Cardiologie
Insuffisance cardiaque : initier un iSGLT2 à l’hôpital dès la phase aiguë ?
Chez des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque, l’initiation intra-hospitalière d’un iSGLT2 est sûre, mais l’essai DAPA ACT HF–TIMI 68 ne montre pas de réduction significative à 2 mois du critère principal. Toutefois, la méta-analyse de trois essais suggère un bénéfice précoce sur les critères décès cardiovasculaire/IC aggravée et sur la mortalité totale, plaidant pour une mise en route des iSGLT2 avant la sortie.

- Halfpoint/istock
L’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC) reste un tournant évolutif majeur, avec une morbi-mortalité élevée dans les semaines post-sortie. Les inhibiteurs du SGLT2 (iSGLT2), initialement prescrits dans le diabète de type 2, améliorent le pronostic des patients insuffisants cardiaques en ambulatoire, avec ou sans diabète. Restait à savoir s’il fallait les débuter dès l’hôpital.
Présenté à l’ESC 2025 et publié dans la revue Circulation, DAPA ACT HF-TIMI 68, un essai randomisé, en double aveugle, a inclus 2 401 patients hospitalisés pour IC, encore symptomatiques et avec peptides natriurétiques élevés. Ils ont été randomisés 3,6 jours en médiane après l’admission entre dapagliflozine 10 mg/j ou placebo.
À 2 mois, le critère principal (décès CV ou IC aggravée) survient chez 10,9 % des patients sous dapagliflozine et 12,7 % sous placebo (HR 0,86 ; IC à 95 % 0,68–1,08 ; p=0,20), avec un signal directionnel mais non significatif. Ces résultats n’invalident pas l’intérêt de la stratégie : ils la nuancent dans le très court terme.
Signaux secondaires convergents et profil de tolérance rassurant
Parmi les composantes, l’aggravation de l’IC concerne 9,4 % des malades sous dapagliflozine versus 10,3 % sous placebo (HR 0,91 ; 0,71–1,18) et le décès CV, 2,5 % d’entre eux versus 3,1 % (HR 0,78 ; 0,48–1,27). La mortalité toute cause était plus basse sous iSGLT2 : 3,0 % contre 4,5 % (HR 0,66 ; 0,43–1,00).
La tolérance immédiate est restée acceptable, avec une hypotension symptomatique chez 3,6 % des patients vs 2,2 % sous placebo et une dégradation rénale chez 5,9 % d’entre eux vs 4,7 %. Surtout, l’analyse préspécifiée combinant DAPA ACT HF–TIMI 68 et deux essais d’initiation intrahospitalière d’empagliflozine et de sotagliflozine (N=3 527) montre une réduction précoce significative de décès CV/IC aggravée (HR 0,71 ; 0,54–0,93 ; p=0,012) et de la mortalité toute cause (HR 0,57 ; 0,41–0,80 ; p=0,001). Ce faisceau d’indices suggère que l’effet de classe se manifeste dès les premières semaines lorsque l’on considère l’ensemble des iSGLT2 et des contextes hospitaliers, au-delà de l’aléa statistique d’un essai isolé.
Passer de la stabilisation à la modification du pronostic
DAPA ACT HF-TIMI 68 a été mené dans 210 centres d’Amérique du Nord et d’Europe centrale, chez des patients de 18 ans ou plus hospitalisés pour IC avec surcharge et BNP/NT-proBNP élevés, majoritairement à FEVG ≤40 % (71,5 %), 44,7 % nouvellement diagnostiqués ; la randomisation est intervenue après stabilisation initiale, entre H24 et J14. Cette assise méthodologique robuste renforce la généralisabilité aux admissions pour IC « en vraie vie », tout en rappelant que l’horizon d’évaluation était volontairement court (2 mois), là où les bénéfices des iSGLT2 s’accumulent dans le temps.
Selon les auteurs, l’initiation intra-hospitalière présente des atouts concrets : ancrer précocement un traitement à impact pronostique, réduire l’inertie thérapeutique et sécuriser la surveillance initiale (PA, créatinine, natriurèse, adaptation diurétique). Les données disponibles autorisent une mise en route à l’hôpital chez des patients stabilisés hémodynamiquement, avec un monitorage de l’hypotension et de la fonction rénale, sans freiner la titration des autres thérapies fondatrices (IEC/ARA/ARNI, bêtabloquant, ARM).
Les priorités de recherche sont doubles : affiner l’identification des sous-groupes maximisant le bénéfice très précoce (IC à FEVG préservée vs réduite, phénotype congestif, patients naïfs vs prétraités), et prolonger l’observation au-delà de 60 jours pour capturer l’effet « carry-over » attendu sur les réhospitalisations et la mortalité. Des analyses de coût-efficacité intégrant l’initiation intra-hospitalière, la réduction d’événements précoces et l’adhésion à long terme aideront à ancrer cette stratégie dans les parcours de soins.
En résumé, DAPA ACT HF–TIMI 68 n’atteint pas son critère principal à 2 mois mais s’inscrit dans une cohérence de classe : la méta-analyse montre un bénéfice précoce significatif et la tolérance est favorable. Chez un patient hospitalisé pour insuffisance cardiaque, l’initiation d’un iSGLT2 avant la sortie apparaît pragmatique et potentiellement salvatrice : elle gagne à devenir un réflexe, à condition d’une sélection clinique raisonnée et d’un suivi rapproché.