpétuellement. En tout cas, il est certainement dans une crise de mutation forte. Et donc on pourrait décrire beaucoup d'aspects dont on parlera tout à l'heure.

    Je dirais que l’on est confronté à deux sortes de crise. Il y a, d'une certaine façon, une crise morale, et pas seulement en ville, mais à l'hôpital aussi. Tout en n'exerçant pas à l'Hôpital, j'observe de près ce qui s’y passe, ce qui se dit et je vois bien que l'Hôpital souffre d'une crise des vocations, en tout cas l'hôpital public, et notamment les hôpitaux périphériques qui sont parfois en recherche de personnel. Et cela pose des problèmes d'accès aux soins pour la population. Et cela nous pose un vrai problème parce que ce sont aussi ces hôpitaux périphériques qui ont des plateaux techniques à même de faire les examens dont nous avons besoin. Donc il y a une vraie crise et il y a des postes non pourvus. Et il y a des problèmes récurrents, notamment pour les services d'urgences, parce que le problème là, c'est d'arriver à trouver des médecins qui acceptent de prendre des gardes aux services d'urgences, payées très cher souvent, mais difficiles. Donc on voit bien qu'il y a une crise de vocations, y compris à l'hôpital public. 

    Mais c'est certainement aussi une crise morale, parce que les gens se demandent un peu ce qu'on attend d'eux, ce que la population attend d'eux. Et je crois que cette crise morale existe en médecine générale, parce que nous nous demandons ce que la population, finalement, attend de nous autres, quand on voit passer les différentes lois. Quand vous avez des lois qui, comme celles qu'on a connues précédemment, le PLFSS, (projet de loi de financement de la Sécurité sociale), ou bien la loi Rist, l'année d'avant, qui disent : « cette tâche sera désormais réalisée par telle profession et vous n'allez plus le faire … » Forcément, nos collègues sont en droit de se demander : « Pourquoi est-ce qu'on fait ça ? Qu'est ce qui est sous tendu par tout ça ? »

    La profession de médecin généraliste se demande aujourd'hui ce que la population attend d’elle, ce qu'attendent les politiques et quels sont les contours de notre métier ? À MG France, nous avons donc, pour cette raison, entamé une réflexion sur les contours de notre métier, sur le référentiel de notre métier. Il est en cours de rédaction dans le cadre du Collège de la médecine générale, qui est notre Conseil national professionnel. Ce référentiel devrait être disponible, je le souhaite, pour la future convention et il fixera le cadre de l'exercice de la médecine générale en 2022-2023, de façon à pouvoir ensuite en tirer les leçons en termes de convention et en termes de contrats passés avec l'assurance maladie, mais, au-delà, avec le pays tout entier. 

    Nous sommes donc dans une crise morale, mais qui se double d'une crise organisationnelle bien sûr, sur laquelle on est beaucoup revenus ces derniers temps. Une des grilles d'analyse de cette crise, c'est certainement la notion de « qui fait quoi dans le système de santé ? ». Et nous, à MG France et dans le collège de la médecine générale, défendons l'idée d'un système de santé organisé en différents niveaux de recours, avec une première ligne de soins, avec des soins primaires dans lesquels les médecins généralistes occupent évidemment une place centrale, puis il y a des soins de second recours, soins spécialisés et expertise, et des soins de troisième ligne, qui sont les soins hospitaliers. Il est clair que le brouillage des lignes a installé une grande confusion qui fait qu'on ne sait plus très bien qui fait quoi.

    Redonner des missions claires à chaque profession s'impose de toute évidence, au futur gouvernement et aux pouvoirs publics, de façon à ce que chacun retrouve le sens de sa mission et de ce qu'on attend de lui. Je suis très à l'écoute, comme président de MG France, de ce que nous disent nos confrères. Beaucoup s'interrogent là-dessus. Il est urgent de redonner ce sens. Les débats liés à la campagne pour l'élection présidentielle, et aussitôt après la négociation conventionnelle doivent répondre à ces deux impératifs : résoudre cette crise morale, et ensuite, mettre en place un système de santé réellement organisé en niveaux de soins tel que nous l'avons écrit. Je vous renvoie au « Manifeste pour un système de santé organisé », que nous avons publié il y a quelques années, pour pouvoir redonner du sens et reconstruire un système sur des bases solides. 

    On est confrontés actuellement à beaucoup de médecins qui sont partis à la retraite et des zones de désertification médicale. Qu'est-ce qu'il faut faire dans un premier temps, en urgence, pour venir un peu au secours de ces médecins et des territoires ? Et puis après, comment est-ce que cela doit évoluer ?  

    Je voudrais souligner qu'une des raisons de la crise morale qui touche les médecins généralistes, ce sont justement les réponses, ou tentatives de réponses, qui ont été apportées à une crise démographique qui, elle, est bien réelle.

    Du fait d'une mauvaise gestion des effectifs des professions médicales il y a quelques années, on se retrouve aujourd'hui en grande difficulté avec le départ en retraite massif d'une promotion qui est la mienne, celle de la fin des années 70. Or les jeunes médecins qui sont prêts à nous remplacer sont beaucoup moins nombreux et cela va continuer à s’aggraver. Il y a de plus des disparités territoriales qui ne sont pas liées à une simple question d'attractivité, mais au fait que dans certains endroits, les médecins sont tous âgés : quand ils partent en retraite, cela fait un gros trou.

    Cette crise démographique entraîne évidemment de grosses difficultés d'accès aux soins pour la population. C’est devenu un problème d'ampleur nationale, le président de la République s'en est emparé, tous les candidats à l'élection présidentielle s'en emparent aussi, et on nous somme de trouver des réponses. Nous sommes aussi interpellés par la population et par les élus locaux qui nous questionnent beaucoup. MG France ne pouvait pas rester inerte. C'est pourquoi nous avons rédigé un « Guide à l'usage des élus locaux qui recherchent désespérément un médecin », qui est une forme de réponse à cette crise. Dix recommandations simples pour leur permettre de répondre à leurs administrés qui leur demandent comment trouver un médecin.

    Il s’agit d'abord de casser les idées reçues qui reviennent trop souvent : non, il ne suffit pas de dire aux médecins : « vous allez être obligé de vous installer là où on va vous le dire », parce que ça va détourner les médecins de l'exercice de la médecine générale. Et puis parce que si on impose par exemple aux médecins de s'installer là où un médecin part en retraite, eh bien, vous n'aurez aucun changement s'il y a beaucoup de médecins qui sont déjà partis en retraite et donc cette forme de coercition n'aura aucun effet concret.

    Pour nous, la bonne solution, passe par la prise de conscience qu'il faut soutenir les médecins en exercice. On ne le fait pas assez, alors que c'est la clé de la réussite. C'est la clé dans la mesure où si vous ne renforcez pas les médecins en exercice, quand ils vont partir, vous allez laisser derrière eux un champ de ruines, des cabinets qui n'auront pas été modernisés, des professionnels qui n'auront pas été en capacité d'attirer des remplaçants, puis des successeurs. Et vous allez vous retrouver, comme je l'ai vu dans pas mal d'endroits, avec des cabinets vides, des communes qui se battent avec une autre commune, à 10 kilomètres d'elle, pour avoir un médecin, et qui font de la surenchère…  Tout ça ne marche pas.

    Donc qu'est-ce qu'il faut faire pour éviter cela ? Il faut d'abord une « réflexion territoriale » qui passe par les principaux acteurs concernés. Il faut éviter, comme je l'ai entendu proposer, de dire on va faire une nouvelle conférence. Le diagnostic est posé, on est à peu près tous d'accord là-dessus. Les solutions, elles sont sur la table. Les outils, ils existent, et MG France le croit : on a tous les outils réglementaires et conventionnels sous la main, donc par pitié, pas de nouvelles lois. Je dis ça au futur président de la République : on n'en a pas besoin. Par contre, on a des outils. Regardons ce qui existe et mettons en œuvre ce qui peut fonctionner et ce qui a fait ses preuves.

    Et, je le répète, la première chose pour les médecins qui sont en difficulté parce qu'ils sont moins nombreux, parce que leurs collègues à côté d'eux sont partis en retraite, parce qu'ils vieillissent : il faut les aider à renforcer cette offre de soins. On ne va pas les aider en faisant venir des médecins par miracle. On va les aider en leur apportant des ressources supplémentaires. Des ressources humaines d'abord, et nous pensons à deux professions en particulier, déjà identifiées, mais qui, qui tardent, je dirais, à avoir les moyens de leur développement. En premier, les assistants médicaux : maintenant, tout le monde s'accorde pour dire que c'est vraiment nécessaire et qu'il faut assouplir le dispositif qui a été verrouillé par excès de prudence et pour ne pas que ça coûte trop d'argent. Il faut déverrouiller le système et nous donner la possibilité de travailler avec des collaborateurs et notamment des collaborateurs infirmiers, que ça soit des infirmiers de santé publique, Asalée par exemple, ou des infirmières de pratique avancée. Ces collaborateurs peuvent nous permettre de prendre en charge des populations plus importantes. Donc, ces médecins qui se rapprochent de la fin de leur carrière, qui sont moins nombreux, apportons-leur très vite, avec le plus de simplicité possible, en évitant de les rendre obligatoirement employeurs, parce qu'ils n'ont pas le temps de faire toutes ces démarches. Donnons-leur la possibilité d'avoir des ressources humaines supplémentaires et faisons-en la priorité de ces dispositifs : c'est eux qui doivent en bénéficier en premier lieu.

    Ensuite, donnons-leur des ressources matérielles supplémentaires. De quoi ont-ils besoin ? Pas forcément d'avoir une consultation majorée. Ils ont besoin très vite d'avoir des locaux adéquats. Si vous avez un endroit où l'offre de soins commence à être fragilisée, il faut leur donner des collaborateurs et de la place pour travailler ensemble, donc des locaux. Cela demande une réflexion territoriale entre élus locaux et professionnels de santé pour regrouper les professionnels dans l'endroit le plus adéquat. C'est vrai qu'il va falloir que certains patients se déplacent un peu, mais il faut consolider l'offre de soins, donc ça veut dire choisir les endroits.

    Quel est le bon endroit pour organiser ce maillage territorial ? C'est probablement le niveau du département, même si ça s'organise à l'échelon d'un bassin de vie. Parce que c'est au niveau du bassin de vie qu’on connait l'âge des soignants. On sait comment ça va se passer dans les années à venir. Donc il faut établir au niveau du département une cartographie de l'offre de soins avec l'âge des professionnels. Et dès qu'on voit des priorités, on met le paquet là-dessus. De l'État, on attend qu'il nous apporte des dispositifs permettant de renforcer rapidement les choses, donc de faire venir les ressources humaines. Ça vient surtout de l'État, de l'Assurance maladie et, bien entendu, des collectivités territoriales. On attend des locaux et des moyens. Et puis de sortir de l'esprit de clocher et de réfléchir ensemble, en fait. 

    Donc, une meilleure collaboration des médecins entre eux, aidés par les pouvoirs publics et les territoires. Et les pharmaciens, est ce qu'ils ont un rôle à jouer dans ce dispositif ?

    Oui, les pharmaciens avec lesquels on coopère et on travaille en coordination depuis des années, ils ont un rôle à jouer. Ce rôle du pharmacien peut être un peu renforcé, mais clairement, on ne remplace pas un médecin par un pharmacien, pas plus qu'on ne remplace un médecin par une infirmière. Par contre, on doit travailler ensemble, mais nous attendons plus de la collaboration avec des vrais collaborateurs, de la même façon qu'un pharmacien travaille lui-même avec des collaborateurs qui sont pharmaciens ou préparateurs. C'est une notion importante et je crois que nos amis pharmaciens l'ont bien compris. En tout cas, les pharmaciens que je connais, ainsi que leurs syndicats. 

    Le dernier atout pour renforcer une offre de soins déficiente, c'est l'Université qu'il faut appeler à la rescousse. Dans les endroits où on a besoin de consolider l'offre de soins, de créer rapidement une offre de stage, c'est aussi une façon de faire venir des jeunes médecins en renfort et en soutien des médecins. Ce vrai lieu de stage doit être un lieu d'excellence, un lieu d'attractivité, parce que c'est là qu'on va tester des nouvelles coopérations avec des ressources humaines. C'est là qu'on va tester la possibilité de faire de nouvelles choses : la médecine générale, comme les autres disciplines, doit évoluer, faire des actes de diagnostic et thérapeutiques nouveaux. Je pense notamment à l'échographie, mais aussi aux possibilités ouvertes par l'intelligence artificielle. Et donc ça passe, bien entendu, et beaucoup de candidats à l'élection présidentielle l'ont dit, parce qu'ils nous ont écouté, cela passe par la « quatrième année professionnalisante ». Attention, je partage totalement les réserves des internes en médecine générale qui disent : « Je ne veux pas aller remplacer le médecin tout seul dans son cabinet perdu ». Mais je veux qu'on construise des lieux de stages dans des territoires en difficulté qui soient des lieux de stage réellement attractifs où il y ait tous les moyens possibles, et notamment des collaborateurs, des locaux aussi pour les stagiaires qui soient pour eux les endroits où on apprend vraiment le métier dans des bonnes conditions et où on développe un vrai projet professionnel. 

    D'aucuns prônent l'utilisation de la télémédecine comme étant la solution à la désertification. Dans votre propos, on comprend bien que ce n'est pas la solution, mais cela doit entrer comment dans la réforme ?  

    Je crois que les patients attendent avant tout de rencontrer un médecin. Pour avoir pratiqué la télémédecine depuis maintenant deux ou trois ans, comme pour la plupart d'entre nous j’ai vu, ce que ça pouvait apporter et ses limites. Ça permet de garder le lien notamment avec les patients qui avaient besoin de nous à un moment donné, qui étaient nos patients mais qui avaient un problème de santé aigu pour lequel nous demander notre avis. Mais en même temps, on en voit bien les limites, voire même les dérives.

    Clairement, la téléconsultation peut être un outil au service des professionnels sur le territoire. Cela permet d'éviter des déplacements longs. Ça nous permet de collaborer aussi dans le cadre du télé-soin avec l'infirmière à domicile. Mais pour autant, ça ne remplace pas le contact personnel. Un patient qui ne va pas bien, qui est à domicile, il faut continuer à aller le voir, surtout quand il est en fin de vie. Notre rôle est irremplaçable et il est hors de question de l'abandonner ou de le remplacer par une quelconque machine. C'est un peu un fantasme technologique. 

    Alors, autre problème qui vous concerne quand même, c'est l'hôpital. On a vu à l'occasion de la crise de la Covid, et en particulier la première vague, le côté caricatural de l'hospitalo-centrisme sur lequel tout a reposé. On a même demandé au privé et aux libéraux de fermer. A votre avis, comment est-ce qu'on doit améliorer le fonctionnement entre l'hôpital et la ville ?

    Plusieurs éléments peuvent nous permettre de nous repérer dans tout ça. Le premier, c'est la « hiérarchisation des soins », ce dont je parlais en introduction, sur les premières, deuxièmes et troisièmes lignes d'organisation des soins. La deuxième chose, c'est le respect des uns et des autres. Il faut que chacun s'occupe de son travail et fasse bien son travail. L'hôpital souffre de la ville quand la ville, pour des raisons d'accès aux soins, parce qu'il y a plus de médecins dans un endroit donné, parce qu'il n'y a pas de réponse pour les gens, fait qu'il n'y a plus d'autre solution que d'aller à l'hôpital. Donc pour résoudre une partie de la crise de l'hôpital, il faut résoudre la crise de l'accès aux soins dans les territoires et notamment ce dont on vient de parler. Ça, c'est la première chose.

    Il faut aussi que l'hôpital se concentre sur ses missions et, de temps en temps, il ne le fait pas. L'hôpital a une vision un peu hégémonique de la santé, considérant qu'il est le point de départ et la fin de la santé. Or non, quand on est médecin généraliste, on se rend compte, qu'en fait, parmi nos patients, c'est un patient sur 100 qui va à l’hôpital. Cela s'appelle le carré de White, qui montre que sur 100 consultations en médecine générale, une seule va concerner un patient qui va devoir être hospitalisé. Donc la très grande majorité des problématiques de santé sont traitées en ville et je dirais que l'hôpital n'est le plus souvent absolument pas concerné. Mais l'hôpital a tendance à considérer que la totalité du champ de la santé entre dans ses missions. Je crois que ce n'est pas le cas.

    Ce dont on attend de l'hôpital, c'est donc qu'il soit concentré sur son rôle régalien, c'est-à-dire évidemment l'accueil des malades en situation d'urgence médicale. Pas de permettre d'aller aux urgences à chaque fois mais quand vous avez une situation d'urgence vitale où c'est bien sûr son rôle. Et puis son rôle, c’est aussi d'avoir un plateau technique lourd, de nous permettre d'accéder à des examens complémentaires plus sophistiqués, d’avoir la proximité d'un service de réanimation : le rôle de l'hôpital, c'est celui d'être la troisième ligne de soins. C'est aussi de prendre en charge un certain nombre de pathologies qui nécessitent des moyens techniques lourds. Je pense notamment à la cancérologie ou il y a bien sûr besoin d'un accélérateur de particules, de choses comme ça qui nécessite des gros investissements. 

    Et les urgences dans tout cela ?

    Les urgences, c'est le dossier lourd du service d'accès aux soins, qui se met en place avec pas mal de difficultés, et de mon point de vue, il a des difficultés de temps en temps parce qu’il y a un problème de respect. Mais, je suis plutôt confiant et cela va s'améliorer à mesure que la ville va pouvoir s'organiser elle-même. Et c'est dans ce sens-là que le mouvement des CPTS, c'est à dire le mouvement de restructuration des soins de ville des professionnels de santé entre eux, sur un territoire qui développe des missions qui relèvent des soins de premier recours, est un mouvement tout à fait intéressant et tout à fait important parce qu'il permet de mettre en place une représentation légitime des professionnels de santé de ville, en capacité de discuter d'égal à égal avec l'hôpital. Car une des difficultés de l'hôpital, c'est de ne pas avoir eu d'interlocuteur en ville jusqu'à maintenant. Mais ceci est en train de changer, à travers notamment les CPTS. Là où sont ces CPTS, des missions nouvelles s'ouvrent à la ville, notamment en matière de prévention mais aussi d'organisation des soins, surtout en cas de crise sanitaire.

    Regardez ce qui s'est passé avec la crise Covid-19 : là où il y avait des CPTS, il y a eu effectivement une réponse rapide qui a été trouvée. Il y a eu pour l'hôpital un interlocuteur sur lequel s'appuyer. Mais là où les professionnels ne s’étaient pas encore organisés, où personne ne pouvait parler au nom de la ville, cela a été plus compliqué. Donc c'est quelque chose d'important et je participe dans ma commune à la mise en place d'une CPTS. Comme c'est l'agglomération de Caen, c'est assez grand, mais c'est un mouvement qui va vite et qui est tout à fait important. Et bien sûr, la critique facile, c'est de dire que c'est de l'administratif. Mais structurer les choses pour se représenter les uns les autres, ça nécessite un peu de temps mais, mais c'est indispensable. Si vous enlevez l'administration à l'hôpital, malgré tous les reproches qu'on lui fait, vous aurez un hôpital qui n'aura pas de moyens, qui ne fonctionnera pas où personne ne gérera les urgences et les absences du personnel.

    Donc voilà, on a besoin d'un minimum de structuration des soins de ville pour pouvoir parler d'égal à égal avec l'hôpital. Et là où les services d'accès aux soins ne marchent pas bien, c'est là où en général, l'hôpital a profité de sa situation de force sur un territoire, pour profiter des budgets existants, pour essayer de tout mettre sous sa coupe en disant : « nous on gère le Samu et vous, vous allez répondre à la demande non-urgente quand les patients en auront besoin ». Ce n'est absolument pas comme ça qu'on voit les choses. On doit marcher sur les deux pieds de la médecine. Les soins non programmés, ça représente une part très importante 20, 30, 40% selon les cas, de l'activité des médecins généralistes : ça doit rester notre activité et ça doit pouvoir être accessible au patient à travers un numéro d'appel unique, comme l'a rappelé le candidat Macron il y a longtemps. Mais il faut donner aux professionnels de ville la capacité de s'organiser eux-mêmes, de gérer eux-mêmes leurs propres outils, qu'il s'agisse des outils informatiques ou des personnels, ce qu'on appelle les « opérateurs de soins programmés » pour le téléphone. Et dans ces conditions, ça marchera bien. Là ou le service d'accès aux soins marchent, c'est là où vous avez deux interlocuteurs en capacité de se parler d'égal à égal.

    Est-ce que vous voulez dire un petit mot sur la prévention qui ressort à chaque élection sans que ça change ?

    La première chose que je voudrais dire, c'est prêcher pour ma paroisse : je crois qu’il ne faut pas oublier qu'un des premiers acteurs de la prévention, c'est le médecin. La prévention, c’est un vaste sujet : ça commence par l'éducation à la santé et l'éducation à la santé, c'est l'affaire de tous, des parents, de l'école quelquefois, des éducateurs en général. Mais en ce qui concerne la prévention proprement dite, c'est-à-dire le fait de faire passer des messages de prévention spécifiques sur la santé, c'est là que le médecin généraliste a de toute évidence un rôle central à jouer.

    Pourquoi ? Le médecin généraliste, c'est un des rares professionnels de santé que vous allez voir pratiquement tout au long de votre vie, vous allez pouvoir nouer une relation de confiance avec un médecin généraliste pendant 30, 35, voire 40 ans. Il vient chez vous et il a été le témoin de vos événements de vie. Il a vu naître vos enfants, qu'il a ensuite vu grandir, devenir des adolescents, voire même devenir des parents eux-mêmes. Il vous a vu vieillir. Il sait un petit peu quel a été votre environnement professionnel. Il connaît votre environnement familial. Il sait quelle crise vous avez connu et il connaît aussi votre environnement professionnel. Les médecins généralistes sont des témoins privilégiés de la souffrance au travail. Il connaît donc votre cadre de vie, votre cadre environnemental. Pour toutes ces raisons-là, le médecin généraliste, c'est l'interlocuteur privilégié.

    Donc nous, ce que nous demandons, et ça a été repris par plusieurs candidats, nous réclamons des consultations de prévention à des âges fixes. Vous savez que la convention des pharmaciens leur a donné la possibilité de vacciner les adultes à 25 ans, 45 ans. On s'en est un peu ému parce que c'était pour nous des occasions privilégiées pour rencontrer les adultes et pour leur proposer des moments de prévention, pour s'enquérir de leur état de santé à des âges qui sont des âges importants : l'entrée dans la vie adulte, le milieu de la vie et, un peu plus tard, l'entrée à la retraite.

    Donc nous avons réclamé à la HAS, par l'intermédiaire du Collège de la médecine générale, le fait de faire un référentiel du bon usage et nous demandons de créer, dans le cadre de la prochaine convention, des consultations à âge fixe, de la même façon que l'on fait la promotion du rôle du médecin traitant dans le dépistage chez l'enfant, parce que c'est aussi, évidemment dans l'enfance que tout ça commence, à travers notamment le dépistage des troubles « dys », dysorthographie, dyslexie…, mais aussi les troubles auditifs, les troubles sensoriels, des troubles du développement.

    Est-ce que vous voulez terminer sur une conclusion, un message ?

    J'espère et je souhaite que le prochain président et le prochain gouvernement seront sensibles aux recommandations qu'on a faites et que j'appelle de mes vœux. Je suis extrêmement préoccupé, comme beaucoup de Français, par les problématiques d'accès aux soins. Je crois que c'est notre première priorité de résoudre ça et MG France a élaboré le « Guide pour l'accès aux soins à l'usage des élus locaux qui recherchent désespérément un médecin ». Je crois qu'il faut en plus, comme nous le proposons dans ce guide, mettre en place rapidement des plans d'urgence là où il y a des zones en grande difficulté. Résoudre la crise de l'accès aux soins pour la population, c'est notre priorité numéro un.

    Notre deuxième priorité, c'est qu'à travers la convention, on nous permette de faire fonctionner tous les outils nécessaires que l’on a à notre disposition. Il faut désormais que l'on déverrouille ces dispositifs qui fonctionnent bien. On doit faire des choses du côté des infirmières de pratiques avancées. On doit faire quelque chose du côté des assistants médicaux. Mettons tout ça en place le plus rapidement possible et je souhaite que la convention médicale soit l'occasion de faire tout ça.  
     

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    JDF