Oncologie digestive
Cancer du rectum : suspension d’une technique chirurgicale en Norvège
Différentes techniques d’exérèse sont pratiquées dans le traitement du cancer du rectum. Une nouvelle technique, la proctectomie avec exérèse totale du mésorectum, par voie transanale, non encore largement diffusée, vient d’être suspendue en Norvège.
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Le traitement de référence des cancers du rectum repose sur la réalisation d’une proctectomie carcinologique avec exérèse totale du mésorectum (ETM) qui permet de maîtriser le risque de récidive locale autour de 5% après la chirurgie.
Les facteurs de risque de la récidive après ETM ont été étudiés et identifiés sur des séries importantes. La qualité de l’exérèse et l’absence d’envahissement de la marge circonférentielle (résection R0) sont les deux meilleures garanties du contrôle local.
Une technique difficile
La proctectomie avec exérèse totale du mésorectum est une procédure difficile, en particulier chez les malades ayant un bassin étroit et/ou en surpoids. Actuellement, plusieurs approches peuvent être proposées pour réaliser une proctectomie avec ETM : la voie conventionnelle ouverte, la voie laparoscopique, la voie robotique ou encore la voie transanale (TaTME). Cette dernière option a été développée car elle permet en théorie d’améliorer la vision opératoire et la dissection des derniers cm de bas rectum.
Actuellement, il n’existe aucune étude contrôlée ayant comparé la TaTME aux autres approches. Les données disponibles reposent sur la publication de séries comportant de faibles effectifs dans lesquelles la procédure apparaît faisable et ne semblerait pas comporter de risque spécifique. Une étude de cohorte norvégienne vient de conclure que les résultats opératoires et oncologiques de la TaTME sont moins bons que ceux habituellement observés en Norvège. Cette étude conduit à suspendre l’utilisation de la TaTME dans le pays avant la publication des résultats d’études contrôlées.
Une décision basée sur une étude de cohorte nationale
En Norvège, tous les malades opérés d’un cancer du rectum sont inclus dans une base nationale (NORGAST) et tous les malades opérés par TaTME ont été inclus dans une database prospective. Les auteurs rapportent une étude comparant les résultats des malades opérés et inclus dans ces 2 bases de données (TaTME et NORGAST). Cette étude a été initiée après qu’un nombre anormalement élevé de récidive locale a été observé chez des malades opérés par TaTME.
En Norvège, tous les chirurgiens souhaitant adopter la TaTME ont reçu une formation avancée avant de démarrer leur expérience. Parmi les 20 centres accrédités pour la chirurgie du cancer du rectum en Norvège, 7 ont été autorisés à réaliser la TaTME, parmi lesquels 3 ont interrompu leur expérience après les premiers cas.
Au total, de 2014 à 2018, 157 malades ont été opérés par TaTME en Norvège et la majorité de ces malades (n=152) ont été pris en charge par les centres à plus gros volume. Les stades T et N de la tumeur étaient significativement moins avancés chez les malades opérés par TaTME ce qui peut expliquer que seuls 21% des malades ont reçu une radiochimiothérapie préopératoire, une proportion significativement moins importante que dans la base nationale Norgast (39%, P = 0,001).
Un effet potentiellement délétère
Après un suivi médian de 19,5 mois, parmi les 157 malades opérés par TaTME, 12 ont eu une récidive locale parmi lesquels 6 ont eu une récidive pelvienne multifocale. Le taux de récidive locale est presque 6 fois plus élevé après TaTME que dans le groupe contrôle issu de la base NORGAST (11,4 vs 2,4% respectivement, p < 0,001). Le taux de complications anastomotiques (8,4 vs 4,2% respectivement, p = 0,047) et la mortalité opératoire (2,5 vs 0,4% respectivement, p = 0,008) sont plus élevés dans le groupe TaTME et 10 malades, opérés par TaTME ont eu une stomie qui n’était initialement pas planifiée.
Plusieurs éléments peuvent avoir contribués à ces résultats. Certains de ces facteurs sont inhérents à la technique. Lors de la TaTME, le début de la dissection périnéale peut mettre en contact la lumière rectale et la tumeur avec le plan de dissection chirurgicale. De plus, s’associe à cette potentielle « contamination » l’effet de l’insufflation qui est utilisée par voie périnéale pour favoriser la vision et faciliter la dissection. L’effet potentiellement délétère de l’insufflation au contact de la tumeur a déjà été souligné dans les cancers du col utérin.
Un autre facteur qui a pu contribuer à ces résultats est celui de la courbe d’apprentissage. La maîtrise d’une technique chirurgicale nécessite un temps incompressible pendant lequel les résultats de l’opérateur apprenant ne sont probablement pas équivalents à ceux des experts. Toutefois, les auteurs rapportent que la technique n’a été initiée que dans les 7 centres norvégiens à plus gros volume et que tous les chirurgiens désireux d’adopter cette technique ont suivi une formation sous la forme de cours avancés. Toutefois, ce facteur, même s’il n’est pas le seul, a pu contribuer à ces résultats.
Perspectives et conclusions
La TaTME est une nouvelle technique qui nécessite d’être évaluée. La question qui demeure est de montrer que ses avantages théoriques pourront se traduire en un bénéfice clinique. La toute première étape à franchir pour une nouvelle technique est celle de la sécurité et de l’absence de perte de chances par rapport à ce qui est déjà pratiqué. Ces résultats doivent être regardés avec beaucoup d’attention.
Cette étude n’est pas contrôlée et les groupes ne sont pas parfaitement comparables, d’autres séries récentes rapportent des résultats qui ne semblent pas aussi préoccupants. Néanmoins, l’attitude de prudence des auteurs et de la communauté médicale norvégienne ne peut pas être critiquée aux vues de ces résultats. Cette technique ne devrait pas être utilisée en dehors d’essai clinique. Une étude française pilotée par le GRECCAR (GRECCAR 11, NCT02584985) est actuellement en cours pour évaluer la non-inferiorité de la TaTME par rapport à la voie d’abord laparoscopique.











