Onco-Digestif
Cancer colorectal muté PI3K : l'aspirine en adjuvant ?
L'étude scandinave ALASCCA démontre l'efficacité de l'aspirine en adjuvant dans le cancer coloréctal avec altération de la voie PI3K.
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A l’échelle mondiale, le cancer colorectal (CCR) est un problème de santé publique puisqu’il est le cancer digestif le plus fréquent (1,9 million de cas/an dans le monde). Parmi les patients atteints d’un CCR de stade II (pT3-4 pN0) et III (N+), 20 à 40 % développeront des métastases : optimiser les stratégies adjuvantes est donc une nécessité.
Dans des essais contrôlés randomisés, il a été démontré que l'aspirine réduisait l'incidence des adénomes et du CCR chez des patients à risque élevé. Par ailleurs, des études observationnelles suggèrent que l'aspirine utilisé en adjuvant améliore la survie sans récidive (SSR) d’un CCR opéré dans des populations non sélectionnées. De plus, des études rétrospectives indiquent que les mutations somatiques de PIK3CA permettent de prédire la réponse au traitement par aspirine mais cela n’a jamais été évalué dans un essai prospectif randomisé.
Dans ce contexte, l’aspirine utilisé en adjuvant d’un CCR opéré a été évalué dans l’essai ALASCCA, dont les résultats ont été présentés au congrès de l’ASCO GI 2025.
Méthodologie
ALASCCA est un essai multicentrique scandinave de phase III, contrôlé, randomisé, mené en double-aveugle, qui comparait en adjuvant un traitement expérimental par aspirine (160 mg/jour) vs placebo. Le traitement était débuté dans les 3 mois qui suivaient la chirurgie du CCR pour une durée de 3 ans. Les patients opérés d’un cancer du rectum de stade I-III ou du colon de stade II-III étaient éligibles si une mutation somatique de la voie PI3K été détectée (groupe A : mutation de l’exon 9 ou 20 de PIK3CA ; groupe B : autres mutations somatiques driver de PI3K soit mutations de PIK3CA hors exons 9 et 20, mutations PIK3R1 et PTEN). L’objectif principal était le temps jusqu’à récidive (TTR) dans le groupe A. Les objectifs secondaires étaient le TTR dans le groupe B et la SSR dans les groupes A et B.
Résultats
3508 patients ont été screenés à la recherche d’une altération tumorale dans la voie PIK3. Parmi 2980 analyses finalement contributives, 1103 patients (37 %) présentaient une altération cible : 515 patients dans le groupe A, 588 dans le groupe B. Au total, 626 patients ont été randomisés. L’âge médian était de 66 ans, 52 % étaient des femmes, 67 % avaient été opéré d’un cancer du côlon (stade III = 47%) et 33 % d’un cancer du rectum (stade II = 40 % ; stade III = 36 %). 50 % des patients avec cancer du rectum avaient reçus une chimiothérapie néoadjuvante, et 50 % de ceux avec cancer du côlon avaient reçu de la chimiothérapie adjuvante.
Après 3 ans de suivi, l’étude était positive avec un hazard ratio (HR) des TTR comparant l'aspirine au placebo de 0,49 (IC95% 0,24-0,98 ; p=0,044 ; risque de récidive à 3 ans = 7,7 %) dans le groupe A et de 0,42 (IC95% 0,21-0,83 ; p=0,013 ; risque de récidive à 3 ans = 14,1 %) dans le groupe B. Concernant la SSR à 3 ans, elle était de 88,5 % dans le bras aspirine vs 81,4 % dans le bras contrôle (HR 0,61 (IC95% 0,34-1,08 ; p=0,091) dans le groupe A et de 89,1 % vs 78,7% dans le groupe B (HR 0,51 (IC95% 0,29-0,88 ; p=0,017). Trois décès ont été notés dans la population traitée par aspirine (hémorragie digestive, hématome, réaction allergique), et un décès dans le groupe placebo.
Conclusion
L’essai ALASCCA est le premier essai randomisé de phase III qui évalue l’intérêt à proposer un traitement adjuvant par aspirine (160 mg/j, 3 ans) dans une population sélectionnée (altération somatique de la voie PI3K, environ 1/3 des patients opérés d’un CCR de stade I-III).
Cet essai est positif, et démontre une réduction impressionnante (50 % !) du taux de récidive d’un CCR dans ce contexte.
Par ailleurs, l’aspirine est un traitement accessible, peu coûteux et dont les effets indésirables sont rares. De ce fait, identifier les patients opérés d’un cancer du côlon stade II-III et d’un cancer du rectum stade I-III qui présentent une altération de la voie PI3K devient une nécessité et les panels de biologie moléculaire devront désormais intégrer cette analyse afin que l’aspirine en adjuvant (3 ans) puisse être proposé dans cette situation.
Toutefois, 3 décès ont été observés dans le bras aspirine : la balance bénéfice risque reste donc à évaluer au cas par cas.
De plus, nous sommes également en attente des résultats de l’étude française ASPIK, dont les résultats devraient être annoncés prochainement (étude prospective randomisée en double aveugle comparant l’aspirine versus placebo chez les patients opérés d’un adénocarcinome du côlon stade III ou II à haut risque de récidive, avec mutation PI3K).











