Cardiologie
Goutte : traiter l’hyperuricémie aux objectifs réduit le risque cardiovasculaire
Dans deux bases européennes totalisant 116 518 patients, atteindre l’objectif d’uricémie à 360 µmol/L (« Treat-to-target ») dans l’année qui suit l’initiation d’un traitement hypouricémiant réduit d’environ 11 % le risque de MACE à 5 ans par rapport au traitement habituel (stratégie « fire-and-forget »). La réduction du risque absolu (-1,4 % de survie MACE-free), est plus net après 65 ans avec une fréquence moindre de crises de goutte.

- Tharakorn/istock
Les crises de goutte sont des déclencheurs connus des évènements cardiovasculaires majeurs (MACE). Reste à savoir si le contrôle aux objectifs de l’uricémie se traduit par un bénéfice cardiologique à long terme. En s’appuyant sur 2 grandes cohorte européennes, CPRD (Angleterre) et VEGA (Suède), et en couplant les dossiers aux hospitalisations et à la mortalité, les auteurs ont réalisé une émulation d’un essai comparant deux stratégies après première prescription d’allopurinol : « treat-to-target » (T2T), avec un objectif d’uricémie < 360 µmol/L atteints dans les 12 mois, versus f »ire-and-forget » (uricémie ≥ 360 µmol/L persistante sous traitement ou non mesurée).
D’après les résultats qui ont été présentés au congrès 2025 de l’EULAR, chez 109 504 Britanniques (CPRD) et 7 014 Suédois (VEGA) suivis jusqu’à 5 ans, la survie sans MACE est de : 89,4 % dans le groupe « treat-to-target » vs 88,0 % dans le groupe « fire-and-forget » (CPRD) et de 76,8 % vs 75,5 % (VEGA), respectivement. La méta-analyse fournit un HR global de 0,89 (IC à 95 : 0,84-0,94) soit une amélioration absolue de 1,40% de survie à 5 ans en faveur de T2T (0,86-1,94).
Le « treat-to-target » particulièrement important chez les patients âgés
L’effet positif sur les MACE du « treat-to-target » se maintient lorsque l’on exclut les antécédents de MACE, que l’on limite l’analyse aux événements hospitaliers/décès, ou que l’on considère infarctus (HR 0,90) et AVC (HR 0,88) séparément.
Les crises de goutte, critère positif de contrôle, diminuent de 5 % (IRR 0,95 ; 0,92-0,99), confirmant la validité interne. Aucun signal sur les événements témoins négatifs (bronchite aiguë, cataracte, appendicite) n’indique de biais résiduel majeur.
L’interaction entre l’âge et la stratégie est significative : HR = 0,84 après 65 ans contre 0,95 avant (p = 0,02). Le sexe ou le niveau de l’uricémie initiale, eux, n’influencent pas l’effet. En termes de tolérance, la base CPRD signale des taux similaires d’arrêt d’allopurinol pour effets indésirables (≈ 4 %/an) dans les deux bras ; les données suédoises confirment l’absence de surrisque cardiovasculaire connu lié au fébuxostat, utilisé dans moins de 1 % des cas.
Validité de la recommandation EULAR d’une uricémie-cible < 360 µmol/L
La stratégie « target trial emulation » aligne le départ du suivi sur l’assignation de stratégie et ajuste 40 covariables socio-démographiques, cardiovascualires et goutte (SMD < 0,10). Cette conception minimise les biais d’immortalité et de sélection sans priver d’effectif. Les limites tiennent à la non-connaissance de l’exposition réelle à l’hypouricémiant (observance) et à l’uricémie qui est mesurée hors laboratoire centralisé, ainsi que l’impossibilité d’analyser l’escalade posologique ou les molécules autres que l’allopurinol, la durée moyenne de suivi < 4 ans dans CPRD, < 3 ans dans VEGA.
En pratique, le bénéfice absolu, modeste, signifie qu’il faut abaisser l’uricémie aux objectifs chez environ 70 patients pour éviter un MACE en 5 ans, chiffre qui tombe à 45 au-delà de 65 ans (NNT). Selon les auteurs, ces données renforcent la recommandation EULAR d’une uricémie cible < 360 µmol/L, non plus seulement pour prévenir les crises de gouttes mais aussi pour réduire le risque cardio-vasculaire, en particulier chez les seniors polymorbides. Reste à préciser la place des nouveaux hypouricémiants (febuxostat, topiroxostat) et des stratégies d’intensification rapide. Des essais randomisés pragmatiques seraient nécessaires pour confirmer la causalité et quantifier le coût-efficacité d’un suivi biologique serré versus automatisé.