Infectiologie
Dengue : 50 ans de progrès et un nouveau vaccin efficace et mieux toléré ?
Un nouveau vaccin tétravalent monodose contre la dengue a été développé au Brésil et son étude de phase 3 laisse entrevoir un net progrès pour contourner les mécanismes immunologiques de cette infection, à l’origine des principales complications.
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Le virus de la dengue (DENV) est un arbovirus, un virus à ARN qui appartient à la famille des Flaviridae (genre flavivirus) et compte quatre sérotypes différents (DENV1 à DENV4). La dengue sévit principalement dans les régions tropicales et subtropicales de la planète mais elle s’est propagée rapidement ces dernières années dans toutes les régions de l’OMS.
En 2019, les quatre sérotypes du virus de la dengue transmis par les moustiques (DENV) ont provoqué environ 56 millions de cas de maladie et 5 000 à 40 000 décès dans un ensemble de pays, défiant tout contrôle et motivant le développement de vaccins. Cette mortalité est essentiellement attribuable au comportement biologique et immunologique du virus de la dengue chez l'homme et le développement des précédents vaccins ne s’ait pas passé sans quelques problèmes.
Un nouveau vaccin tétravalent monodose
C’est dans ce contexte que sont rapportés dans le New England Journal of Medicine les résultats d’un essai de phase 3 versus placebo avec administration unique d’un vaccin tétravalent, le Butantan-DV, développé par un laboratoire de l'Institut brésilien des allergies et des maladies infectieuses (Instituto Butantan). Une dose de Butantan-DV, contenant des virus DENV-1, DENV-3 et DENV-4 atténués de pleine longueur ainsi qu'une chimère DENV-2-DENV-4, a été administrée à 10 259 enfants et adultes dans cinq régions géographiques du Brésil et un placebo a été administré à 5 976 enfants et adultes. L'efficacité du vaccin contre la dengue bénigne liée à DENV-1 est de 96,8 % et de 85,6 % chez les participants séropositifs et les participants séronégatifs, respectivement, avec une efficacité modeste contre la maladie liée à DENV-2 chez 83,7 % et 57,9 % d'entre eux, respectivement.
Sur la base de la protection contre le virus de la dengue démontrée lors des essais précliniques, on s'attendait à ce qu'une dose unique de Butantan-DV confère une immunité protectrice contre les quatre sérotypes virus de la dengue mais l’absence de cas de DENV-3 et de DENV-4 ne permet pas de le démontrer, absence probablement en lien avec l’épidémie du virus Zika (ZIKV) au Brésil en 2015 (un flavivirus qui se comporte antigéniquement comme un virus de la dengue) dont l’épidémie a été suivi, tant en 2017 qu'en 2018 (étude réalisée entre 2016 et 2019), d'une réduction de 80% du nombre total de cas de dengue et de décès. Parmi les 270 participants qui ont reçu le vaccin ou le placebo dans le cadre de l'essai actuel et chez qui des maladies cliniques liées à la dengue se sont développées pendant l'essai, aucun n'a été gravement malade ou hospitalisé. Cela contraste fortement avec la fréquence des cas de dengue sévère ou d'hospitalisation des vaccinés et des témoins dans les essais cliniques des vaccins précédents (Dengvaxia et TAK-003).
Les problèmes lors du développement des vaccins tétravalents précédents
Le vaccin Sanofi (Dengvaxia) est un vaccin dérivé du virus de la fièvre jaune qui intègre les régions structurelles chimériques des quatre sérotypes. L'essai clinique multinational de grande envergure, bien conçu, portant sur trois doses de Dengvaxia, a donné des résultats inattendus : des anticorps neutralisants tétravalents se sont développés chez presque tous les vaccinés de l'essai et les participants séronégatifs vaccinés ont eu des poussées inattendues d'infections pouvant conduire à des maladies graves.
Le vaccin contre la dengue à deux doses de Takeda (TAK-003 ou Qdenga), contient du DENV-2 vivant atténué et des régions structurelles chimériques des DENV-2 de DENV-1, DENV-3 et DENV-4. Les essais cliniques ont donné un résultat positif sans équivoque : les participants séronégatifs et les participants séropositifs vaccinés ont été fortement protégés contre la maladie à DENV-2. L'absence d'infections par le DENV-4 a constitué une limitation. Une protection modérée contre la maladie DENV-1 a été constatée à la fois chez les participants séronégatifs et les participants séropositifs, ainsi qu'une possible fréquence plus élevée d'hospitalisation pour la maladie DENV-3 chez les participants séronégatifs vaccinés.
Un virus, 4 sérotypes et des réinfections à un autre sérotype à risque
Le virus de la dengue (DENV) se transmet à l’homme par la piqûre des femelles moustiques infectés, principalement de l’espèce Aedes aegypti (que l’on trouve dans les régions tropicales et subtropicales) mais aussi d’Aedes albopictus (régions tempérées). Il existe donc quatre sérotypes du virus de la dengue et une infection par un sérotype ne confère une immunité à vie que contre ce sérotype mais pas contre les autres.
On parle ainsi de dengue primaire lors d’une première infection par un des virus de la dengue et de dengue secondaire lorsqu’une personne est réinfectée par un autre sérotype. Une infection initiale par n'importe quel sérotype de virus de la dengue chez des personnes qui n'ont pas été infectées précédemment par le virus de la dengue entraîne généralement des maladies fébriles légères à modérées de courte durée. Le risque de développer une forme grave semble plus important lors d'une dengue secondaire que lors d'une dengue primaire. Les secondes infections hétérotypiques de la dengue se produisent selon 12 séquences possibles (par exemple, DENV-1 puis DENV-2, DENV-2 puis DENV-3...) Les secondes infections sont responsables d'une grande partie du spectre des maladies graves de la dengue dans le monde. C'est ce statut immunitaire protecteur après deux infections qui alimente le développement des vaccins contre la dengue.
Il existe cependant un problème dont témoigne les immunothérapies au cours de la grossesse : lorsque des anticorps IgG multi-DENV sont transférés aux fœtus à travers le placenta, les infections DENV chez les nouveaux-nés sont évitées pendant des semaines, voire des mois. Cependant, lorsque les anticorps sont catabolisés à des niveaux non protecteurs, ces nourrissons peuvent présenter des infections à DENV renforcées par les anticorps qui entraînent une maladie grave, une hospitalisation et le décès.
Les anticorps IgG DENV non neutralisants, qu'ils aient été acquis par l'infection ou le vaccin, sont donc un facteur de risque universel de dengue grave chez les personnes qui n'ont pas d'immunité protectrice. Et, malheureusement, il n'existe pas de critères sérologiques validés permettant d'identifier l'immunité protectrice chez les personnes dont on pense qu'elles ont eu deux ou plusieurs infections par le virus de la dengue, ce qui complique nettement le développement des vaccins.
Vers une vaccination plus simple et généralisable ?
Près de 50 ans se sont écoulés depuis le début du développement d'un vaccin tétravalent contre la dengue à l'Institut de recherche de l'armée Walter Reed. Depuis lors, trois découvertes fondamentales ont remis en question la conception d'un vaccin contre la dengue : le renforcement dépendant des anticorps, le rôle protecteur de l'immunité cellulaire et la pathogénicité directe de la protéine non structurale 1 (NS1) de la dengue. Afin de fournir un niveau élevé de protection, les vaccins contre la dengue doivent donc présenter une gamme complète d'antigènes structuraux et non structuraux (y compris NS1) des quatre sérotypes du DENV.
Le Groupe consultatif stratégique d'experts sur la vaccination (SAGE) de l'Organisation mondiale de la santé recommande que les personnes âgées de 9 ans ou plus souffrant d'au moins une infection précédente par le DENV reçoivent trois doses de Dengvaxia. Le SAGE envisage de recommander que les personnes âgées de 6 à 16 ans dans les pays où le DENV est fortement endémique reçoivent deux doses de TAK-003 sans restriction. Compte tenu de l’importance de la pandémie de dengue désormais, un vaccin tétravalent en une dose, efficace, reste très demandé. Les essais cliniques du Butantan-DV devraient se poursuivre pour valider ces premiers résultats sur l’ensemble des sérotypes et des cas de réinfection.











