Cardiologie
Dyslipidémies sévères : le blocage d’ANGPTL3 par édition de gène abaisse LDL et triglycérides
Un premier essai de phase 1 montre qu’un traitement one-shot par CRISPR-Cas9 ciblant la protéine hépatique ANGPTL3, réduit fortement l’ANGPTL3 circulante, le LDL-cholestérol et les triglycérides chez des patients déjà sous traitement hypolipémiant maximal.
- Md Saiful Islam Khan/istock
Les lipoprotéines athérogènes restent un déterminant majeur du risque cardiovasculaire résiduel, malgré statines, ézétimibe et inhibiteurs de PCSK9. La protéine angiopoietin-like 3 (ANGPTL3), produit quasi exclusivement par le foie, freine l’activité de la lipoprotéine et de l’endothéliale lipases. Ses variants naturel associés à une perte de fonction s’accompagnent de taux très abaissés de LDL-cholestérol et de triglycérides, avec une réduction du risque d’athérosclérose sans signal délétère. CTX310 est une formulation de nanoparticules lipidiques contenant un ARN messager CRISPR-Cas9 et un guide ARN dirigé contre ANGPTL3, destinée à induire une mutation de perte de fonction dans les hépatocytes après une perfusion unique.
Dans cet essai de phase 1 à doses croissantes, 15 adultes ayant une hypercholestérolémie, une hypertriglycéridémie ou une dyslipidémie mixte mal contrôlée malgré un traitement hypolipémiant maximal ont reçu une dose unique de CTX310 (0,1 à 0,8 mg/kg). L’objectif principal était la sécurité (événements indésirables et toxicités limitant la dose). Selon les résultats publiés dans le New England Journal of Medicine, aux doses les plus élevées (0,7 et 0,8 mg/kg), la réduction moyenne d’ANGPTL3 atteint respectivement −79,7 % et −73,2 %, avec, à 60 jours, une baisse moyenne de 48,9 % du LDL-cholestérol et de 55,2 % des triglycérides.
ANGPTL3 : une cible de choix pour une thérapie « one-shot »
Les diminutions de la protéine ANGPTL3 sont peu marquées aux doses de 0,1 et 0,3 mg/kg (variation moyenne d’environ +9 %), deviennent nettes à 0,6 mg/kg (−32,7 %) et très importantes pour 0,7–0,8 mg/kg (environ −75 à −80 %). Cette inhibition s’accompagne de réductions cohérentes des lipides athérogènes, simultanément sur LDL et triglycérides, ce qui est rare avec les traitements oraux actuels. Les amplitudes de réponse varient cependant d’un patient à l’autre, probablement en lien avec l’hétérogénéité des profils de dyslipidémie (hypercholestérolémie isolée, hypertriglycéridémie, formes mixtes) et de l’état hépatique.
Sur le plan de la tolérance, aucun événement dose-limitant imputable à CTX310 n’a été observé durant les 60 premiers jours. Deux événements graves sont survenus (hernie discale et décès soudain à J179 après 0,1 mg/kg), sans lien retenu avec le produit. Trois patients (20 %) ont eu des réactions liées à la perfusion, de courte durée, et un patient, déjà porteur d’une cytolyse, a eu une élévation transitoire des transaminases entre 3 et 5 fois la valeur de base, résolutive en 10 jours sans conséquence clinique. Aucune toxicité hépatique sévère ni signal évident d’atteinte d’organe n’a été rapporté à ce stade, ce qui contraste avec certaines approches antisens (vupanorsen) arrêtées pour aggravation de la stéatose et cytolyse.
Essai de phase 1 préliminaire, mais concept potentiellement transformant
Les données proviennent d’un essai ouvert, de phase 1, à doses croissantes, centré sur la sécurité, avec un effectif réduit (15 patients) et un suivi pour l’instant limité à 60 jours dans cette analyse intermédiaire. Les participants, recrutés dans peu de centres et majoritairement d’ascendance européenne, avaient des dyslipidémies variées avec de larges plages de LDL et de triglycérides de base, ce qui limite l’extrapolation à des phénotypes précis (hypercholestérolémie familiale homozygote, hypertriglycéridémie sévère, etc.). L’absence de bras contrôle et la courte durée de suivi ne permettent pas d’apprécier le bénéfice clinique ni la survenue d’éventuels signaux rares ou tardifs (effets hors cible, carcinogénicité, anomalies immunitaires).
Selon les auteurs, CTX310 ne modifie en rien, à ce stade, la prise en charge des dyslipidémies, mais ouvre une piste majeure : celle d’une thérapie « one shot for life » visant un abaissement permanent des lipides chez des patients à très haut risque, souvent peu observants vis-à-vis des traitements chroniques. Les populations cibles pressenties sont les hypercholestérolémies familiales sévères, les dyslipidémies mixtes avec risque cardiovasculaire extrême ou les hypertriglycéridémies réfractaires. Le profil de tolérance apparaît acceptable à court terme, mais la nature irréversible de l’intervention impose une évaluation à long terme avant toute translation en pratique clinique.
Les prochaines étapes devront inclure des études de phase 2/3 contrôlées, avec des cohortes plus homogènes, une meilleure représentation des femmes et des populations diverses, un suivi prolongé (au moins 10–15 ans) et une exploration fine des déterminants de la réponse (stéatose, inflammation, génétique de fond). Seule une démonstration de durabilité, de sécurité et de bénéfice clinique à long terme permettra d’envisager l’intégration de l’édition génique d’ANGPTL3 dans la stratégie globale de prévention cardiovasculaire.








