Rhumatologie
Lupus systémique : la double inhibition de BLyS et d’APRIL améliore la réponse clinique
Dans le lupus érythémateux systémique, une stratégie de double inhibition de BLyS et d’APRIL, biologiquement cohérente, par le telitacicept se traduit par un gain clinique marqué chez des patients ayant un lupus actif. Le bénéfice s’accompagne d’une hausse attendue des infections ORL et d’une baisse des immunoglobulines, appelant une surveillance ciblée.

- Andrzej Rostek/istock
Le lupus érythémateux systémique (LES) demeure une maladie auto-immune sévère, avec des lésions d’organes chez plus d’un patient sur deux dans les 2 à 6 ans suivant le diagnostic, malgré un traitement combinant antipaludéens de synthèse, corticoïdes et immunosuppresseurs. Les lymphocytes B, stimulés par les cytokines BLyS et APRIL, sont centraux dans la physiopathologie et certains lupus répondent mal aux anti-BLyS. Le telitacicept, protéine de fusion TACI–Fc, neutralise simultanément BLyS et APRIL et étend ainsi le champ d’action au-delà de celui du belimumab (anti-BLyS seul).
Dans un essai de phase 3, randomisé, en double aveugle, conduit en Chine chez des adultes avec LES actif sous traitement de fond standard, le telitacicept 160 mg SC hebdomadaire a été comparé au placebo pendant 52 semaines. Le critère principal était la réponse SRI-4 modifiée à la semaine 52 (diminution ≥4 points du SELENA-SLEDAI, absence d’activité nouvelle sur BILAG et pas d’aggravation de l’évaluation globale du médecin).
Selon les résultats publiés dans le New England Journal of Medicine, sur 335 participants randomisés (167 telitacicept, 168 placebo), la réponse SRI-4 modifiée a été atteinte chez 67,1% sous telitacicept contre 32,7% sous placebo (différence ajustée 34,5 points ; IC à 95% 24,3 à 44,7 ; p<0,001), confirmant un bénéfice clinique robuste. Une baisse d’au moins 4 points de l’index SELENA-SLEDAI est observée chez 70,1% des patients sous telitacicept versus 40,5% sous placebo (différence 29,6 points ; IC à 95% 13,1 à 46,1).
Éteindre 2 stimulants des lymphocytes B : efficacité large, signal infectieux gérable
Le surcroît d’efficacité s’observe de façon cohérente sur les différentes composantes de l’activité, avec un effet qui s’inscrit dans la lignée des biothérapies ciblant BLyS, tout en suggérant un potentiel supplémentaire via l’inhibition conjointe d’APRIL et, en aval, de la maturation plasmocytaire. Le comparatif indirect avec les essais internationaux de belimumab rappelle toutefois l’absence d’étude « face-face » et interdit toute conclusion hiérarchique.
Côté tolérance, les événements imputés au traitement sont plus fréquents sous telitacicept que sous placebo (74,9 % vs 50,0 %). Les écarts majeurs d’effets indésirables portent sur les infections des voies respiratoires supérieures (31,7 % vs 19,0 %), la baisse des taux d’IgG (15,6 % vs 1,2 %), la baisse des taux d’IgM (15,0 % vs 0,6 %) et les réactions au site de l’injection (12,6 % vs 0,6 %). Aucun signal d’augmentation des événements indésirables graves n’a émergé, mais l’expérience d’autres doubles inhibiteurs BLyS/APRIL en développement (p. ex. atacicept) impose une vigilance sur le risque infectieux et l’hypogammaglobulinémie, avec une stratégie de vaccination, un dépistage et monitoring réguliers des immunoglobulines. L’ampleur de la réponse placebo constatée pour certaines manifestations (notamment rénales et vasculitiques) rappelle l’effet des traitements de fond et la régression à la moyenne au long cours.
Vers un changement de paradigme ?
L’essai, de taille substantielle pour le LES et rigoureusement conduit (randomisation 1:1, double aveugle, 52 semaines, critère composite standardisé), renforce la validité interne. Néanmoins, plusieurs limites circonscrivent la généralisabilité : population d’étude exclusivement chinoise, exclusion des atteintes rénales sévères et neuro-psychiatriques, impossibilité d’analyser quantitativement la cinétique des anti-ADN natif (positif/négatif selon les laboratoires), et période d’inclusion chevauchant la pandémie de Covid-19 avec quelques pertes de suivi symétriques entre bras.
Selon les auteurs, le telitacicept apparaît comme une option pertinente à ajouter au traitement médical standard des adultes avec LES actif non sévère, notamment en cas de réponse incomplète aux schémas conventionnels, sous réserve d’une sélection et d’un suivi immunovirologiques rigoureux : statut vaccinal à jour, dépistage infectieux, mesures hygiéno-préventives, contrôle périodique des immunoglobulines et adaptation posologique des glucocorticoïdes lorsque la réponse le permet. Les perspectives de recherche prioritaires incluent des essais comparatifs directs contre belimumab et d’autres biothérapies, des études dédiées au lupus rénal et aux atteintes du système nerveux central, l’évaluation de la décroissance stéroïdienne pilotée par biomarqueurs, et l’exploration de critères de réponse enrichis (auto-anticorps, cellules B mémoire, plasmocytes circulants). À court terme, l’intégration de telitacicept dans l’arsenal thérapeutique du LES pourrait contribuer à réduire l’activité persistante et le fardeau cumulatif de corticoïdes, tout en imposant une gouvernance stricte du risque infectieux.