Oncologie

Cancers incurables : des lymphocytes T modifiés pour un traitement personnalisé

Des patients souffrant de cancers incurables ont, grâce à des lymphocytes T génétiquement modifiés par CRISPR/Cas9, pu voir ces derniers acquérir un récepteur spécifique à leur tumeur afin de l’attaquer. Un grand bond en avant dans l’immunothérapie de précision.

  • Marcin Klapczynski/istock
  • 15 Nov 2022
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    Les lymphocytes T ont parfois du mal à repérer les cancers. Si, par exemple, un virus est nettement différent du corps humain et est facilement identifié, les cancers sont plus discrets car ils sont une version corrompue de nos propres cellules.

    Certains lymphocytes T de notre système immunitaire sont naturellement capables d’identifier ces cancers avec des récepteurs spécifiques (récepteurs des cellules T ou TCR) mais ils sont en trop petit nombre pour changer la donne. L'idée est d’augmenter le nombre de ces lymphocytes T spécifiques à chaque patient et à chaque tumeur, en remplaçant sur les autres lymphocytes T les récepteurs originaux par ceux des lymphocytes T capables d’identifier le cancer (néoTCR) via une manipulation génétique.

    La première étape est d’identifier ces lymphocytes T spécifiques du cancer, qui ne se trouvent qu'en faible quantité dans le sang, afin de les isoler pour servir de modèle à la création de nombreux lymphocytes T génétiquement modifiés. Ces derniers peuvent acquérir le néoTCR grâce à la technique des « ciseaux génétiques » ou CRISPR/Cas9. Après expansion de ces lymphocytes T modifiés (lymphocytes néoTCR), ils peuvent être réinjectés au patient pour cibler spécifiquement sa tumeur et en plus grand nombre.

    Un 1er essai de phase 1 chez l’homme

    L'essai de phase 1 qui a été réalisé concerne des malades souffrant de cancers du côlon, du sein ou du poumon qui n'avaient pas répondu aux autres traitements. Seize patients atteints de cancers solides réfractaires ont reçu jusqu'à trois injections de lymphocytes transgéniques (lymphocytes néoTCR) distincts, chacun exprimant un néoTCR spécifique au cancer du patient, dans le cadre d'un premier essai clinique chez l’homme (NCT03970382).

    Cinq patients ont vu leur cancer incurable devenir stable, et les 11 autres ont eu une moindre progression de la maladie. Des lymphocytes T transgéniques (NeoTCR) ont été détectées après la perfusion dans les biopsies tumorales à des concentrations tissulaires nettement supérieures à celles des lymphocytes TCR natifs avant la perfusion. En termes de toxicité, un patient a eu un syndrome de libération de cytokines de grade 1 et un autre une encéphalite de grade 3. Tous ont eu les effets secondaires attendus de la chimiothérapie de déplétion lymphatique préalable à l’injection des lymphocytes néoTCR.

    Les résultats ont été présentés lors d'une réunion de la Society for Immunotherapy of Cancer et publiés simultanément dans la revue Nature.

    Remplacer les récepteurs des lymphocytes T par des récepteurs spécifiques

    Le récepteur des lymphocytes T (TCR) fournit la spécificité des lymphocytes T pour reconnaître les mutations des cellules cancéreuses. Une équipe de recherche a mis au point une technique d'édition de gène basée sur CRISPR/Cas9 pour éliminer simultanément les deux gènes TCR endogènes, TCRα (TRAC) et TCRβ (TRBC), et insérer dans le locus TRAC les deux chaînes d'un TCR néo-antigène-spécifique (néoTCR), isolé à partir des lymphocytes T circulants du patient qui sont spécifiques du cancer.

    La transformation des lymphocytes T banals en des lymphocytes T capables de cibler le cancer nécessite une manipulation génétique importante pour supprimer les instructions génétiques de leurs anciens récepteurs et leur donner les instructions nécessaires pour la synthèse des nouveaux récepteurs spécifiques de la tumeur (néoTCR). Cela a été rendu possible grâce aux progrès considérables de la technologie d'édition de gènes CRISPR/Cas9, qui agit comme une paire de « ciseaux génétiques », permettant aux scientifiques de manipuler facilement et avec précision l'ADN, et supprimer ou insérer certains gènes.

    Un bon en avant pour l’immunothérapie de précision

    Cette étude de phase 1 démontre la faisabilité de l'isolement et du clonage de multiples lymphocytes néoTCR reconnaissant les néoantigènes mutationnels spécifiques à chaque malade et à chaque tumeur. Elle démontre également la faisabilité de l'élimination en une seule étape du TCR endogène et l'intégration des néoTCR dans des lymphocytes banaux à l'aide d'une technique d’édition de gène, non virale et de précision, puis la fabrication de lymphocytes T modifiés avec des néoTCR de qualité. Enfin, elle montre la sécurité de la perfusion de plusieurs injections de lymphocytes T néoTCR modifiés génétiquement et la capacité de ces lymphocytes T transgéniques à se déplacer vers les tumeurs des patients.

    Selon de nombreux experts du domaine, cette étude expérimentale a été qualifiée de « bond en avant dans le développement d'un traitement personnalisé du cancer » et de démonstration du potentiel de cette technologie. Elle ouvre la voie à l'utilisation de cette approche personnalisée dans de nombreux types de cancer et, potentiellement, dans de nombreuses autres maladies.

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    JDF