Hématologie

LLC : mécanismes génomiques de résistance au pirtobrutinib

Chez les patients atteints de LLC en rechute/réfractaire après BTKi covalents, l’analyse génomique de l’essai BRUIN confirme l’efficacité du pirtobrutinib (ORR 82 %), indépendamment du profil moléculaire. À la progression, les mutations acquises les plus fréquentes concernaient BTK, notamment T474X (26 %) et L528W (16 %), tandis que 37 % étaient déjà présentes à l’état sous-clonal. Ces résultats illustrent la complexité clonale de la résistance et soutiennent l’intérêt des stratégies séquentielles et des BTK degraders en développement.

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  • 02 Novembre 2025
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    Les inhibiteurs de la tyrosine kinase de Bruton (BTKi) ont profondément transformé la prise en charge de la leucémie lymphoïde chronique (LLC), en ciblant le signal du récepteur des cellules B (BCR). Toutefois, la résistance acquise, principalement liée à des mutations du résidu C481 de BTK ou de PLCG2, limite leur efficacité à long terme (1). Le pirtobrutinib, un inhibiteur non covalent et hautement sélectif, se distingue par sa capacité à bloquer à la fois BTK sauvage et mutant C481, et a montré une activité marquée après échec des BTKi covalents.

     L’essai de phase 1/2 BRUIN (NCT03740529) a établi son efficacité et sa tolérance dans les formes en rechute/réfractaires (2). Les auteurs de cette étude approfondissent ces données en caractérisant les déterminants génomiques de réponse et de résistance au pirtobrutinib, afin de mieux comprendre les dynamiques clonales sous traitement et d’orienter les futures stratégies de séquençage thérapeutique (3).

    Efficacité et corrélations génomiques

    L’analyse génomique de 245 patients atteints de LLC en rechute ou réfractaire, tous préalablement exposés à un BTKi covalent, confirme la robustesse de l’efficacité du pirtobrutinib dans cette population lourdement prétraitée. Le taux de réponse objective (ORR) atteignait 82 %, avec une durée médiane de traitement de 20,7 mois et un tiers des patients toujours sous traitement à la date de coupure des données.

    Les altérations moléculaires les plus fréquentes concernaient BTK (43 %), TP53 (38 %), SF3B1 (25 %), NOTCH1 (23 %) et del(17p) (28 %), traduisant la complexité clonale typique des formes résistantes. L’efficacité du pirtobrutinib apparaissait globalement indépendante du profil génétique, y compris en présence d’anomalies à haut risque, telles que TP53 muté ou del(11q). Seules les mutations PLCG2, plus fréquentes chez les non-répondeurs, pouvaient suggérer un mécanisme alternatif de résistance par réactivation de la voie de signalisation du BCR.

    Résistance acquise et dynamique clonale

    À la progression sous pirtobrutinib, une forte hétérogénéité clonale a été mise en évidence : 68 % des patients présentaient au moins une mutation acquise, dont 44 % impliquaient le gène BTK, principal médiateur de résistance. Les altérations les plus fréquentes touchaient les résidus T474 (“gatekeeper”, 26 %) et L528W (16 %), respectivement associées à une diminution d’affinité pour le médicament ou à une perte d’activité kinase, sans abolition de la signalisation BCR. Des mutations plus rares (V416L, A428D, D539G) ont également été identifiées près du site de liaison de l’ATP.

    Grâce au séquençage ultra-sensible, près de 37 % de ces anomalies étaient déjà présentes à l’état sous-clonal avant traitement, suggérant une sélection de clones préexistants sous pression thérapeutique. Enfin, un tiers des patients ne présentait aucune mutation détectable, évoquant des mécanismes alternatifs de résistance (transcriptionnels, épigénétiques ou micro-environnementaux) nécessitant des investigations complémentaires.

    Tolérance et implications cliniques

    La tolérance du pirtobrutinib rapportée dans cette analyse génomique concorde avec les données précédentes de l’étude BRUIN, sans signal de toxicité inattendu ni lien entre profil mutationnel et effets indésirables. Le traitement a été bien supporté, permettant une exposition prolongée, souvent supérieure à 18 mois, même chez des patients lourdement prétraités.

    Sur le plan biologique, une dynamique clonale complexe est observée : la clairance fréquente des clones porteurs de mutations BTK C481S, associées à la résistance aux BTKi covalents, témoigne de la pression sélective exercée par le pirtobrutinib. En revanche, l’émergence de mutations T474X (“gatekeeper”) et L528W (kinase-impaired) à la progression illustre de nouveaux mécanismes de résistance spécifiques aux inhibiteurs non covalents.

    Ces résultats plaident pour une adaptation raisonnée des séquences thérapeutiques et soutiennent le développement des BTK degraders, capables d’éliminer les formes mutées indépendamment de leur activité enzymatique.

    Conclusion

    Cette étude génomique confirme l’efficacité du pirtobrutinib chez les patients atteints de LLC prétraités par BTKi covalents et met en évidence la diversité des mécanismes de résistance, notamment l’émergence de mutations T474X et L528W. L’analyse des dynamiques clonales sous traitement ouvre la voie à une optimisation du séquençage thérapeutique et à l’évaluation de nouvelles approches ciblées, telles que les BTK degraders, capables de surmonter les résistances liées aux mutations de BTK.

     

    Références

    1. Woyach JA, Jones D, Jurczak W, Robak T, Illes A, Kater AP, et al. Mutational profile in previously treated patients with chronic lymphocytic leukemia progression on acalabrutinib or ibrutinib. Blood. 2024;144(10):1061-8.
    2. Mato AR, Woyach JA, Brown JR, Ghia P, Patel K, Eyre TA, et al. Pirtobrutinib after a Covalent BTK Inhibitor in Chronic Lymphocytic Leukemia. N Engl J Med. 2023;389(1):33-44.
    3. Brown JR, Nguyen B, Desikan SP, Won H, Tantawy SI, McNeely SC, et al. Genomic Determinants of Response and Resistance to Pirtobrutinib in Relapsed/Refractory Chronic Lymphocytic Leukemia. Blood. 2025.

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